Point de vue

Prostitution : Une loi insuffisante mais nécessaire




Le projet est en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Les médias se font l’écho des débats les plus sérieux et des positions les plus extrêmes. Au final, cette loi, ce sont des mesures très insuffisantes, mais aussi la suppression nécessaire du délit de racolage et l’interdiction tout aussi nécessaire de la consommation.

Lors de son congrès de 2006, Alternative libertaire a adopté une motion intitulée « Prostitution : Alternative libertaire est abolitionniste ». La prostitution y est définie entre autre comme « une des formes extrêmes de l’oppression sexuelle des hommes sur les femmes. Elle est une des manifestations de l’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, et de certains hommes alors assimilés aux femmes »

Alternative libertaire est abolitionniste

Le débat sur la pénalisation des clients n’occupait pas la une. Notre texte analyse la prostitution comme une oppression, certes extrême, mais pas illégale. AL préconise des mesures d’éducation et d’information, l’extension des droits de tous et toutes, la priorité sur la compréhension du fonctionnement des clients et la répression du proxénétisme, des aides réelles pour sortir de la prostitution. Aujourd’hui la prostitution est décrite dans le débat public pour ce qu’elle est, une violence faite aux femmes. Les témoignages sont multiples, au-delà même du sort des 80 à 90 % de femmes victimes de la traite.

Le « consentement », s’il existe (céder n’est pas consentir), ne transforme pas cette violence en quelque chose d’acceptable, pas plus qu’acheter des organes à des personnes (majoritairement des femmes) qui « consentent » à les vendre ou lancer des nains (qui ont « volontairement » mis un casque). Dans la guerre des témoignages dans les médias, on n’entend pas les femmes en prostitution qui parlent à peine français et passent leur temps sur des trottoirs ou dans des camionnettes où leurs proxénètes les installent. Mais même les témoignages de femmes en prostitution qui défendent leur droit à pratiquer cette activité disent l’horreur et la violence. Voire expliquent que si la consommation était réprimée, elles ne seraient pas rentrées en prostitution et qu’elles souhaitent sa disparition.

Il existe aussi quelques personnes en prostitution (plutôt des hommes d’ailleurs) qui défendent l’idée que c’est un métier et disent le faire volontiers. L’impact médiatique de ces personnes est inversement proportionnel à leur nombre et ne justifie pas de ne pas tenir compte de la majorité, victime de la violence des rapports non désirés.

Ce que prévoit la loi

La loi qui est discutée actuellement ambitionne de renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Et est l’occasion de débattre sur la répression de la consommation de prostitution. Mais elle ne prévoit pas seulement cette mesure.

Un premier chapitre prévoit le renforcement de la lutte contre le proxénétisme sur internet.
Le deuxième chapitre améliore la protection et l’accompagnement des personnes en prostitution : une instance de coordination est mise en place dans chaque département ; un parcours de sortie de la prostitution sera proposée par des associations agréées ; les personnes qui y entrent auront droit à une remise d’impôts et amendes ; elles auront droit à un titre de séjour renouvelable six mois et permettant de travailler (abandon de la condition de dénonciation de son proxénète), en cas de plainte ce titre est renouvelé jusqu’à la fin de la procédure ; elles pourront bénéficier de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale ; un fond de prévention, soutien et information est créé, alimenté par des crédits d’Etat, la confiscation des biens des proxénètes et les amendes ; les victimes de proxénétisme auront un droit à réparation, comme aujourd’hui celles de la traite ; le délit de racolage (actif comme passif) est supprimé, et sa mention dans les casiers judiciaires sera automatiquement supprimée.

Ce chapitre est insuffisant à plusieurs titres. On ne sait pas qui seront les associations agréées et quels accès au dispositif auront les femmes qui n’en voudraient pas. Les sans-papières ne sont pas régularisées et retourneront éventuellement au bout de 6 mois à la clandestinité, voire à la prostitution. Il n’y a déjà pas assez de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale.

La suppression du délit de racolage est la bonne nouvelle. Aucune sanction/pénalisation ne doit s’exercer sur les personnes prostituées. Le chapitre 3 traite de la prévention et prévoit que la lutte contre la marchandisation des corps fera l’objet d’une information durant la scolarité. L’entrée en prostitution est le résultat de causes multiples combinant violences subies et pauvreté. C’est la pauvreté et la violence sexiste qu’il faut combattre, dans une société patriarcale et capitaliste, il paraît peu vraisemblable d’obtenir des résultats avec de simples mesures d’éducation, qui restent bienvenues.

Pénalisation des clients

Le quatrième chapitre, celui dont les médias parlent le plus, instaure un délit de recours à la prostitution. Ce qui est cohérent avec l’analyse qu’elle est une violence, commettre une violence est réprimé dans notre société. D’habitude pas sous forme d’une contravention de cinquième catégorie (amende de 1 500 euros, 3 000 en cas de récidive). Ici, il est ajouté un peine complémentaire qui est un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution.

Il aurait été plus cohérent de créer un délit, voire un crime, sanctionné par une amende proportionnelle aux revenus du délinquant et un stage de sensibilisation.
Le débat sur le sujet est vif parmi les abolitionnistes. Une partie refuse l’interdiction en prévoyant une précarisation accrue des prostituées et une mise en danger, les autres y voient une protection contre le client qui sera d’office en tort. Les avis divergent sur le bilan des pays qui ont adopté cette mesure.

L’interdiction ne fera pas renoncer les clients les plus dangereux, ou les plus convaincus de leur bon droit, mais ils sont déjà là, elle ne les créera pas. Ces hommes sont les minables signataires de l’appel des 343 ordures duquel même le petit syndicat des entrepreneurs en prostitution qu’est le Strass s’est désolidarisé, ou les pourris qui alimentent les sites d’appréciation des prestations.

Les moins violents entendront, eux, la condamnation posée par la société. La suppression du délit de racolage et l’interdiction de recourir à la prostitution sont de bonnes mesures mais les autres sont très insuffisantes. Il faut la régularisation de toutes les sans-papières et de réels moyens.

Christine (AL Orne)

 
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