Italie : GI’s, go home !




Le projet de construire une base militaire étasunienne autour du petit aéroport de Dal Molin à Vicence a provoqué l’essor d’un mouvement de masse auto-organisé qui agite le nord est de l’Italie. Cette lutte exemplaire où sont investi-e-s nos camarades de la FdCA laisse espérer un renouveau de l’antimilitarisme dans la péninsule et au-delà.

L’affaire de la base militaire de Dal Molin est née il y a deux ans, d’un accord secret entre le gouvernement Berlusconi, alors au pouvoir, et le maire de Vicence. L’accord portait sur l’accueil d’une nouvelle base américaine, dans une zone d’environ 500 000 m2 (qui pourraient devenir 1 250 000 m2 si on considère l’aéroport lui-même) actuellement verte et totalement entourée par la ville, une superficie supérieure à celle de sa propre zone industrielle. C’en était trop pour une cité qui, jusqu’à présent, avait supporté sans trop se plaindre, tant d’autres installations militaires dans l’agglomération : la caserne Ederle, le site Pluto à Longare, la base de Tormeno, les entrepôts de Torri, la zone d’habitation de Vicence est, la Gendarmerie européenne…

La nouvelle base servirait aux Etats-Unis à réunir en un seul lieu la 173e brigade aéroportée, qui se trouve aujourd’hui en partie à Aviano [1] et en partie en Allemagne. L’objectif étasunien est d’intervenir rapidement dans la région du Moyen-Orient, riche en ressources énergétiques stratégiques. Vicence, selon ce plan, serait donc destinée à devenir un nœud très important pour le nouvel ordre militaire mondial.

Un mouvement bigarré mais uni

Les comités, nés ces dernières années, ont été capables de se coordonner et d’unifier les multiples raisons du « Non » à la base : de l’antimilitarisme à l’écologie [2] ; en passant par la sécurité [3] et les raisons économiques, car contrairement au passé, il est estimé que les retombées en terme d’emplois seraient minimes. Elles ne compenseraient sûrement pas le poids des dépenses d’urbanisme que la base, de par son statut d’extra-territorialité, ne payerait pas. Il s’est ainsi construit un mouvement large et bigarré. Un mouvement capable d’organiser trois grandes manifestations nationales en deux ans, qui ont fait descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes de toute l’Italie (démontrant une excellente capacité à gérer la cité). Un mouvement capable également d’actions rapides et symboliques comme la plantation de 150 arbres dans le périmètre de la base bloquant les travaux de terrassement.

Un mouvement lié aux autres luttes

C’est un mouvement profondément enraciné dans la ville et les communes voisines, capable cependant de dialoguer efficacement avec d’autres mouvements en Italie qui se battent pour affirmer la volonté de sauvegarder les lieux de vie et de décider contre les intérêts du pouvoir, de l’Etat et du marché. L’expérience de Dal Molin est liée ainsi avec celle de No Tav menée par la population piémontaise, contre le tracé d’une voie ferrée à grande vitesse dans le Val de Suse qui est lourd de conséquences écologiques [4]. Ceci vient en rajouter dans une vallée déjà très touchée par les infrastructures existantes, particulièrement ferroviaires, qui pourraient être améliorées et mieux utilisées plutôt que doublées. Dal Molin est aussi en lien avec la lutte de No Inc (« Non aux incinérateurs ») à Palerme et une myriade de mouvements locaux qui luttent pour une gestion du territoire plus participative et démocratique.

La population se prend en main

Pendant deux ans, le gouvernement de centre gauche a, au mieux, été incapable de prendre une position claire. Au pire, entre les entre les intérêts dominants et les engagements qu’il avait pris devant son électorat, il a bien sûr choisi les intérêts dominants. La population, lasse et humiliée par cette crise de la représentativité, (surtout grave pour celles et ceux qui se retrouvent dans la gauche radicale et maximaliste - sic !), s’est secouée dans son propre intérêt. Elle a été capable de choisir l’action directe et la désobéissance civile, spontanée et de rupture, radicalement démocratique, pour pouvoir décider ici et maintenant de leur territoire et de leur vie. Elle a réussi, jusque là et malgré les tentatives, à se maintenir au-delà et au-dessus des manœuvres d’instrumentalisation et de criminalisation dont les mouvements en Italie doivent constamment tenir compte.

La vivacité des habitants et habitantes de Vicence engagés dans la lutte, continue à maintenir toujours haute l’attention de l’opinion publique, même si au niveau national la couverture médiatique reste toujours faible, comme nous l’avons vu le 15 décembre dernier durant la journée internationale de protestation contre la base. Malgré cela, l’action et la volonté de poursuivre la contestation vont de l’avant, même maintenant qu’il semble ne plus y avoir de marge de manœuvre avec les autorités politiques. Ici dans le nord-est, le « Non » à la base développe des pratiques de base qui influencent les diverses composantes présentes dans la lutte. Ceci est plutôt positif par les temps qui courent.

Tenir face à la répression

La phase actuelle voit la politique répressive prendre le même chemin que celle menée ces derniers mois contre No Tav. Il s’agit de l’application du « diviser pour mieux régner », avec l’intensification des tentatives de criminalisation de certains secteurs du mouvement [5], relayées par la presse complaisante, ou en faisant pression sur les secteurs politisés et partitocratiques du mouvement, afin qu’ils reviennent à une optique de pur calcul électoral. Cependant pour le moment la riposte démocratique des comités citoyens semble tenir bon. Ils sont composés de gens ordinaires qui consacrent un après-midi à la récolte de signatures dénonçant les enquêtes sur les actions anti-bases, ou qui boycottent Zonin (colosse vinicole local, coupable de s’être exprimé contre les mouvements), ou la Banca Popolare de Vicence.

Nous, communistes libertaires, rappelons à toutes et tous que la bataille menée par les comités locaux contre la base de Dal Molin est importante parce qu’elle est l’expression d’un mouvement de masse, auto-organisé, démocratique et conscient. Mais elle est aussi importante parce qu’il y a tous les ingrédients pour que de Vicence puisse se consolider et redémarrer un mouvement national et européen antimilitariste et contre les bases militaires, un mouvement qui sache donner une représentation concrète à la lutte contre la guerre et pour la justice sociale, pour construire l’alternative libertaire.

FdCA Nord Est

Traduction et chapeau de Hervé (AL Marseille)

Titre et intertitres de la rédaction d’AL

[1D’où partaient les bombardements contre la Serbie et contre qui se bât depuis des années un comité populaire d’inspiration libertaire, le CUCA 2000.

[2La base serait une plaie environnementale dans un endroit gravement touché.

[3En Italie le souvenir du désastre de Cermis est encore vivace : les pilotes d’un avion étasunien volant à très basse altitude firent 20 morts restées impunies. Sans parler du fait que la base ajouterait 2 000 soldats étasuniens de plus à ceux qui déjà tournent dans Vicence et alentours, comme tous soldats en permission, et qui se sentent absolument légitimés de faire comme bon leur semble.

[4Sur le versant italien il y a des formations géologiques contenant de l’amiante naturelle, et les études effectuées sur l’impact environnemental sont fortement contestées à cause de leurs lacunes et de leurs inexactitudes.

[5Depuis peu le préfet de police de Vicence a été remplacé par Giovanni Sarso ex-chef de la Digos (Police « antiterroriste » - NdT) de Turin où, ces dernières années la répression a été particulièrement forte contre les mouvements.

 
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