Economie

Dossier Palestine : Colonisation : et voilà le travail




Chômage de masse, travail au noir de l’autre côté du Mur,
usines israéliennes dans les « zones franches » de Cisjordanie... Aborder la Palestine par l’aspect économique et social permet de saisir autrement l’ampleur de l’assujettissement auquel font face les Palestiniennes et les Palestiniens. Illustration.


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Les années se suivent et se ressemblent en Palestine. Chaque nouveau rapport sur l’état du marché du travail en Cisjordanie ou à Gaza décrit une dégradation de la situation. En 2004, moins de la moitié des hommes et moins de 10 % des femmes de Cisjordanie et de la Bande de Gaza travaillaient. Les Sumr*, la communauté noire palestinienne, est particulièrement touchée.

Le chômage ? La Chambre de Commerce à Gaza en publie le taux dans ce petit bout de terre : seulement 35 % des adultes en âge de travailler ont un emploi. Crise sans précédent à laquelle les Palestiniens ne font face qu’avec l’aide alimentaire internationale – la Palestine est aujourd’hui le premier bénéficiaire des fonds gérés par les ONG du monde entier. Un cas d’école pour tout ce que la planète compte d’humanitaires ? Ce serait oublier les causes de la catastrophe dans les Territoires occupés : le vol de la terre et de l’eau, les entraves permanentes à la circulation, à l’importation et à l’exportation des marchandises... La mise en œuvre par Israël d’une politique préméditée et calculée pour interdire tout développement.

Un réservoir de main d’œuvre à bas coût

Comme dans toute situation coloniale, la puissance occupante joue depuis 1967 utilise les Territoires occupés pour assurer sa prospérité. Gaza et la Cisjordanie sont un réservoir de main d’œuvre à bas coût dont les entreprises israéliennes ont besoin.

La terre palestinienne permet aux entreprises les plus polluantes de s’implanter sans avoir de comptes à rendre. Les marchés de Naplouse, Hébron, Ramallah… sont autant de places commerciales captives où les producteurs israéliens peuvent déverser leurs produits hors concurrence. Il ne s’est jamais agi pour Israël de développer les Territoires occupés, encore moins d’utiliser la qualification des travailleuses et des travailleurs palestiniens. Si au lendemain de la guerre des Six Jours, le gouvernement israélien a décidé d’ouvrir son territoire aux travailleurs palestiniens, c’est pour détourner la résistance qui s’organise en Cisjordanie et à Gaza vers la constitution d’une main d’œuvre destinée à faire tourner ses industries à bas prix.

Les marchés du travail palestiniens sont asséchés du même coup et le développement autonome entravé. Lorsque, dans les années 1990, Israël décide de délocaliser ses industries de main d’œuvre en Palestine, elle le fait pour une raison très claire : les nouvelles technologies de l’information et de la communication promettent de beaux profits.

L’immigration russe amène dans le pays des ingénieurs qui lui permet de restructurer l’économie. Exit donc les ouvriers palestiniens des usines d’Israël. A lui les industries du futur à forte valeur ajoutée ; aux Territoires occupés les industries traditionnelles, de main d’œuvre, qui vont devoir affronter la concurrence des pays émergents sur des terrains industriels en perte de vitesse. Chacun dans son coin… Jusqu’à la politique d’étranglement des territoires auquel on assiste actuellement.

Trois solutions pour trouver du travail

Aborder la Palestine par Ramallah comme le font tous les étrangers, c’est découvrir une exception. Banques et grandes entreprises de l’industrie ou des services y sont concentrées. Les capitaux des Palestiniens de l’étranger coulent à flot. Ramallah n’est pas « la » Palestine. C’est la destination vers laquelle les travailleurs de la Cisjordanie toute entière se déplacent dans l’espoir de se construire un avenir. La situation est fort différente à Bethléem, Hébron et Naplouse. Gaza, avant le bouclage, était une ville riche, qui aujourd’hui sombre dans la misère.

