Extrême droite : « Comprendre l’Empire », le cas Alain Soral




Le polémiste antisémite Alain Soral a réussi un succès de librairie en 2011 avec son essai Comprendre l’Empire. Il y compile toutes ses obsessions et les principaux thèmes de son école politique. Passage en revue.

Alain Soral s’est fait connaître du grand public dans les années 1990 en faisant le pitre dans diverses émissions de variété et en publiant plusieurs livres, dont Sociologie du dragueur en 1996, où l’auteur nous explique ses meilleures techniques de drague. C’est ensuite Vers la féminisation en 1999, brûlot antiféministe. Il sera d’ailleurs invité dans les émissions les plus abrutissantes, en se présentant comme sociologue, dans C’est mon choix notamment (« Pour ou contre le machisme d’Alain Soral ? »), où il défend avec verve ses thèses obscurantistes contre l’égalité homme-femme, en les enrobant d’un vernis marxiste, sur lequel nous allons revenir.

Politiquement, il milite quelque temps au PCF au début des années 1990, mais signe en 1993 un appel, « Vers un front national », qui réclame l’instauration d’une « politique autoritaire de redressement du pays » et la constitution d’un « front » regroupant pêle-mêle « Pasqua, Chevènement, les communistes et les ultranationalistes ». Le texte conclut en appelant à la « grandeur des nations » contre « le sionisme international, la bourse de Francfort, et les nains de Tokyo ».

Il vire donc progressivement à l’extrême droite et se rapproche des thèses nationalistes, souverainistes, autoritaires, avec comme fer de lance l’antisémitisme, qui constitue le centre névralgique de la pensée torturée d’Alain Soral et de ses admirateurs.

Il rejoint naturellement le Front National en 2005, après avoir voté Le Pen en 2002. Puis il quitte le parti, n’ayant pas réussi à obtenir une tête de liste lors d’élections, mais également pour des divergences idéologiques sur lesquelles nous allons revenir. En 2009, il participe ensuite à une « Liste antisionniste » pour les élections européennes en Île-de-France avec son ami Dieudonné, qu’il avait pourtant critiqué vertement dans son ouvrage Abécédaire de la bêtise ambiante. Ils s’étaient néanmoins réconciliés et unis sous la bannière de l’antisémitisme — sous couvert d’antisionisme. Il fonde également un groupuscule centré autour de sa personne, Égalité et réconciliation (E&R), où il se fait appeler « Président ». E&R est principalement actif sur internet, avec la publication régulière de monologues du chef sur Youtube.

Le personnage a publié en 2011 un ouvrage retraçant les grandes lignes de sa pensée, intitulé modestement Comprendre l’Empire, qui constitue probablement l’ouvrage d’extrême droite récent le plus lu en France. Il mérite qu’on s’y attarde.

Nostalgie de l’Ancien Régime

L’ouvrage débute par une présentation historique de la Révolution française, où l’auteur pourfend « ceux qui croient encore à l’absolutisme royal » en nous décrivant la royauté comme généreuse, désintéressée, avec un peuple français plutôt victime de la Révolution et une paysannerie qui ne demandait rien à personne.

Nous avons déjà un terreau fasciste, monarchiste, nostalgique de l’Ancien Régime dès les premières pages, avec un appel à la soumission populaire devant la dictature et l’obéissance à la classe dirigeante, appuyée par une ridicule glorification de l’Église, qui aurait « atténué la violence consubstantielle au pouvoir » là où elle a au contraire maintenu pendant des siècles le Tiers-état dans l’ignorance et l’obscurantisme, en fidèle alliée de la monarchie.

Retour du complot judéo-maçonnique

Soral enchaîne sur son dada : les réseaux et la réactivation des théories conspirationnistes, le fameux complot judéo-maçonnique et « mondialiste ». Il dénonce ainsi « le pouvoir occulte de la franc-maçonnerie régnant en douce sur la démocratie française », ou le club Le Siècle, réseau de bourgeois et du monde du show-biz, qui contrôlerait « la marche du pays ». Pour l’extrême droite complotiste, tout pouvoir est forcément caché, et jamais là où il est vraiment, c’est-à-dire dans les mains des patrons et des politiciens. Selon Soral, les décisions politiques centrales ne se prennent jamais au sein du gouvernement ou à l’Assemblée, mais dans d’obscures loges maçonniques, ou lors des dîners du Siècle. Or ceux-ci peuvent être critiquables en tant que lieux d’entre-soi bourgeois, mais ils ne sauraient constituer un lieu de décision politique central.

Cela nous amène logiquement au cheval de bataille de Soral : les Juifs. Tout au long de ses pages, le livre suinte d’une haine dégoulinante contre les Juifs, et reprend l’idée d’un contrôle occulte de toutes les décisions par le « lobby juif »  la caste maudite ») qui serait omniprésent, et dont il s’agirait de purger de France. Ainsi, le président de la République française irait « prendre ses ordres » au CRIF tous les ans, et, dans un élan antisémite, Soral n’hésite pas à comparer les Juifs, « l’aristocratie nomade », à « un asticot dans son fromage ».

Au fil des pages, on comprend finalement que l’Empire, c’est en fait les juifs, qui seraient aux manettes des banques, ou de « la Banque » comme l’écrit Soral, incarnant « les desseins maléfiques de l’oligarchie mondialiste ».

Alain Soral s’est plusieurs fois fait condamner par la justice française pour incitation à la haine raciale à la suite de propos antisémites, et de fait, dans ses interventions et ses écrits, il essaie au maximum de maintenir le flou sur sa pensée concernant les Juifs (et non les sionistes) et parle souvent de « la communauté qu’il ne peut pas nommer ». Mais l’antisémitisme constitue la clé de voûte de l’ouvrage.

