Communiqué du comiteé de soutien aux travailleurs sans papiers du 20e

En bas de chez vous, 32 travailleurs intérimaires du BTP sans papiers, sont en grève depuis bientôt 200 jours




Rassemblement le vendredi 7 Mai 2010 à 19 h, place de la Nation à Paris

En bas de chez vous, 32 travailleurs intérimaires du BTP sans papiers, sont en grève depuis bientôt 200 jours avec le syndicat Solidaires et soutenus par le collectif de soutien unitaire du 20e arrondissement de Paris.

32 grévistes exploités depuis des années, en butte à un patron violent, raciste et qui refuse toute négociation, trop heureux, comme beaucoup d’autres, de profiter de cette main-d’oeuvre bon marché et sans droits.

32 grévistes sortis de la clandestinité, d’une invisibilité imposée, qui revendiquent l’obtention d’une carte de séjour pour vivre et travailler dans la dignité.

L’histoire d’une lutte, d’une rencontre avec les militant-e-s et les habitant-e-s du quartier de Ménilmontant.

Récemment Thierry Belhassen le patron de Multipro est venu voir certains d’entre vous, pour tenter de vous apitoyer sur son sort, et chercher un appui pour faire évacuer son local. L’exposé qui suit, même s’il est un peu long, veut prendre le temps de vous exposer un autre point de vue, celui de la lutte de ces travailleurs et les raisons d’un conflit dont ce patron porte la responsabilité.

Pourquoi les sans-papiers de Multipro sont toujours là depuis le 23 octobre 2009 ?

S’il ne tenait qu’à eux, ils auraient repris le travail depuis longtemps !! Ils ne sont pas partis à des milliers de kilomètres de chez eux pour faire du tourisme à Ménilmontant. Ils ont quitté leur pays (le Mali pour beaucoup d’entre eux) aujourd’hui un des plus pauvres du monde pour venir travailler et faire vivre leurs familles restées en grande partie là-bas.
La misère en Afrique n’est pas seulement liée à l’incapacité des dirigeants locaux, elle est avant tout la conséquence du pillage organisé par les puissances coloniales (dont la France) depuis le milieu du 19e
siècle.

Le Mali, par exemple, tire son nom de l’empire fondé par Soundjata Keita au Moyen Âge, et qui recouvrait les actuels Mali, Sénégal, Mauritanie, Guinée et Gambie. Il a connu une vie culturelle
intense depuis 5 000 ans avant notre ère. Son sol et son sous-sol regorgent de richesses. Comme partout pour mieux les piller, les colonisateurs ont dépecé ces pays pour se les répartir, traçant à la
règle dans les bureaux d’état-major les frontières rectilignes en fonction des traités entre puissances
occidentales.

On préfère nous faire croire que l’Afrique n’a pas d’histoire et que les Africains sont de bons sauvages qui doivent savoir se contenter des miettes qu’on veut bien leur donner. C’est le fond du fameux
discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, et la fonction de la circulaire Besson qui vise à fournir aux patrons français des travailleurs sans droits en rendant le plus difficile possible leur régularisation.

Pourquoi sont-ils des sans-papiers ?

Ces gens, ceux de Multipro en bas de chez vous ou les autres ont tous un passeport, un nom, une histoire, de la famille, mais les papiers qu’ils n’ont pas sont ceux qui leur permettraient de travailler en
France. Il y a 120 ans les ouvriers français avaient besoin d’un carnet de travail, on retrouve là de bonnes vieilles méthodes !!

Comment travailler sans cette autorisation ?

Il faut demander à quelqu’un qui a des papiers en règle de
vous les prêter ou de vous les louer et travailler ainsi sous une fausse identité. Conséquence, vous ne
pouvez jamais profiter des cotisations sociales versées aux caisses de sécurité sociale, retraites etc. Et
il est difficile de se battre pour de meilleures conditions de travail et de salaire ou pour faire
reconnaître sa qualification.
Les patrons sont évidemment au courant de ces pratiques. Tous les sans-papiers vous raconteront que
le patron qui a besoin d’eux pour travailler sur un chantier et qui ne veut pas prendre le risque
d’embaucher un ou des travailleurs en situation irrégulière (c’est puni par la loi) leur demandera de
trouver des papiers en règle avec un nom sous lequel il pourra les faire travailler. Notons au passage
que ces cotisations versées au différentes caisses et qui ne sont jamais reversées participent largement
à leurs financements et donc à payer les prestations de tous les travailleurs avec papiers.


