8 mars 2009 : Les questions qui fâchent




En mars 2009, deux manifestations féministes ont eu lieu à Paris, l’une après l’autre. Ces deux initiatives renvoient à des conceptions différentes du féminisme, qui se structure actuellement autour de deux pôles.

Cette année, en l’absence de manifestation unitaire du mouvement féministe, AL a appelé et participé aux deux manifestations du samedi 7 mars. La première, à l’appel du CNDF, a rassemblé près de 7 000 personnes. La seconde était appelée par un collectif de petits groupes comme les Panthères Roses, les TumulTueuses, le Collectif des féministes pour l’égalité, et des associations de prostituées, dont certaines portent des revendications réglementaristes. Ponctuées d’actions symboliques comme les rebaptisations de rue, elle a rassemblé plusieurs centaines de personnes. En tant que membre et proche des positions du CNDF, AL porte une position abolitionniste sur la prostitution, ce qui implique le rejet de la répression des personnes prostituées, accrue par la loi sur la sécurité intérieure, LSI en 2003. Néanmoins, nous pensons que ce collectif hétéroclite qui appelait à la deuxième manifestation forme un lieu intéressant pour plusieurs raisons.

Féminisme et groupes dominés

Sur le plan théorique, les femmes voilées, les prostituées, comme les gays, les lesbiennes et les trans, soulèvent des questions importantes dans le mouvement féministe : celle de la place des femmes « racisées » issues de l’immigration, par rapport au féminisme dominant, celle de la place de la religion dans l’affirmation identitaire des groupes dominés, celle du devenir de l’abolitionnisme dans un contexte de répression accrue des prostituées, celle de la place croissante des femmes migrantes parmi les prostituées. Plus généralement, c’est de la parole des groupes dominés parmi les dominées dont il est question : femmes voilées et prostituées ne sont pas seulement des victimes caricaturales du patriarcat qu’il faudrait aider, elles ont aussi des choses à dire et des luttes à mener et, même si on n’est pas toujours d’accord avec elles, nous pensons que le débat politique est possible et souhaitable. Comme les lesbiennes, ces femmes « racisées » ou prostituées interrogent le féminisme qui, tout en luttant contre une oppression, l’oppression patriarcale, peut néanmoins en reproduire d’autres à son insu comme l’homophobie ou le racisme.

Conflit de générations

Sur le plan pratique, le mouvement féministe connaît depuis quelques années des difficultés à créer un niveau de mobilisation à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui.

Le CNDF peine à initier des dynamiques offensives pour mener de nouvelles luttes. Le manque d’écoute mutuelle et parfois l’opacité des prises de décisions dans ce collectif où entrent en jeu de nombreuses structures – partis politiques, syndicats, associations – ont sans doute aussi découragé bien des jeunes féministes qui souhaitaient s’y investir. Ce n’est peut-être pas un hasard si le petit collectif des groupes minoritaires est significativement plus jeune que le CNDF et cela se traduit par une grande énergie et une inventivité certaine dans les modes d’action, mais aussi parfois par un manque d’expérience politique et certains glissements problématiques dans les discours. Ainsi, le CNDF est identifié de façon souvent caricaturale comme portant un féminisme hérité de la lutte des femmes blanches et hétérosexuelles des classes moyennes. Ces différents groupes se retrouvent dans la critique de l’universalisme républicain, et promeuvent l’autonomie des luttes de chaque groupe spécifique d’opprimés (gays, lesbiennes, trans, femmes « racisées » ou prostituées) comme l’ont fait en leur temps les féministes historiques, en portant notamment l’exigence de non-mixité dans la lutte contre le patriarcat. Mais cette alliance hétéroclite confine parfois au relativisme postmoderne et libéral, qui tend à revendiquer pour chacune le droit de se voiler, de se prostituer, etc., comme elle l’entend, la libération étant conçue comme individuelle. Le risque est alors de perdre de vue la lutte contre le patriarcat en tant que système matériel d’oppression.

Néanmoins, c’est bien parce que l’ennemi principal reste le patriarcat, et non pas d’autres opprimés par ce système qui ne partagent pas nos mots d’ordre, que nous nous inscrivons dans ce collectif pour y débattre, tout en continuant de participer au CNDF. Nous pensons que le contexte actuel de remise en cause des conquêtes féministes rend d’autant plus nécessaire l’élargissement et le renouveau des luttes antipatriarcales, dont la visibilité ne peut se limiter au rituel du 8 mars.

Anne Arden et Charline Spiteri (AL Paris Nord-Est)

 
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