Reportage : Gaza : entre chaos et colère




Il y a sept ans, avec la complicité de la « communauté internationale », les dirigeants israéliens ont puni collectivement la population de Gaza, accusée d’avoir « mal » voté. Le blocus a transformé la bande de Gaza en champ d’expérimentation où l’occupant réalise la destruction programmée d’une société. Pierre Stambul nous raconte ce qu’il a vu.

Une heure après ma difficile entrée dans ce petit territoire (le 24 décembre), j’étais, avec mes camarades d’Unadikum (voir ci dessous), à l’hôpital. L’armée israélienne venait d’attaquer tout le long de la « barrière de sécurité ». Un tank avait pulvérisé une maison de 25 personnes dans un des camp de réfugiés. Une dangereuse « terroriste », la petite Hala (3 ans) avait été tuée. La famille nous a demandé de filmer son corps et les membres de sa famille blessés puis de témoigner. Ce crime gratuit a suivi plusieurs autres assassinats contre des pêcheurs ou un chiffonnier triant les déchets et elle a précédé des assassinats « ciblés » en janvier. En 7 ans, il y a eu deux grands massacres aux noms poétiques choisis par l’occupant : « Plomb durci » (janvier 2009, 1400 morts) et « Pilier de défense » (novembre 2012, 140 morts). Les exécutions extrajudiciaires à coup de drones ont tué 650 personnes. Cent cinquante paysannes et paysans, et des milliers d’animaux ont été abattus dans les champs. Leur crime ? Leurs champs jouxtent la frontière.

La petite Hala (3 ans), tuée par l’armée israèlienne le 24 décembre 2013 (photo : Pierre Stambul)

Gaza, un laboratoire

La plupart des destructions de 2009 ont été reconstruites malgré le manque de ciment. Mais Gaza est en pénurie permanente. C’est un territoire totalement surpeuplé : 5 000 habitants au km2. Les terres agricoles ne représentent plus qu’un cinquième du territoire. 125 000 familles de paysans survivent avec en moyenne un demi hectare par famille. 34 % des terres agricoles sont situées en bordure de la « barrière de sécurité » et l’occupant tire régulièrement. Le territoire est autosuffisant en légumes, épices et poulets. Tout le reste doit être importé et bien souvent d’Israël. Difficile d’appliquer la campagne de boycott BDS à Gaza qui est un marché captif.
Quand Sharon a « évacué » Gaza, les Israéliens ont creusé de nombreux puits tout le long de la frontière. Ils ont ainsi capté une bonne partie de l’eau de l’aquifère qui vient de Cisjordanie. L’eau de la nappe phréatique ne suffit plus à l’agriculture de Gaza. Le manque d’eau dans la nappe a provoqué une infiltration d’eau de mer. L’eau est saumâtre à Gaza. Elle est encore utilisable pour l’irrigation (pour combien de temps ?), mais elle est totalement impropre à la consommation domestique.

Le port de Gaza (photo : Pierre Stambul)

Les tunnels de Rafah ayant été détruits par l’armée égyptienne, les produits pétroliers (subventionnés et donc bon marché en Égypte) n’arrivent plus. Alors l’essence est devenue rare et hors de prix. Les voitures sont souvent remplacées par les charrettes. La centrale électrique et l’usine de dessalement fonctionnent au ralenti. Il y a au plus six heures d’électricité par jour. Il faut s’adapter et bien souvent avoir recours à un groupe électrogène vétuste et dangereux.

En fait, tout manque à Gaza : les médicaments, le matériel scolaire et des aliments de consommation courante sont très chers car importés (eau potable, viande rouge, œufs, poisson). Gaza était autrefois producteur de fraises, de fleurs, de poisson. Fraises et fleurs ne peuvent plus être exportées. Pour la pêche, la marine israélienne interdit de s’éloigner des côtes. Elle tire régulièrement et confisque les bateaux. Il n’y a pas de poisson sur la côte. Les 4 200 pêcheurs ont connu de nombreux drames et sont dans la misère.

« Nous voulons vivre comme des êtres normaux ». C’est le cri que j’ai entendu de tous mes interlocuteurs, avec souvent une grande nostalgie de l’époque où la population n’était pas en cage et pouvait sortir, y compris pour travailler en Israël.

Photo : Pierre Stambul

Il y a une grande colère contre la « communauté internationale » : « Pourquoi ceux qui donnent l’ordre de tirer sur des civils ne sont-ils pas poursuivis ? Les droits de l’homme s’appliquent partout, sinon c’est de la discrimination ». Cette impunité choque d’autant plus que la population est « punie » collectivement, ce qui est contraire à toutes les conventions internationales.