Il n’y a jamais que trois solutions pour trouver un emploi : l’entregent personnel – relations et diplômes. Rejoindre l’une ou l’autre des dizaines d’ONG qui fleurissent dans les Territoires occupés ou se faire embaucher dans la fonction publique. Et enfin, pour les moins dotés, et réservée désormais aux seuls habitants de Cisjordanie : se faire ouvrier clandestin en Israël. Trois manières de se projeter dans l’avenir qui ont ceci en commun d’être soumis au bon vouloir de l’autre.

L’autre ? C’est la puissance occupante qui arrête, réprime et emprisonne ceux qui franchissent clandestinement le mur ; ce sont les donateurs internationaux qui distillent leurs aides selon leur intérêt à soutenir telle ou telle faction politique au pouvoir. Fermez les frontières et supprimez l’aide étrangère et plus rien n’existe, plus aucune économie en Palestine. Hormis l’agriculture, bien sûr… mais encore faut-il que les produits récoltés puissent transiter.

Colonies industrielles

Comme entre les Etats-Unis et le Mexique, il existe à la frontière des colonies industrielles. L’une des plus connues de ces zones franches est Tulkarem. Plus loin en Cisjordanie, une autre colonie prospère : Barqan, où des usines israéliennes sont implantées pour produire à bas prix et contourner la législation environnementale qui s’applique de l’autre côté du Mur.

Ce sont des zones de non-droit, au sens propre : si le droit israélien s’y appliquait, les Palestiniens devraient reconnaître que la Cisjordanie ne leur appartient plus ; si c’est le droit palestinien, il faudrait accepter des conditions de travail bradées. S’y implanter fait le bonheur des patrons de la métallurgie ou de la chimie israélienne. L’encadrement est israélien, la main d’œuvre palestinienne, chinoise ou roumaine. Il fut un temps où travailler dans ces lieux étaient très mal perçu, celui qui s’y risquait était frappé d’indignité. Aujourd’hui, la donne a changé. Chacun prend ce qu’il trouve et nul ne l’en blâmera.

Avant l’arrivée au pouvoir du Hamas, on sortait encore un peu de la bande de Gaza pour aller travailler à Tel-Aviv, Ashdod ou Beer Sheva. Un « avantage » souvent cher payé. Les services secrets israéliens attendent les travailleurs à la frontière et prorogent le permis contre des informations d’abord anodines, et stratégiques pour finir : simple exercice de chantage. A bout de forces, certains se laissaient tenter.

Aujourd’hui, en Cisjordanie, le problème demeure sauf à choisir la clandestinité, l’absence pendant des semaines pour percevoir un salaire de misère contre un travail au noir : c’est ce quotidien qui attend les candidats…

Syndicats indépendants

Des résistances, il en existe, bien sûr. Deux structures syndicales cohabitent : la PGFTU (historique), et le DWRC, ONG de défense des droits du travail créée par des militants de la gauche palestinienne qui ont aussi monté des syndicats indépendants qui se multiplient aujourd’hui. Mais ces organisations ont peu de prise sur les véritables problèmes de la majorité des travailleurs : chômage et clandestinité en Israël.

Deux expériences originales néanmoins ont eu lieu : celle du PGFTU de Qalqiliya (Cisjordanie) pour défendre les Palestiniennes et les Palestiniens employés dans les zones franches. L’autre, c’est le combat longtemps mené par le comité des chômeurs DWRC de Khan Younès, dans la bande de Gaza, pour créer une sorte de protection sociale des demandeurs d’emploi.

La marginalité de ces expériences s’explique par la difficulté des militantes et des militants palestiniens à sortir des joutes politiques pour organiser un mouvement social de grande ampleur. La vaste crise économique entretenue par Israël dans les Territoires transforme de fond en comble la structure d’une société qui, pour survivre aux bouclages et au sous-emploi, s’est refermée sur elle-même et a ravivé les logiques claniques. Une dérive qui ne laisse guère de goût pour débattre des questions d’émancipation sociale. Pourtant il n’y a ni salaire minimum, ni corps d’inspection du travail, encore moins d’allocation chômage en Palestine... L’aide internationale, n’a jamais encouragé l’Autorité à tendre des filets de protection pour les habitants.