Glorifier le petit patronat

Concernant les classes sociales, là encore on aurait pu espérer des restes de la période de militantisme au PCF, et bien c’est peine perdue encore une fois. La lutte des classes est totalement occultée au nom des « réseaux », où syndicalistes et patrons se retrouveraient et pactiseraient en douce. Ainsi, celui qui se prétend « marxiste » défend en réalité les intérêts des petits-bourgeois, les « petits entrepreneurs » et appelle à la constitution d’une classe moyenne large, patriote, réconciliée sous le dogme de la nation.

Toute référence au prolétariat ou à la bourgeoisie en opposition d’intérêts est désespérément absente, et la redistribution des richesses des riches vers les pauvres semble une tâche beaucoup moins urgente que celle de démasquer le lobby juif. Comble du ridicule, il certifie même que Bakounine lui-même aurait appelé à l’élaboration d’une société de petits patrons et de petits propriétaires (p. 130) ! Le malheureux doit se retourner dans sa tombe.

Soral prône donc la collaboration de classes entre le petit patron et son employé, ne parle jamais de grève ou de socialisation des moyens de production, démontrant encore sa vraie nature, de chien de garde du patronat et de l’ordre établi, ayant comme objectif stratégique unique de faire dévier la juste colère populaire vers la minorité juive.

Tentative de séduire les musulmans antisémites et patriotes

La grande différence entre Alain Soral et l’extrême droite majoritaire — celle du FN et du Bloc identitaire par exemple — c’est que la haine des juifs le pousse à chercher une alliance avec « les musulmans » dès lors que ces derniers sont antisémites, adeptes de ce qu’il appelle un « islam de résistance ». Le leader d’E&R déploie 1000 arguments pour inciter les musulmans à voter FN, ou plus précisément Marine Le Pen, qu’il soutient officiellement.

Si Soral a quitté le FN, c’est parce que celui-ci refusait d’abandonner sa ligne islamophobe pour se rallier à sa ligne assimilationniste, consistant à aviver la flamme patriotique chez les musulmans de France pour les intégrer dans le giron nationaliste. Pour les autres, les « islamoracailles », Soral préconise la déchéance de la nationalité française et l’expulsion vers le Kosovo ou la Tchétchénie.

Contre les travailleuses et travailleurs sans papiers

L’ouvrage continue logiquement par une critique féroce des partis d’extrême gauche et des libertaires, les « idiots utiles », et de l’internationalisme ouvrier. Comme il est difficile pour l’extrême droite de révéler directement le fond de sa pensée, il s’adonne à une diatribe prétendument marxiste, selon laquelle les travailleurs sans papiers devraient être expulsés, parce qu’en réalité ils servent les intérêts du Medef et font baisser le salaire des nationaux. C’est bien le seul moment où Soral s’en prend au Medef ! On le délaissera ensuite pour se recentrer sur les Juifs, la Banque, l’Empire...

Pourtant, quand les sans-papiers s’organisent, luttent et partent en grève contre leurs patrons du Medef, le FN et ses soutiens restent étonnamment silencieux. De plus, régulariser les sans-papiers permet qu’ils soient payés au smic et non à des sommes dérisoires au noir. Bref, « dehors les immigrés ! » est bel et bien le message crasseux d’Alain Soral et de ses amis frontistes une fois retirée la poudre aux yeux « marxiste ».

Négationnisme climatique

Celui qui passe à C’est mon choix conclut son livre par une critique invraisemblable de la spectacularisation des médias.

Pour le reste, c’est du grand n’importe quoi, et on ne peut être qu’impressionné par le caractère totalement aberrant de certaines assertions de l’auteur. Ainsi, par exemple la révolution d’Octobre 1917 aurait été financée en sous-main directement par New York (!). Ou encore, résolument anti-écologiste, il n’hésite pas à nier le réchauffement climatique, qu’il qualifie d’« arnaque ».

Le fait que ce livre fasse autorité au sein de l’extrême droite et que son auteur soit considéré comme un penseur de premier plan par ses fans dénote du caractère profondément anti-intellectuel de ce milieu et de sa haine de la réflexion et du savoir.

Nous serons sauvés par l’Iran

Il appelle au soutien inconditionnel des pires dictatures pour lutter contre l’« impérialisme américain », avec en tête de file, par solidarité antisémite, la très glorieuse République islamique d’Iran, où il semble qu’il fasse bon vivre. De la même manière, toutes les dictatures du Proche-Orient sont appréciées par Soral, et c’est avec désespoir qu’il les voit se faire secouer par les peuples luttant pour la démocratie.

Dns un délire complotiste, il décrit ces peuples comme en réalité pilotées par la CIA (elle-même contrôlée probablement par une loge maçonnique ; loge peut-être elle-même contrôlée par des banquiers juifs !).

Bref, Comprendre l’Empire est un essai tout à fait représentatif des principales caractéristiques de l’extrême droite : l’incohérence, la contradiction, la provocation, la haine (des termes immondes tout au long de l’ouvrage, comme « gauche métisseuse »), la vulgarité et le double langage, une incapacité à dire les choses en face, en utilisant par exemple des citations d’homme de gauche pour défendre des thèses fascistes.

Les militants d’Égalité et Réconciliation sont donc à traiter comme les militants d’extrême droite plus classiques : comme des ennemis de la classe ouvrière et de la fraternisation entre les peuples, qu’il s’agit de stopper avant la contamination de l’ensemble de l’organisme.

François (AL Brest)

 
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