Pourquoi les laisse-t-on dans cette situation ?

Pour maintenir les sans-papiers dans cette précarité, la circulaire Besson dresse un véritable réseau de
barbelés administratifs rendant extrêmement difficile toute régularisation. Le gouvernement lance une
campagne puante d’amalgame entre les terroristes et les immigrés, les faisant vivre sous la menace
permanente de l’expulsion.
On comprend donc pourquoi les sans-papiers veulent être régularisés ! : pour être traités comme les
autres travailleurs, profiter de leurs droits et marcher dans la rue comme tout citoyen.
En s’attaquant aux plus vulnérables ce gouvernement réactionnaire fournit aux patrons une maind’oeuvre
à bas prix et lui permet de tirer ainsi vers le bas tous les salaires.
On comprend donc aussi pourquoi un certain nombre de patrons souhaitent maintenir les sans-papiers
dans cette situation.

Que se passe-t-il chez Multipro !?

Chez Multipro, tout allait très bien – pour le patron – jusqu’au 23 octobre 2009. Salaires de misère,
horaires à rallonge, heures supplémentaires et déplacements non payés, qualifications non reconnues,
sécurité inexistante… un rêve de patron !! Mais ce jour-là, les sans-papiers relèvent la tête et vote la
grève pour lutter pour leur régularisation et obtenir des cerfa.
Un patron qui embauche un étranger doit faire une déclaration et payer une taxe à l’Office français de
l’intégration et de l’immigration (Ofii), et remplir un formulaire administratif d’embauche, le fameux
cerfa, qui va lui permettre de monter son dossier de régularisation par le travail. Et là, tout à coup plus
personne !!
Alors même que certains travaillent avec lui depuis plusieurs années, il déclare ne pas les connaître, il
refuse toute négociation et il accuse les sans-papiers de vouloir le racketter en l’obligeant à payer la
taxe Ofii.

Dès le premier jour, le patron (officiellement directeur d’agence) Thierry Belhassen réagit très
violemment et casse le nez d’un membre du comité de soutien. Il montre là sa vraie nature et le mépris
qu’il a pour ces ouvriers qui se battent pour vivre dignement.
Ce n’est qu’un début, le 16 novembre, en quittant l’agence occupée par les grévistes (mais qui n’en
n’empêchent pas le fonctionnement) il coupe le courant et ferme à clef la porte de son bureau où se
trouve le tableau électrique, laissant en plein hiver les occupants dans le noir et le froid. Ce mauvais
tour sera déjoué par la solidarité des voisins et le courant rétabli le lundi matin devant la mobilisation
du comité de soutien et des grévistes.
Il les fait ensuite harceler par la police, et le 18 novembre, il les assigne en justice.

Le procès a lieu le 18 décembre, le jugement est partagé ! : il ordonne l’évacuation de l’agence en
dehors des heures d’ouverture mais enjoint le patron de Multipro à négocier. Il n’en fera rien, le
mépris le plus complet continue.

Le 15 janvier 2010, une rencontre a lieu entre les 2 parties où il propose de signer 3 ou 4 cerfa alors
que les grévistes sont 32.
En même temps, il vide les locaux de l’agence de Ménilmontant, déménageant fichiers, ordinateur et
mobilier, et lui qui se plaint de ne pas pouvoir payer les taxes à l’Ofii, il ouvre une nouvelle agence, 15
rue des Immeubles-Industriels dans le 11e.

Le 29 janvier, c’est le 100e jour de grève !. C’est un vendredi et comme tous les vendredis depuis le
début du conflit, un apéritif convivial réuni grévistes et soutiens devant l’agence, la situation est
difficile, mais la combativité reste intacte.

