Résistances : Combattre l’agression publicitaire




Depuis novembre dernier est apparu un nouveau mode d’action militante visant les supports publicitaires, au premier rang desquels les affiches 4x3 du métro. C’est la première fois que la critique antipublicitaire s’incarne dans un mouvement de protestation et d’action de cette importance.

Jusqu’alors, si le rejet de la publicité pouvait être présent chez de nombreux militants, seules quelques petites structures mettaient en avant la nécessité d’en faire une lutte : Paysages de France, Casseurs de pub et Résistance à l’agression publicitaire (RAP), pour qui elle prenait la forme de la diffusion d’arguments antipublicitaires, de recours juridiques ou de pressions sur les élus.

Des actions collectives de désobéissance avaient toutefois déjà eu lieu. Yvan Gradis (par ailleurs cofondateur de RAP) a organisé depuis trois ans une quinzaine d’actions « au grand jour » visant des cibles publicitaires soigneusement choisies ; elles rassemblaient souvent une centaine de personnes, et il en assumait la responsabilité pénale. Autre précédent : un groupe de lycéens disséminant des autocollants « marre de la pub » a été à l’origine d’une action d’envergure dans le métro, rassemblant une centaine de personnes. Enfin, des artistes comme Tom Tom ont régulièrement détourné, à coup de pinceaux ou de cutter, des panneaux publicitaires, essentiellement dans le XIe arrondissement.

Premières grandes actions

Mais les actions menées depuis novembre ont une autre ampleur. Dès la première (17 octobre 2003), trois cents personnes, réparties sur plusieurs grandes stations parisiennes, ont participé au barbouillage des 4x3 du métro. Ce premier rendez-vous avait été diffusé par Internet, ainsi que par des tracts. Il consistait en un appel d’« enseignants, chômeurs, chercheurs, intermittents... ». Cette initiative partait en fait d’une coordination d’intermittents, mais leur souhait était que tout le monde se l’approprie et la répète de manière autonome. L’idée première était de recouvrir les affiches de grandes croix noires, ce qui n’a pas empêché une expression plus complète par des phrases écrites à la bombe ou au marqueur.

À chacun des deux rendez-vous suivants, le nombre des participants a augmenté, mais le dispositif policier également, le point d’orgue étant la troisième action le 28 novembre 2003, où 275 personnes ont été arrêtées par les CRS avant même d’avoir pu agir. À partir de ce moment-là, la tactique a dû évoluer pour éviter la répression systématique : les rendez-vous ne pouvant plus être annoncés largement par Internet, des petits groupes autonomes ont émergé, naissant des contacts pris lors de ces premières actions. Ce fonctionnement décentralisé qui continue depuis répond à la volonté des initiateurs du mouvement. Toutefois, ces quelques groupes ne représentent pas autant de militants que les grandes actions du début, et n’ont donc pas leur impact.

Les groupes autonomes actuels

Ces groupes n’ont pas de liens directs entre eux, ils agissent chacun à leur manière et communiquent par Internet, avec généralement un petit noyau entouré des réseaux de chacun. Ce sont des rassemblements d’individus plutôt que des collectifs structurés autour d’une réflexion commune : le débat n’existe pour l’instant que sous la forme d’échanges interindividuels et non sous la forme de prises de décision collectives, que ce soit sur les mots d’ordre, les arguments, ou même sur les modes d’action, qui sont proposés et entérinés au fur et à mesure, les groupes tirant parti (ou pas) des expériences pour modifier leur façon d’agir.

Ces modes de fonctionnement ont l’avantage de brouiller les pistes, de par leur caractère informel (pas de réunions préalables), mais ce « joyeux bordel », où chacun apporte ses idées et s’exprime à sa manière, a pour inconvénient d’aboutir à une juxtaposition d’opinions individuelles plutôt qu’à une réflexion collective, et à un certain manque de lisibilité. Certains points non débattus peuvent même, à mon avis, être contre-productifs, tels le barbouillage des affiches « culturelles » ou l’inscription de messages anarchistes « de base » (ce qui ne sert ni l’anarchisme ni la lutte antipublicitaire, mais renforce l’association de ces deux idées à celle de vandalisme).

Il est en tout cas certain qu’un fort sentiment libertaire, conscient ou inconscient, anime ces luttes, mais il s’exprime plutôt sous sa forme individualiste, le temps de l’action n’étant pas précédé d’un temps de débat, ces groupes « affinitaires » n’existant que par et pour l’action.

Une des dernières formes prise par cette lutte consiste à scotcher, de manière volante, des tracts aux panneaux publicitaires : l’effet obtenu est très intéressant, les feuilles suspendues en nombre s’agitant au passage des rames, les voyageurs intrigués étant nombreux à décrocher ces textes et à les lire. Il y a d’ailleurs de plus en plus de textes, plus ou moins longs, qui circulent sur les publicités, certains envisageant même cela comme un média alternatif à part entière. Il reste que ces messages auraient plus d’impact s’ils étaient choisis, voire élaborés, collectivement, évitant de recréer un fouillis d’images et d’informations parmi le fouillis d’images et d’informations qui nous assaille déjà.

Sébastien Marchal

Infos : www.stopub.tk

 
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