Il y a une grande colère contre les deux partis dominants (Fatah et Hamas) et contre les deux gouvernements rivaux : « Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. Ils ne pensent qu’à leur propres intérêts. Mais tous les deux sont en échec. Nous avons un problème de leadership. La division palestinienne est insupportable avec une responsabilité partagée. Les deux gouvernements sont illégitimes. On n’a même plus le droit de choisir nos dirigeants. On a deux parlements, deux gouvernements, deux lois. Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? » Certains ajoutent que si on votait librement, le Fatah perdrait à Ramallah et le Hamas perdrait à Gaza. « Qui profite du printemps arabe ? Les États-Unis, l’Arabie Saoudite ! »

La gauche palestinienne

Photo : Pierre Stambul

On a tendance à imaginer un territoire à Gaza soumis à une dictature intégriste. En fait, les signes extérieurs de religiosité sont plutôt moins nombreux qu’en Égypte. Et les gens n’ont absolument pas peur de s’exprimer. Les responsables que j’ai pu rencontrer appartiennent principalement à la gauche palestinienne, politique, syndicale ou associative. « Notre rêve, c’est un seul État, notre référence c’est Mandela. Nos dirigeants sont stupides. Rien ne changera avec Abou Mazen. » Troisième parti palestinien, le FPLP essaie de regrouper un troisième pôle politique avec d’autres partis (Initiative palestinienne, parti communiste …). Il a renouvelé (en la rajeunissant et en la féminisant) sa direction. Nombre de ses militantes et militants sont actifs dans le domaine associatif (jardins d’enfants, hôpitaux). Ce sont logiquement des militants de cette mouvance qu’on rencontre au PCHR (Centre palestinien des droits de l’homme) et à l’UAWC (syndicat des comités de travailleurs agricoles). Le PCHR enquête sur toutes les exactions commises par l’occupant mais aussi sur les violences interpalestiniennes. Ses rapports sont diffusés partout et ont beaucoup servi aux rapports internationaux (Dugard, Falk, Goldstone) sur Gaza. Il intervient aussi pour dénoncer, chiffres à l’appui, les conséquences de la pénurie. Il s’adresse directement aux instances internationales. L’UAWC défend quotidiennement les paysannes et les paysans et les pêcheurs régulièrement agressés. Il essaie de leur venir en aide avec du matériel en ayant conscience que, sans solution politique, c’est peu de choses. Il appartient à Via Campesina.

Pour conclure sur ce bref aperçu, il est temps de remettre la question de Gaza au centre de nos luttes, de dénoncer inlassablement le blocus et d’aller là-bas. Ce peuple ne mérite pas d’être abandonné.

Pierre Stambul


ÉGYPTE, UNE CONTRE-RÉVOLUTION QUI MENACE GAZA

Il y a eu fin juin 2013 un authentique mouvement populaire de très grande ampleur contre les Frères musulmans. L’armée égyptienne a instrumentalisé cette révolution pour faire un coup d’État militaire.

Dans l’acte d’accusation pour lequel Morsi risque la peine de mort, il y a le fait « d’avoir comploté avec le Hamas, le Hezbollah, Al-Qaïda et les Gardiens de la révolution iranienne (!!) » et d’avoir fait une visite officielle à Gaza quand il était au pouvoir.

Parce que, historiquement, le Hamas a été la branche palestinienne des Frères Musulmans, les militaires égyptiens ont décidé, comme les Israéliens, de punir collectivement la population. En quelques jours, ils ont réalisé ce que, ni Moubarak, ni l’armée israélienne n’avaient pu faire : détruire la plupart des tunnels. Ils ont ainsi provoqué à Gaza un véritable chaos économique avec notamment une pénurie généralisée de produits pétroliers et d’électricité.

Alors que la frontière entre Israël et Gaza à Erez est fermée sauf très rares exceptions, celle de Rafah entre l’Égypte est Gaza est en moyenne ouverte deux jours consécutifs alternant avec 15 jours de fermeture. Pour arriver à Rafah, il faut subir dans la traversée du Sinaï des contrôles musclés : soldats tirant en l’air, bagages jetés à terre, véhicules détournés sur des petits chemins. Le prétexte (la présence de « terroristes » dans la région) semble tout à fait irréel. À la frontière, on a attendu des heures, le but étant d’humilier les Palestiniennes et les Palestiniens.

L’armée égyptienne a déclaré que les Frères musulmans étaient une « organisation terroriste ». Conséquence, elle va vouloir renverser le gouvernement de Gaza et en attendant, elle collabore activement avec les Israéliens pour boucler le territoire.

Pierre Stambul


UNADIKUM : DES BRIGADES INTERNATIONALES POUR LA PALESTINE

Il est stupide de vouloir opposer les différentes formes de solidarité avec la Palestine. Elles sont complémentaires. Il y a le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), il y a les flottilles et il y a Unadikum qui se réclame de la mémoire des brigades internationales. L’association a été fondée par un communiste espagnol (Manu Pineda), mais ses militantes et militants viennent de différents pays et sont d’idéologies diverses. Je suis rentré à Gaza avec des Espagnol-e-s d’Unadikum et de la CNT. Leurs discussions idéologiques avec Manu étaient plaisantes.

On ne rentre pas à Gaza sans autorisation des autorités égyptiennes et l’invitation d’Unadikum est souvent indispensable.

Unadikum assure la protection des paysannes et des paysans dans les champs qui jouxtent la frontière et celle des pêcheurs en mer. L’association intervient à Gaza dès qu’il y a eu une attaque, une violation des droits de l’homme, une situation tragique et elle témoigne. Unadikum fait venir à Gaza des internationaux, mais aussi des médicaments.

L’appartement d’Unadikum à Gaza est devenu un lieu de rencontre et de débats. L’association est connue dans tout Gaza. Ils/elles disposent de l’aide de militants palestiniens, de véhicules pour se déplacer et d’informations immédiates.

Grâce à eux, j’ai pu rencontrer en très peu de temps de nombreux interlocuteurs. Si j’avais eu plus de temps, j’aurais pu rencontrer le Hamas et séjourner dans des camps de réfugiés.

Pierre Stambul

 
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