Le 4 février, en pleine vague de froid de cet hiver rigoureux, ce patron sans scrupule fait couper le
compteur électrique laissant à nouveau les grévistes sans lumière ni chauffage. Encore une fois la
solidarité des voisins et de la mairie du 20e, alertée par le comité de soutien, viendront adoucir la
situation.

Le 5 février, Multipro n’a toujours pas bougé et refuse de négocier. Les grévistes et le comité de
soutien se rendent donc rue des Immeubles-Industriels pour « !inaugurer ! » la nouvelle agence. Tracts,
sifflets, mégaphone, sont utilisés pour expliquer dans le quartier quel genre de voyou est leur nouveau voisin. Car c’est clair que nous avons affaire à ce que l’on appelle dans les journaux un « !patron
voyou ! ».

Le 6 février, les grévistes participent à la deuxième manifestation de soutien aux sans-papiers sur
les 19e et 20e arrondissements avec le soutien des élus locaux. Le soir un concert de solidarité
permettra de récolter des fonds, car la grève dure déjà depuis 3 mois et les caisses de solidarité se
vident.

Le 11 février, afin d’obliger Multipro à négocier, les grévistes se rendent dans les quartiers chics de
Paris, sur un chantier où Multipro continue à faire travailler des sans-papiers pour Doyère
Démolition. Le chantier est bloqué pendant une heure et grévistes et soutiens expliquent le sens de leur
action.

Le 12 févier, les grévistes se rendent le matin à la nouvelle agence, et réaffirme à nouveau leur volonté
de voir s’ouvrir des négociations. Le patron, une fois de plus violent, frappera un délégué des
grévistes et un membre du comité de soutien. Une plainte est déposée. L’après-midi, il fera
téléphoner des sous-fifres feignant de vouloir négocier. Mais à aucun moment, il ne répondra aux
sollicitations quotidiennes, qu’elles viennent de ses anciens employés, aujourd’hui en grève, de
Solidaires, des avocats ou des élus qui tentent de le convaincre d’entamer un dialogue.

Le 19 février, les grévistes, accompagnés du comité de soutien, tentent à nouveau de faire valoir leurs
droits en manifestant devant le 15 rue des Immeubles-Industriels, où ils trouvent un vigile et le
rideau de l’agence baissé. Ils décident donc de se rendre à l’autre agence détenue par le patron, au 235
boulevard Voltaire. 2 agents de police sont devant cette agence dont le rideau est également baissé,
mais une véritable milice cachée à proximité, attaque la petite manifestation avec une violence
inouïe, mêlant coups et injures racistes et sexistes. Plusieurs personnes sont blessées, dont l’une
sera hospitalisée avec une fracture du coude. La police appelée en renfort s’interposera. Mais, à notre
connaissance, aucun agresseur ne sera inquiété. Des plaintes sont encore déposées. Des articles parus
dans des journaux du 22 février relatent cette agression scandaleuse.

Le 24 février, pour protester contre ces méthodes barbares et condamner de tels agissements, de
nombreuses organisations et partis ont appelé à un rassemblement qui réunit plus de 400 personnes
place de la Nation, à proximité du lieu de l’agression perpétrée le 19 février.

Le 12 mars 2010, de nouvelles actions sont organisées vers les donneurs d’ordre, des entreprises
de démolition où des grévistes avaient travaillé comme intérimaires de Multipro. Le but est toujours de
faire pression sur le patron pour l’obliger à ouvrir des négociations.

Le 19 mars, un mois, jour pour jour, après l’agression par les milices patronales, une nouvelle action
est menée devant les agences Multipro de Nation et réunit plus de 80 personnes. « !La société
Multipro est un rempart et ne cédera pas devant le fascisme. Tous unis contre le mensonge, la
calomnie et le terrorisme ! », annonce un écriteau sur la devanture, assimilant les grévistes et les
soutiens à des « !staliniens ! », des « !fascistes ! » et des « !terroristes ! ». Le patron, une nouvelle fois,
agresse d’un coup de tête un syndicaliste de Solidaires qui lui demandait seulement de négocier.
Par ailleurs, nous apprenons qu’une enquête du procureur de la République aurait été ouverte
suite à 5 plaintes (3 du comité de soutien et 2 des grévistes) pour l’agression physique et raciste du 19
février dernier.