Le Hamas aurait-il gagné les élections de 2006 si une partie de l’aide internationale avait été utilisé dans le sens d’un système minimal de protection sociale ? Une des raisons qui ont convaincu ses électeurs aurait en tous cas disparue.

Martine Hassoun

  • Martine Hassoun est journaliste.

LES SUMR, PALESTINIENS NOIRS

On connaît l’histoire des Falashas, ces Juifs noirs arrivés en Israël suite à l’opération Moïse en 1984 : « Juifs » en Éthiopie, « Noirs » en Israël, cette communauté plutôt pauvre est en butte
au racisme dans son pays d’adoption. On connaît beaucoup moins l’histoire des Sumr (« peau noire »), les Palestiniennes et les Palestiniens d’origine subsaharienne. Leur contribution à la résistance contre Israël est largement reconnue par le reste de la population. Certains ont très tôt rejoint l’OLP et ont joué un rôle de leader dans
la résistance, comme El Haj Jeddeh, ou Abu Bilal. Les Sumr furent particulièrement actifs lors de la Première Intifada.

Certains sont descendants d’esclaves ; d’autres ont des aïeux qui sont venus du Tchad,
du Nigeria ou du Soudan à l’époque du mandat britannique. Bien acceptés, ils et elles vivent toutefois dans une grande précarité et sont socialement désavantagés par rapport aux autres Palestiniens. D’ailleurs, si eux-mêmes se qualifient de Sumr, de nombreux Palestiniens continuent à utiliser le terme Abed (« esclave »), dont l’origine est évidemment péjorative et stigmatisante. Quant aux Sumr vivant en Israël, ils et elles subissent les mêmes discriminations que les Arabes israéliens. Nico. P.

  • Sur les Palestiniens noirs, le site Haratine.com a publié un extrait en français du livre de Kwesi Kwaa Prah, Reflexions on arab-led slavery of Africans Réflexions sur l’esclavage des africains par les Arabes »), éditions Casas Book, 2005.

CONTRE LE « MUR DE LA HONTE » : UNE NOUVELLE FORME DE RÉSISTANCE POPULAIRE

Depuis la construction de la « barrière de sécurité » à partir de 2002, plusieurs villages palestiniens, dont la construction annexe de facto les terres agricole, se sont engagé dans une lutte pacifique contre ce nouveau « Mur de la Honte », avec des victoire comme à Mas’ha en 2003 où le mouvement à permis le recul du mur derrière les frontières de 1967. Véritable arme à annexer, coloniser et atomiser, le Mur a créé une multiplication des luttes de villages depuis 2003. Dans ce combat, les anticolonialistes israéliens, au premiers rang desquels nos camarades des Anarchistes contre le Mur (ACM), se battent avec les villageois de Cisjordanie. Les anticolonialistes internationaux également
(voir ci-dessus).

Un des villages emblématiques de ce nouvel aspect de la lutte palestinienne est celui de Bil’in, amputé de 50 % de ses terres par le Mur. Malgré que le tracé en a été déclaré illégal par la Cour suprême israélienne en septembre 2007, rien n’a bougé. En revanche, les autorités d’occupation ont augmenté la répression contre les manifestations et le Comité populaire. « Peut-être parce qu’ils réalisent que la lutte non-violente se répand, avance Mohammed Khatib, secrétaire du conseil municipal de Bil’in et animateur du Comité populaire. Les actions répressives d’Israël démontrent leur malaise et leur impuissance face à des hommes luttant de manière non violente. Le gouvernement israélien semble penser que les Palestiniens qui luttent avec les activistes israéliens mettent en danger l’occupation [...]. Mais, conclue-t-il, peut-être que ce que l’État d’Israël craint
le plus, c’est que les gens puissent vivre ensemble, dans une société fondée sur la justice et l’égalité pour tous ».

Nico P. (AL 77)

 
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