SNCF : point de vue d’un anarcho-syndicaliste de la CGT




Lionel, membre de la CGT nous livre ici ses analyses sur le fonctionnement de la Confédération.

Membre de la CGT, et plus particuliérement du syndicat CGT des cheminots d’Ambérieu, depuis fin 1998, je milite et j’ai pris des responsabilités syndicales depuis début 2000. Notre syndicat a vu une nouvelle équipe arriver à son congrès de 1996 qui a impulsé une nouvelle politique syndicale axée sur les thèmes suivants : intégrer au maximum tous les services du site à la vie du syndicat et promouvoir le travail en interpro des militants du syndicat, favoriser la démocratie et partager les mandats et enfin organiser la passation de mandats à une nouvelle équipe courant 2005.

Depuis 2001, nos relations avec notre fédération se sont tendues car nous avons une vision du syndicalisme beaucoup plus politique, révolutionnaire et démocratique que notre fédé. Je partage mon engagement anarcho-syndicaliste avec deux camarades syndiqués (nous sommes également membres du Réseau libertaire de l’Ain). Notre dernier conflit avec la fédé porte sur les méthodes anti-démocratiques et le non-sens de la signature CGT de l’accord sur la prévention des conflits à la SNCF. Voilà la situation : une majorité de syndiqué(e)s nous ont renouvelé leur confiance sur nos dernières décisions face aux attaques des fédéraux lors d’une assemblée générale le 16 mai 2005. La totalité de la commissions exécutive maintient le cap face à la fédé.

Dans un souci de dialogue constructif et pour informer un maximum de syndiqué(e)s sur ma vision des faits, j’ai transmis le même courrier [1] par mail à toutes les fédés CGT. Acte insupportable pour la fédé des cheminots car, par la voix du secrétaire général du secteur de Chambéry via l’Union départementale de l’Ain, j’ai reçu un rappel à l’ordre.

cheminots CGT Face à la bureaucratie

Militant au syndicat CGT des cheminots d’Ambérieu-en-Bugey (dans le département de l’Ain, dépendant du secteur des cheminots CGT de Chambéry), je lance des pistes de réflexion à l’approche du prochain congrès confédéral CGT de 2006. Cela afin de tenter de tirer un bilan des transformations du paysage syndical et politique et de clarifier les causes et conséquences des difficultés du monde salarial pour se mobiliser. Pour cela je vais revenir sur « l’accord sur le dialogue social à la SNCF » signé par différents syndicats (dont la fédé CGT) en octobre 2004. Je voudrais informer le maximum de personnes, en donnant mon point de vue, sur les points suivants :

« Consultation » de la base

Par consultation, entendons procédure « démocratique » de la fédération CGT des cheminots avant la signature dans mon syndicat, puis à l’échelon régional, pour avoir l’avis des syndiqués et le transmettre à la fédération.

18 octobre : la direction SNCF réunit les fédérations syndicales pour présenter et débattre du texte sur l’amélioration du dialogue social et la prévention des conflits.

20 octobre : la fédé CGT transmet à tous les syndicats un compte-rendu de la réunion et propose le plan de travail suivant (jusqu’au vendredi 29 octobre, date de la signature du texte)

21 octobre : remise du texte définitif aux fédérations, décision de la fédé d’organiser des débats dans tous les syndicats sur le texte, réunion de la Commission exécutive (CE) de la fédé CGT le 27 octobre à Paris.


Jeudi 21 octobre
 : le secteur de Chambéry transmet le texte définitif aux syndicats, annonce une conférence téléphonique pour le 26 octobre à 18h. Il demande d’ici là de réunir les syndiqués pour avoir un avis de la base.


Lundi 25 octobre
 : Avec difficulté, vu le temps restreint, nous réunissons 25 syndiqués pour débattre du texte. Après lecture du texte et un débat, à l’unanimité nous nous prononçons contre la signature par notre fédération.


Mardi 26 octobre
 : la conférence téléphonique réunit 11 délégués de syndicats (représentant la majorité des syndiqués du secteur) sur 19 syndicats du secteur de Chambéry, un représentant fédéral et le secrétaire général du secteur de Chambéry, tous 2 élus à la CE fédérale.

