Angel Bosqued (CGT Espagne) : « Nous voyons l’arrivée d’une nouvelle génération militante »




Angel Bosqued est le secrétaire aux relations internationales de la centrale anarcho-syndicaliste ibérique, la Confederación General del Trabajo (CGT  [2]). La tenue de son congrès confédéral, en octobre 2013 a été l’occasion de faire le point sur ce qui constitue, et de loin, l’organisation se réclamant des idéaux libertaires la plus conséquente au niveau international.

Alternative libertaire : Où en est le développement de la CGT ?

Angel Bosqued : Depuis 1989, la CGT progresse, lentement mais de manière continue  ; non seulement en nombre d’adhérents mais aussi d’implantations territoriales et sectorielles. Nous comptons plus de 60 000 affilié-e-s stables et un volant d’environ 10 000 qui cotisent de manière très irrégulière à cause du contexte économique. La métallurgie et les transports constituent la colonne vertébrale de la CGT, mais nous connaissons un net développement dans les secteurs de l’administration publique et de la santé et maintenons notre implantation dans le secteur bancaire. Dans l’éducation mais aussi l’informatique, le commerce et le nettoyage nous notons aussi une nette évolution. Dans la chimie et l’agriculture notre implantation demeure limitée.

Fait important : nous voyons l’arrivée d’une nouvelle génération militante, des trentenaires issu-e-s des mouvements sociaux, qui amène avec elle de l’enthousiasme, des points de vue différents et des méthodes de lutte innovantes.

Comment caractériser l’actuelle situation sociale et politique dans l’État espagnol  ?

Le Parti populaire (PP) gouverne et est majoritaire au Parlement. Lors de ses premières années au pouvoir il a mis tout son poids pour imposer toutes les mesures économiques et légales visant à multiplier les coupes sombres au niveau des salaires et les pertes de droits sociaux. Le PP a mis l’ensemble des salarié-e-s à genoux avec des droits minimaux. Cette réalité a créé un grand climat de peur et de résignation, notamment chez les plus de 50 ans qui craignent plus que quiconque une perte d’emploi ou chez les moins de 25 ans qui vivent dans une extrême précarité.

Une fois cette offensive du capital menée à bien, en dehors des retraites qui pour l’heure n’ont pas encore été touchées, nous voilà confronté-e-s à une nouvelle phase : la répression des mouvements, la remise en cause de droits sociaux (avortement, grève, manifestation, liberté d’expression).
Comme tout a été préalablement détruit, les prochaines années marquées par de nouvelles échéances électorales vont faire place à des « cadeaux » aux classes moyennes : baisse des impôts, levée du gel de salaires, retour du 13e mois chez les fonctionnaires.

Quelles sont les réponses du mouvement syndical espagnol ?

Les syndicats majoritaires  [1] ont accompagné, bien assis autour des tables de négociations, ces différentes mesures antisociales en refusant de créer les bases d’un affrontement direct. En conséquence, il apparaît compliqué de travailler avec eux, même si localement on peut être amenés à faire des choses ensemble. Beaucoup de gens se rendent compte aujourd’hui du rôle néfaste de ces syndicats qui ont, de fait, perdu leur centralité au sein du mouvement ouvrier. Mais ils continuent à être considérés comme des «  partenaires sociaux  » incontournables.

Avec le syndicalisme basque, les choses se sont apaisées depuis la trêve des armes décrétée par l’ETA. Néanmoins, à notre sens, le nationalisme basque continue à prioriser la question nationale à celle des droits sociaux, ce qui parfois rend compliquée une unité d’action. Avec les autres organisations et mouvements sociaux, les convergences ont été fréquentes ces dernières années, et bien que nous ne soyons pas parvenus à créer une structuration unitaire permanente et stable, nous menons localement et au plan national nombre de campagnes ensemble.

En dehors de la CGT, quelle est la réalité du mouvement libertaire dans l’État espagnol aujourd’hui  ?

