Russie : tout sauf Poutine ?




A deux reprises depuis les élections parlementaires du 4 décembre, des dizaines de milliers de Russes ont défié le pouvoir corrompu et fatigué du couple Poutine-Medvedev. Après 1905, février et octobre 1917, décembre 1991, peut-il y avoir une cinquième révolution russe ?

Les changements systémiques en Russie ont souvent été le fait de minorités actives bénéficiant de la passivité bienveillante des masses : en octobre 1917, le parti bolchevik ne compte que quelques dizaines de milliers d’adhérents mais il saura profiter de la lassitude du peuple. En promettant du pain, la paix et la terre, il disputera la maîtrise de la ligne de masse aux socialistes révolutionnaires pour installer son pouvoir dictatorial et réduire au silence les opposants.

En décembre 1991, les peuples de l’ex-URSS, les Russes plus que tout autre, assistent au changement plus qu’ils ne le provoquent. Les acteurs de la chute du régime soviétique, ne sont là encore que des minorités agissantes.

Vingt ans après la chute de l’URSS, un tel scénario pourrait se reproduire. La nervosité de l’oligarchie poutinienne face aux mobilisations – dans la rue ou sur Internet – trahit son manque de confiance dans ces masses, qui de nouveau, pourraient choisir de rester spectatrices d’un changement animé par quelques activistes.

Déborder les nationalistes

Dans un tel contexte, on comprend le choix fait par la gauche révolutionnaire russe et par nos camarades d’Action Autonome (AD en russe) en particulier, de donner un caractère réellement révolutionnaire au processus en cours. AD, après avoir appelé au boycott des élections du 4 décembre, réaffirmant son choix de l’autogestion, se retrouve paradoxalement dans un attelage qui réclame avant tout « des élections propres » et la condamnation de la fraude électorale.

Si le mouvement semble uni pour dénoncer Poutine et sa clique comme le « Parti des escrocs et des voleurs », son contenu social reste extrêmement faible. Les principales forces qui l’animent, bien loin de remettre en cause le capitalisme, s’en tiennent, comme le courant ultra-libéral (dévastateur lorsqu’il fut au pouvoir dans les années 90), à une dénonciation de la corruption de l’appareil d’Etat. Leur objectif est de libérer le marché des pesanteurs qui oppriment les profits, et dont le ticket d’entrée que représente la corruption devient intolérable. La tentation est alors grande d’utiliser la rue pour faire sauter le verrou d’un capitalisme trop étatique à leurs yeux.

Le 10 décembre, seule une poignée de manifestants faisait le procès d’un régime aux mains tâchées du sang de plus de 200 000 Tchétchènes, distillant un racisme d’Etat qui imprègne toutes les strates de la société russe. De ce point de vue, la popularité du néo-fasciste Alexei Navalnï, héros de la blogosphère russe, a de quoi inquiéter. Ses clips sur Internet sont sans équivoque : grimé en professeur Nimbus, il explique que les Caucasiens, doivent être éradiqués comme des « tarakani » : cafards et autres insectes nuisibles.

Comme les révolutions arabes, la cinquième révolution russe est menacée de confiscation : si des aspirations sociales et libertaires s’expriment aujourd’hui en Russie, elles doivent lutter et vaincre face aux tendances nationalistes, fascisantes ou ultra-libérales.

Pierre Chamechaude

 
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