D’un tour de table, il ressort que :

Peu de syndicats ont pu réunir, comme à Ambérieu, suffisamment de syndiqués pour étudier et débattre du texte. Donc l’avis donné sera généralement purement personnel et sans avoir analysé la situation et le texte. Le représentant fédéral a rappelé le contexte politique (une majorité UMP/Medef très offensive et des « difficultés » dans le paysage syndical) et annonce que la CGT a tout intérêt à signer le texte.

Cinq syndicats sont contre, un ne se prononce pas (alors que son représentant à la conférence téléphonique est élu à la CE fédérale et devra voter le 27 octobre), quatre sont pour une signature mais avec des réserves sur le texte ou un avis très incertain, et un seul est pour.

En conclusion, le secrétaire général du secteur de Chambéry prend acte qu’une majorité du secteur de Chambéry est contre, mais il ne veut pas porter la responsabilité d’une future loi en cas d’échec des négociations.


Mercredi 27 octobre
 : Le secrétariat du secteur de Chambéry (qui n’a aucun mandatement des syndicats pour) se réunit au matin pour débattre du texte. À l’unanimité, il se prononce pour la signature.

À 9h30, une dépêche AFP annonce, selon des sources proches du dossier, la décision de la CGT de signer le texte. Dans la journée la Commission exécutive fédérale de 88 élus n’a pu réunir que 67 personnes seulement (dont les deux élus du secteur de Chambéry). Le vote sera le suivant : 66 votes pour, 1 contre.
La CGT signe

En conclusion, je pense qu’un petit groupe de permanents à la fédération CGT (ayant leur place grâce aux résultats des élections locales et donc grâce aux cheminots) ont décidé de négocier sur la prévention des conflits sans mettre les moyens nécessaires pour informer et laisser juger une majorité de syndiqués sur les propositions de la direction. Puis, ils trouvent la porte de sortie en suivant le calendrier et en mettant en place une stratégie verrouillant la décision de la fédé CGT : présentation du texte définitif le 21 octobre aux syndicats pour une signature le 29, position de la CGT à définir le 27 donc en moins de 6 jours, en sachant qu’il y avait un week-end, décision qui est prise par une CE incomplète, regroupant des personnes qui n’ont sûrement pas organisé des débats sur le document, voire suivi l’avis exprimé par leurs syndiqués, une décision fédérale imposée, depuis bien longtemps, par un noyau de gens et par un lobbying intensif.

Tout cela sent trop la perte de volonté de défense des salariées, l’envie d’aller vers un syndicalisme d’accompagnement sans vague, une perte de conscience politique de dirigeants syndicaux. Que dire de ces permanents qui ont un beau discours sur démocratie syndicale, la place du syndiqué, mais qui ne veulent que faire du chiffre : ratisser large, donc mollement, pour faire des cartes et remplir les caisses des structures, bosser dur pour les prochaines élections professionnelles. Car si la CGT perd des voix, ce sont leurs places de permanents qui sautent, faire plaisir à une majorité de politiques (du centre vers la droite), aux usagers, et au patronat.

Les syndiqué(e)s n’ont pas à décider, ils doivent obéir à leurs gentils représentants qui font leur bonheur. Ils accompagnent le changement de société, mais vers une société voulue par nos politiques et experts en tout genre. Pour les structures syndicales, finie la lutte vers un monde meilleur pour la majorité des salarié(e)s, précaires, chômeuses et chômeurs, et retraité(e)s.

Quelle démocratie ouvrière ?

Je n’oublie pas la procédure sur l’accord donné par le collectif national (CTN) agent de conduite (ADC) sur la réforme de la filière Traction. Celle-ci provoquera une déqualification des différents métiers de conducteurs d’engins ferroviaires, afin de ramener leur statut social au niveau des nouveaux entrants, donc de baisser les coûts salariaux. Que dire des procédés utilisés par le CTN ADC pour présenter leur aval comme un fait démocratique et représentant l’opinion majoritaire des conducteurs syndiqué(e)s CGT ?

