Privatisation

SUEZ-GDF : Une fusion acide




Un an et demi, à peine, après la loi transformant EDF et GDF en sociétés anonymes, quelques mois seulement après l’ouverture de leur capital respectif, le gouvernement tente maintenant d’accélérer, par le biais d’une fusion avec Suez, la privatisation de GDF.

Depuis la mi-février, malgré les prétextes invoqués comme autant d’étendards (le patriotisme économique, le projet industriel, les créations d’emploi), les informations livrées quotidiennement par la presse économique, mais également par les organes de communication internes à ces sociétés, finissent de nous convaincre que ce projet de fusion entre Suez et Gaz de France ne doit rien à l’impérieuse nécessité de contrer une OPA hostile, étrangère de surcroît. Bien au contraire...

Nous savons maintenant que cette affaire a été rondement préparée entre les différents protagonistes qui partagent ce même objectif depuis plusieurs années. Mais dans ce contexte politique plutôt tendu, il leur fallait attendre le moment opportun pour faire part de leur mariage. Les révélations faites par la presse sur les intentions du groupe italien Enel de mener une OPA allaient leur fournir cette occasion. Fait exceptionnel et néanmoins curieux, il est excessivement rare, en effet, qu’un groupe annonce avec autant de fracas, et longtemps à l’avance, ses intentions de mener une telle opération, surtout si elle est déclarée hostile... Comme si le capitalisme pouvait être d’une autre nature !

Manœuvres et propagande

La guerre économique est comme toutes les guerres : sa justification est avant tout affaire de propagande. Et plus la propagande est efficace, plus la guerre se justifie. Ici aussi, on retrouve donc le même système qui permet de travestir le libéralisme économique en solution indépassable. Dans cette nouvelle bataille du capitalisme contre les services publics, chaque nouvel assaut s’accompagne de son lot de déclarations aux intentions multiples et contradictoires.

Mais n’en doutons pas, le projet de fusion entre GDF et Suez, s’il aboutit, ne constitue qu’une étape supplémentaire dans le cadre de la privatisation totale du service public de l’énergie. Les surenchères faites par les différents protagonistes, qu’ils soient gros actionnaires, patrons de Véolia, de Suez ou d’Enel, sont autant d’effets de manche qui indiquent que la partie de Monopoly est loin d’être achevée.

Ces deux dernières semaines ont été riches en révélations : ainsi, le 4 mai, lors d’une conférence donnée à propos de leur projet, Gérard Mestrallet (PDG de Suez) et Jean François Cirelli (PDG de GDF) ont annoncé qu’ils avaient revu à la hausse le montant des synergies (traduisez des bénéfices) attendues du rapprochement. Ils estiment à 1,1 milliard d’euros le montant des économies que ce nouveau groupe pourra réaliser chaque année, d’ici 2012. Quant à l’aspect social inhérent à ce projet, le patron de GDF a répondu qu’« il n’y aura pas de recoupement majeur » en se gardant bien d’évoquer le sort des 63 000 agents mixte des services de distribution communs avec EDF. Avec la même pudeur, le PDG de Suez, a dit que l’impact social sera « extrêmement limité, à l’échelle de ses 200 000 collaborateurs ». Qu’en termes élégants, ces choses désagréables sont joliment dites...

Pendant que certains font encore mine de croire que c’est GDF qui prendra le contrôle du groupe Suez, le 12 mai, Les Échos annonçaient que l’État pourrait renoncer à la minorité de blocage, c’est-à-dire descendre sa participation dans le capital de GDF en dessous des 34%. En quoi la privatisation de GDF et la fusion protègera le nouveau groupe d’une autre OPA ? En rien ! C’est comme un sentiment de déjà-vu : l’histoire France Télécom. Ici aussi, les « garanties » données par le gouvernement de ne pas descendre en dessous des 70% du capital des entreprises de services publics ne furent que du vent !

Là comme ailleurs, le gouvernement ne se montre pas avare en contradictions. Ce projet de fusion est en totale opposition avec la politique de défense du secteur public qu’il revendique. Mais que leur importe, puisqu’au final ce seront les usager(e)s qui paieront des factures de plus en plus lourdes, et pour un service de moins bonne qualité.

Autre tarte à la crème : de quelle nature sera le « projet industriel » dès lors qu’on sait que les actionnaires sont tout sauf des industriels, et que l’augmentation de leur rente les préoccupe davantage que le développement du service rendu au public ? Vers plus de nucléaire sans doute ?

N’oublions pas non plus la dimension européenne de cette affaire : alors que le référendum a porté le refus d’une constitution procapitaliste, le gouvernement poursuit sa route tambour battant.

Démission syndicale

Du côté des salarié(e)s, suivant qu’ils se trouvent chez GDF ou Suez, les perceptions de la fusion sont différentes et les résistances ont été inégales. Pour autant, ce constat ne relève en rien d’une évidence. Nous avons cru, par le fait que plusieurs sociétés productrices d’énergie appartenant au pôle énergétique français du groupe Suez sont d’anciennes filiales d’EDF (la Compagnie nationale du Rhône, la Compagnie parisienne de chauffage urbain) et que leurs personnels y ont le même statut social (celui des industries électriques et gazières), que l’annonce de cette fusion aurait créé une dynamique de résistance. Or il n’en fut rien.

Par ailleurs, et dans les autres filiales du groupe, compte-tenu de l’avis plutôt favorable des principaux syndicats, dont la CGT, sur la fusion, les mouvements sont restés faibles et disparates.

De fait, c’est chez les agents GDF que les actions de résistance sont les plus fortes, surtout dans les terminaux gaziers.

Encore que, pour évoquer cette résistance, il n’est pas déplacé d’user du passé composé, tant les efforts déployés par les permanent(e)s de la fédération CGT mines-énergie pour décourager la grève reconductible, pourtant votée en AG, ont été constants. De surcroît, si chacun(e) d’entre nous sait que le combat syndical est un exercice difficile, dans ce cas présent, on peut mesurer l’étendue des dégâts, en termes de division - salarié(e)s du public contre ceux et celles du privé - qu’ont causé les stratégies syndicales passées.

Bizarrement, ce sont des événements extérieurs (la bataille contre le CPE, l’affaire Clearstream) qui, pour le moment, freinent la fusion. Car pour la concrétiser, le gouvernement doit encore modifier la loi du 9 août 2004 et saisir le Parlement.

A défaut de mettre à profit ce moment pour arrêter définitivement la privatisation du service public de l’énergie, il sera difficile pour l’ensemble des fédérations syndicales et pour les partis de gauche de justifier leur passivité dans ce combat. Et donc, de regagner la confiance de celles et ceux qu’ils sont censés défendre.

Correspondant Alternative libertaire

 
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