Le 23 mars 2010, les grévistes de Multipro se joignent aux centaines de grévistes sans papiers qui
défilent au sein des cortèges syndicaux Solidaires et CGT, lors des manifestations
interprofessionnelles du 23 mars pour la défense des retraites.

Le 2 avril, deuxième concert de soutien aux grévistes sans-papiers du 20e, il réunit plus de 200
personnes, permet de populariser davantage la lutte et de récolter des fonds pour la caisse de grève.

Le 9 avril, une nouvelle action massive se tient devant les agences Multipro de Nation, avec de
nombreux soutiens et des pancartes, tracts, mégaphone, djembés... Le patron et son père, André
Belhassen, provoquent les grévistes, le père agitant un drapeau français, devant la police présente,
traite les grévistes de fainéants et de fascistes. Des élus avec leurs écharpes sont venus soutenir les
grévistes mais ils sont insultés par le père, et portent plainte. De nombreux témoignages de soutien
sont apportés par les passants, dont l’une donne même un billet de 100 euros aux grévistes !

La nouveauté du jour, c’est l’apparition de la gérante officielle : Mme Caroline Servoir, qui
dialogue une heure avec les syndicalistes et grévistes présents, sans pour autant montrer la
moindre volonté de négocier.

Le 16 avril, nouvelle action du vendredi devant les agences Multipro de Nation. Matinée calme, devant
l’agence 15 rue des Immeubles-Industriels. L’après-midi, vers 15 h, nous décidons de nous rendre
devant l’agence du 235 bd Voltaire. 5 personnes sont postées devant l’agence : le patron de Multipro,
son père et 3 hommes. Quand nous nous avançons, le père se positionne devant nous en criant
"on ne passe pas !", puis le patron se rue sur nous, suivi des autres en hurlant contre le délégué
du syndicat Solidaires : "je vais te crever, fils de pute !". Les grévistes et des soutiens forment
immédiatement un écran pour le protéger. D’autres personnes, sorties des commerces alentour, hostiles
aux grévistes, accourent vers le rassemblement en criant, en arrachant les pancartes et en donnant des
coups aux grévistes. Le patron, hors de lui, revient violemment à la charge plusieurs fois. La police
arrive sur les lieux. Selon plusieurs personnes, le patron aurait exhibé un couteau...

Un rassemblement massif de solidarité est prévu place de la Nation le 7 mai prochain à 19 h
pour protester contre cette violence patronale menaçante.

Heureusement, nous nous sommes réchauffés le soir même avec la fanfare-apéro solidaire organisée
par le collectif Barricata, qui avait invité également le 9e collectif. Chaleureuse ambiance de 18 h 30
jusque 21 h, avec plus de 150 personnes.

Voilà, pour vous qui êtes des témoins proches des sans-papiers en grève à l’agence Multipro du 146
boulevard de Ménilmontant, un résumé de la situation et de l’énergie déployée par les grévistes, le
comité de soutien aux travailleurs sans papiers du 20e, les mairies du 20e et du 11e dont nous n’avons
pas évoqué les efforts pour ne pas rallonger ce récit.
Tout ça pour quoi !? Pour obliger un patron à faire le minimum qu’il doit faire, signer les cerfa pour
permettre aux travailleurs sans papiers de constituer leur dossier et entamer leurs démarches en vue de
leur régularisation par le travail.
Ils se battent depuis bientôt 200 jours. Ils tiennent grâce au soutien qu’ils rencontrent, particulièrement
dans ces quartiers du 20e et du 11e. Ils ne demandent que de pouvoir vivre dans la dignité, ils ne volent
le travail de personne et leur rôle est même essentiel aujourd’hui dans l’économie.

Alors assez des patrons voyous, assez des mesures liberticides de la circulaire Besson.

Les sans-papiers ont besoin de notre soutien.

 
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