Il existe une richesse très grande de groupes et petites organisations qui se réclament du mouvement libertaire, très actifs et répartis à travers tout le territoire. Leur faiblesse résulte, néanmoins, du fait qu’en basant leur activité sur les affinités idéologiques et sur une forme certaine de purisme, elles ont des difficultés à perdurer et surtout à prendre racine. D’un autre côté, il est incontestable que la pensée libertaire, en général, est très répandue dans le quotidien, dans les relations entre les gens ainsi que dans les propositions et pratiques de nombreuses organisations.

Quelles sont les priorités de la CGT sur le plan international  ?

La CGT soutient toute lutte d’un peuple qui se bat pour son autonomie. Nous faisons appel à l’esprit de nos aïeux qui se battaient pour une fédération libre des personnes et des communes. En cela, notre soutien aux peuples palestinien, mais aussi sahraoui ou kurde, confrontés à une répression constante d’une État colonisateur, est naturel. Bien différent est le thème du zapatisme qui fonde son combat sur le souhait des peuples originels d’être traités dignement mais aussi sur une volonté claire de construire une société sur des bases horizontales avec une exigence égalitariste.

Le congrès CGT a aussi confirmé l’engagement dans divers réseaux syndicaux internationaux ?

La CGT a toujours fait des liens avec le mouvement anarcho-syndicaliste et libertaire sa priorité. À cet égard, nos partenaires privilégiés demeurent les IWW, la SAC (Suède), l’ESE (Grèce), IP (Pologne), les CNT-f et CNT-SO (France), FAG (Brésil), FAU (Uruguay), l’USI et l’Unicobas (Italie). Nous avons créé il y plusieurs années une Coordination rouge et noire avec la SAC, la CNT-f et la CGT-e. Nous avons été rejoints par d’autres organisations, et nous sommes optimistes quant à l’avenir. Néanmoins, il faut reconnaître depuis quelques années, un repli des syndicats la composant du fait de nos préoccupations locales, ce qui a freiné le renforcement de notre travail commun. Je pense que nous sommes en train de dépasser cette parenthèse autocentrée sur nos réalités respectives et que cette année 2014 sera une nouvelle étape pour la relancer. En espérant que nous en soyons capables…

Par ailleurs, cela fait de nombreuses années que nous collaborons avec des organisations syndicales alternatives. Parmi celles-ci, Solidaires avec qui les relations sont particulièrement satisfaisantes et continues, ainsi que le syndicat de base italien CUB, et de nombreux syndicats qui rompent avec les pratiques des syndicats affiliés à la Confédération syndicale internationale ou à la Fédération syndicale mondiale. Les réseaux internationaux, tout en garantissant la spécificité de chaque organisation membre, permettent aux syndicats qui les composent de trouver ensemble des points de convergence et de combattre ensemble les logiques antisociales.

Quelles sont les relations de la CGT avec des organisations françaises ?

J’ai parlé précédemment de nos liens avec la CNT-f et la CNT-SO, avec qui nous partageons un projet de société anti-autoritaire et libertaire. Nous avons aussi beaucoup de points de convergences avec de nombreuses structures de l’Union syndicale Solidaires.

Entre AL et la CGT-e, il y a une relation constante depuis des années, mais surtout à travers les engagements syndicaux de militant-es d’AL ; nous devrions renforcer le travail commun entre nos deux organisations car nos évidents points communs ne sont pas suffisamment exploités. Avec les Comités syndicalistes révolutionnaires, avec la Fédération anarchiste, ou encore quelques structures de la CGT française, on peut aussi ponctuellement faire des choses sur la base de luttes concrètes.

Propos recueillis et traduits par C. Mouldi (AL Transcom) & Jérémie (AL Gard)

[1Commissions ouvrières et Union générale du Travail, aux pratiques plus collaborationnistes que, par exemple, la CFDT.

[2www.cgt.org.es. Voir aussi le mensuel de la confédération www.rojoynegro.info, et la revue théorique et de débats www.librepensamiento.org.

 
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