Altermondialisation : Zapatisme et mouvements sociaux.




Surgi de la forêt Lacandone le 1er j anvier 1994, il y a tout juste 10 ans, le zapatisme exerce une influence croissante sur les mouvements sociaux en Amérique latine. Autonomie, contre-pouvoir, autogestion autant d’idées-forces que le mouvement zapatiste a mis en pratique et qui questionnent l’ensemble des mouvements sociaux et politiques anticapitalistes.

Des libertaires aux autonomes en passant par nombres de mouvements sociaux qui agissent dans la nébuleuse altermondialiste, beaucoup de militant(e)s affichent en Europe leur sympathie ou bien mieux leurs affinités électives avec le zapatisme.

Cette influence est toutefois bien plus superficielle sur le vieux continent qu’en Amérique latine.

Ce n’est du reste pas un hasard, si les mouvements sociaux d’Amérique latine sont ceux qui ont ces dernières années le plus développé les pratiques et mouvements basés sur l’autonomie et l’auto-organisation et s’ils ont développé des luttes et des expériences qui préfigurent une alternative au capitalisme.

Du Mexique à la Terre de feu nombre de mouvements ont rompu avec les traditions révolutionnaires étatistes des années 60 et 70 et avec une gauche traditionnelle en crise sans pour autant rompre avec un projet de transformation radicale de la société.

Au centre de cette rupture, on trouve la question du pouvoir.

Parmi ces mouvements qui évoluent vers un projet d’autonomie, on trouve les mouvements de chômeurs(ses) et plus précisément le mouvement piquetero argentin qui pèse de tout son poids sur la crise de la représentation politique et sociale argentine.

L’influence du zapatisme se mesure également dans les mouvements de jeunes et d’étudiant(e)s (Argentine, Uruguay, Bolivie, Mexique).
Elle est enfin très sensible parmi les mouvements indigènes (Bolivie, Équateur).

L’expérience argentine

C’est sans doute en Argentine que cette influence est la plus visible. Car c’est dans ce pays que se sont développés les mouvements sociaux les moins instutionnalisés.

Pour la plupart des partis de gauche latino-américains, le pouvoir d’État reste l’axe stratégique de la transformation sociale.

Ils préfèrent donc ignorer le projet d’autonomie reposant sur le développement et la fédération des contre-pouvoirs.

Certains intellectuels comme James Petras formulent des critiques très dures contre le refus du pouvoir d’État avancé par les zapatistes.

Même violence dans les attaques de ces intellectuels contre le livre de John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir (2002).

En Argentine toujours, les trotskystes voient dans ces conceptions un avatar du réformisme et les maoïstes du Parti communiste révolutionnaire, force majeure dans le mouvement des chômeurs, y croient y trouver un refus de donner le pouvoir aux travailleur(se)s et un moyen de préserver le pouvoir des classes dominantes. Rien que cela !!

C’est pourtant en Argentine que les thèses de l’EZLN et de Holloway ont le plus d’impact.

Ainsi en est-il des MTD, les mouvements de travailleurs chômeurs et de la Coordination Anibal Verón (mouvement de chômeur(se)s où militent nos camarades de l’Organisation socialiste libertaire). Ces militant(e)s n’éludent pas la question du pouvoir mais estiment que le pouvoir populaire se construit depuis la base avec la démocratie directe et une participation consciente. Ce pouvoir doit être le reflet de la société libre et égalitaire que nous voulons construire.

La Coordination Anibal Verón est animée principalement par des jeunes, étudiant(e)s ou jeunes des quartiers populaires, formé(e)s aux lectures zapatistes et aux communiqués du sous-commandant Marcos.

Ce phènomène est également culturel. Ainsi il imprègne largement les groupes de rock et leur public.

C’est également en Argentine qu’on a vu se développer des initiatives visant à développer la solidarité et les relations égalitaires comme les assemblées populaires, les entreprises récupérées, les boulangeries communautaires, les cliniques autogérées ou encore les fabriques de briques qui permettent aux habitant(e)s des bidonvilles de construire un habitat moins précaire.

Enfin il faut également signaler les formes d’action créatives impulsées par HIJOS (mouvement d’enfant(e)s de militant(e)s assassiné(e)s par la dictature), un mouvement animé par des étudiant(e)s élevé(e)s au petit lait des écrits zapatistes.

HIJOS a ainsi multiplié en 2002 des escraches, ces rassemblements organisés devant les domiciles d’anciens tortionnaires de la période de la dictature (1976-1983) pour que toute la population du quartier le sache.

Ces méthodes ont été adoptées par de larges secteurs de la société argentine afin que chaque quartier dans lesquels vivent ces tortionnaires devienne leur prison. Des centaines d’escraches ont ainsi été menés à bien en 2002.

Changer le monde sans prendre le pouvoir

Des influences qui irriguent d’autres régions, notamment là où la population indienne est plus importante (Bolivie, Équateur).

L’exemple de l’Équateur est du reste édifiant. A partir de 2001, les principaux mouvements indiens ce sont alliés aux militaires souverainistes qui sont devenus les vrais détenteurs du pouvoir et ont continué à berner et opprimer les populations indiennes. Cette expérience s’est soldée par un échec et du reste par la démission des représentant(e)s indiens (CONAIE, Patchakutik) du gouvernement. Elle démontre une fois de plus qu’un mouvement ne peut se convertir en pouvoir sans laisser de côté son expérience de contre-pouvoir.

Autre expérience significative, celle des assemblées populaires de la population de Cochabamba qui par leurs mobilisations ont fait échec à la privatisation de l’eau dans la deuxième grande ville de Bolivie.

C’est donc bien l’idée de démocratie directe et d’horizontalité qui progressent dans de nombreux mouvements de femmes, de jeunes, de paysan(ne)s et de chômeur(se)s.

De l’EZLN aux nouveaux mouvements sociaux latinos, la visée est la même : mettre en pratique l’autonomie de fait et jeter les bases d’une nouvelle société, d’un nouveau pouvoir, changer le monde non pas depuis les institutions mais depuis des mouvements sociaux porteurs de leur propre projet de transformation sociale

CJ

NB : cet article doit beaucoup à la contribution de Raúl Zibechi, « Los impactos del zapatismo en America latina », paru dans Correspondencia de Prensa (n° 172, 18 décembre 2003, bulletin d’information diffusé par le réseau solidaire des revues de la gauche radicale).

 
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