Rap et politique : Insécurité sous la plume d’un barbare




Une plainte, trois relaxes, deux jugements en appel, deux pourvois en cassation ! Publié il y a 10 ans entre les deux tours de l’élection présidentielle, cet article d’Hamé, du groupe La Rumeur, accusait le ministère de l’Intérieur de « centaines de mort » dans les quartiers. Huit ans de procédure pour « diffamation envers la police nationale », et la Cour de cassation déboute le ministère de l’Intérieur pour la deuxième fois, en juin 2010. Toujours aussi lamentablement d’actualité.

Les propos incriminés sont en gras. La version complète du texte est consultable en ligne.

Nico P. (com-antiraciste d’AL)

Ça y est, les partisans chevronnés du tout sécuritaire sont lâchés. Sociologues et universitaires agrippés aux mamelles du ministère de l’Intérieur, philosophes amateurs de garden-parties de l’Elysée, idéologues du marché triomphant et autres laquais de la plus-value, et […] la cohorte des […] candidats au poste de premier illusionniste de France... tous, jour après jour, font tinter en prime-time le même son de cloche braillard :

« Tolérance zéro ! Rétablissement de l’ordre républicain bafoué dans ces cités où la police ne va plus ».

Ils sont unanimes et hurlent […] à longueur d’ondes et d’antenne, qu’il faut « oser » la guerre du « courage civique » face aux hordes de « nouveaux barbares » qui infestent la périphérie de nos villes. Ne craignons pas les contrats locaux de sécurité, les couvre-feux, l’abaissement de l’âge pénal à 13 ans, l’ouverture de nouveaux centres de détention pour mineurs, la suppression des allocations familiales aux familles de délinquants... Que la Caillera se le tienne pour dit, la République ne laissera pas sombrer le pays dans le chaos apocalyptique des vols de portables, du recel d’autoradios ou du deal de shit sous fond de rodéos nocturnes...

La République menacée, la République atteinte mais la République debout ! […] la misère poudreuse et les guenilles post-coloniales de nos quartiers sont le festin des élites. Sous les assauts répétés des faiseurs d’opinion, les phénomènes de délinquance deviennent de strictes questions policières de maintien de l’ordre. […]

[C’est aux] familles immigrées victimes de ségrégation et chômage massif, [d’endosser] la responsabilité du « malaise national » […]

Nous ne lirons pas, dans la presse respectable, que les banlieues populaires ont été, depuis une vingtaine d’années, complètement éventrées par les mesures économiques et sociales décidées depuis les plus hautes sphères de l’État et du patronat pour pallier à la crise sans toucher à leur coffre-fort.

Nous n’entendrons pas sous les luminaires des plateaux de télévision, qu’à l’aube maudite du mitterrandisme, nos parents et nos plus grands frères et sœurs ont été les témoins vivants d’une dégradation sans précédent de leur situation déjà fragilisée.

L’histoire officielle ne retiendra pas l’énergie colossale déployée par les gouvernements des trois dernières décennies pour effacer les réseaux de solidarité ouvrière enracinées dans nos quartiers 1 [ni] le travail de récupération et de sape systématique des tentatives d’organisation politique de la jeunesse des cités au milieu des années 19802.[…]

Les pédagogues du dressage républicain n’auront pas en ce sens la critique fertile […] face à la coriace reproduction des inégalités sociales […] du système scolaire, et l’élimination précoce du circuit de l’enseignement de larges franges de jeunes qui ne retiennent de l’école que la violence qui leur a été faite. Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. Il n’y figurera nulle mention de l’éclatement des noyaux familiaux qu’ont provoqué l’arsenal des lois racistes Pandraud-Pasqua-Debré-Chevènement et l’application à plein rendement de la double peine.

Les études ministérielles sur la santé refermeront bien vite le dossier des milliers de cancers liés à la vétusté de l’habitat ou au non respect des normes de sécurité sur les chantiers de travail. La moyenne effroyablement basse de l’espérance de vie dans nos quartiers ne leur semblera être qu’un chiffre indigne de commentaires. […] Aux humiliés l’humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture.

Vivre aujourd’hui dans nos quartiers c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières, d’instruction bâclée, d’expérience carcérale, d’absence d’horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite... c’est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres...

[Ceux qui nous gouvernent] savent que la libéralisation massive […], les privatisations, les fusions, les délocalisations […] vont se généraliser comme va se généraliser la paupérisation. Ils savent que la nouvelle configuration du marché exige la normalisation du salariat précaire et l’existence d’une forte réserve de chômeurs et de sans-papiers.

Et ils savent surtout que les banlieues populaires […] sont des zones où la contestation sociale est susceptible de prendre des formes radicales de lutte si elle trouve un vecteur qui l’organise. […] On comprendra que le monde du pouvoir et du profit sans borne a tout intérêt à nous criminaliser en disposant de notre mémoire et de nos vies comme d’un crachoir.

Hamé (La Rumeur)

 
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