Le nombre de sections techniques ADC dans les syndicats ayant organisé une consultation, le nombre de participants, le nombre d’agents pour la réforme sont inconnus. Tout cela est très proche de la manipulation orchestrée par la fédé CGT concernant l’accord sur le dialogue social. Aux diverses structures syndicales je ne demande que : respecter, former, informer la classe salariale, promouvoir et organiser les luttes, respecter les mandatements qu’elles ont reçus. Donc, lors du congrès du syndicat CGT des cheminots d’Ambérieu en Bugey, le vendredi 4 février 2005, nous avons débattu de ces dérives de nos structures fédérales en présence d’un permanent de la fédération CGT des cheminots. La journée fut un désastre en raison du comportement hautain et du discours stérile de ce permanent fédéral. En conclusion de ce congrès et pour clore ce dossier, 12 membres (dont moi-même) de la Commission exécutive ont décidé de sanctionner financièrement la Fédération CGT des cheminots, seul moyen pour pérenniser un syndicat CGT sur le site ambarrois et pour interpeller nos représentants fédéraux.

L’avenir de la CGT

Comme aucun de nos statuts syndicaux ne prévoit de sanctions du bas vers le haut (à part rendre sa carte), notre décision est donc anti-statutaire et motif d’exclusion. Nous sommes devant un problème grave de démocratie, dont les partis politiques subissent de plein fouet les conséquences. Voilà comment j’analyse la perte d’adhérents et de militants des différents partis de gauche et le taux d’abstention ou de vote blanc aux différentes élections politiques. D’autres exemples montrent l’incapacité actuelle de militants syndicaux à fédérer les salarié(e)s et à vouloir peser sur les choix politiques, par l’information et la mobilisation. Notre volonté de fédérer autour d’actions ou positionnements unitaires est essentielle. Mais la réalité du paysage syndical français, qui est connu pour son émiettement et son statut à finalité électorale et de cogestion, nous oblige bien souvent à nous raccrocher mollement à une soit-disant majorité des salarié(e)s peu revendicative et dépolitisée. Il est nécessaire de réformer notre mode de fonctionnement et nos structures, qu’elles soient confédérales et donc fédérales ou dans l’interpro.

Doit-on faire l’impasse sur nos forces révolutionnaires alors qu’elles peuvent être un point de convergence pour les salarié(e)s quand ils choisiront de se syndiquer ou de militer ? Quelle place accorder à nos différentes structures professionnelles (fédération, secteur, syndicat, section technique…) et interprofessionnelles (confédération, comité régional, union départemental, union locale…), quels liens privilégier entre elles et comment coordonner les mobilisations verticales et horizontales ? Comment faire naître une démarche de démocratie participative et horizontale pour que chaque syndiqué(e) devienne l’acteur essentiel de la CGT ? Enfin quelle place doivent avoir les permanents syndicaux ? Quels droits et devoirs doivent les lier à leurs différentes fonctions ? Comment promouvoir des mandats impératifs et révocables dans nos différentes structures ? Ce courrier, et les dernières questions en particulier, n’est pas écrit avec des arrières pensées ou de l’animosité. C’est un choix personnel, qui n’engage que moi. Peut-être que mes décisions et écrits sont manifestement en dehors des statuts de la CGT. Mais il est hors de question pour moi de rendre ma carte ou de rester dans une position attentiste devant l’actualité sociale, politique et syndicale. Je laisse les organismes compétents statuer sur mon cas pour décider de mon exclusion. Je pense qu’il est nécessaire de s’exprimer quand nous constatons des dérives et qu’il faut choisir entre différentes alternatives. Il ne faut pas attendre des congrès, simples grand-messes stériles. J’espère que ce courrier va lancer un débat sans animosité, sans utilisation de la langue de bois et sans rechercher un consensus aseptisé.

Lionel Gimbert (militant CGT, anarcho-syndicaliste)

[1C’est ce texte, que ce camarade nous a transmis, qui est reproduit ci-dessous. Les titres et intertitres sont de la rédaction d’AL.

 
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