« Antiterrorisme » : la CIA sans limite




Les révélations sur les prisons secrètes de la CIA démontrent une fois de plus la nature barbare de l’administration US et plus largement du consensus autour de ces pratiques dans les États européens.

Le Washington Post a révélé, vendredi 18 novembre que la CIA a créé dans plus d’une vingtaine de pays des centres gérés conjointement avec les services de renseignement locaux et destinés à la « lutte antiterroriste ».

Dans ces Centres de renseignement antiterroristes (CTIC), agents américains et locaux travaillent côte à côte pour traquer les suspects et leurs réseaux, avec des financements et des technologies apportés par la centrale américaine.

Le journal ajoute que la CIA dispose d’installations de ce type en Europe, au Proche-Orient et en Asie. L’Indonésie et l’Ouzbékistan comptent l’un de ces centres, indique le quotidien, qui rappelle également que la France abrite de son côté un quartier général multinational baptisé Alliance, qui monte des opérations dans le monde entier. Les CTIC suivent le modèle des agences anti-drogue mises sur pied par la CIA dans les années 1980 en Amérique latine et en Asie.

Ces organismes court-circuitaient la police et les renseignements, avec la participation d’agents locaux nommés spécialement par les gouvernements et séparés de leur institution d’origine. Dans un témoignage à huis clos devant le Congrès américain, un responsable des opérations de la CIA a expliqué que pratiquement toutes les captures ou éliminations de suspects depuis le 11 Septembre – plus de 3 000 en tout – s’étaient faites en collaboration avec des services étrangers.

Ces CTIC sont toutefois différents des prisons fantômes, ou « sites noirs », gérées par la CIA, souligne le Washington Post. Ces sites seraient une trentaine. S’agissant des « sites noirs » en Europe, l’organisation new-yorkaise Human Rights Watch (HRW) a mentionné publiquement deux pays : la Pologne et la Roumanie. Le site polonais a été localisé à proximité d’un aéroport reculé, dans la région boisée de Mazurie, près de la frontière avec la Lituanie.

Le site roumain, lui, aurait été placé aux abords d’un aéroport proche des rives de la mer Noire, utilisé par l’aviation américaine au déclenchement de la guerre en Irak. Personne ne sait qui est détenu dans ces prisons, mais tout le monde suspecte que les méthodes utilisées relèvent de la torture, méthodes que Bush s’acharne à refuser d’interdire aux agents de la CIA.

Délocaliser la torture

Les « transferts exceptionnels de prisonniers » (selon la terminologie de la CIA) ont permis un autre mode de « traitement des suspects » : aux alentours de 70 d’entre eux ont été transférés par avion et remis à des gouvernements étrangers pour que ceux-ci s’en « occupent ». L’existence de ce programme a été détaillée par le magazine The New Yorker, dans un article intitulé « Délocaliser la torture ».

Les pays impliqués ont été l’Égypte, la Syrie, l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Afghanistan et, selon un ancien ambassadeur britannique en poste à Tachkent, Graig Murray, l’Ouzbékistan, pays connu pour avoir fait ébouillanter des détenus.
Toutes ces révélations ont donné une ampleur inédite au scandale, poussant des responsables politiques en Europe à demander des comptes à Washington.

Pourtant lorsqu’un sénateur suisse, Dick Marty, a été mandaté en novembre par le Conseil de l’Europe, pour enquêter sur les centres de détention secrets ayant pu exister sur le territoire européen, c’est seulement auprès de Human Rights Watch (HRW) qu’il a pu obtenir une liste de 31 vols suspects. M. Marty a transmis la liste à l’organisme Eurocontrol (organisation chargée de la sécurité de l’espace aérien européen). Il attend la réponse. Chose frappante, M. Marty est à ce jour le seul officiel à avoir effectué une telle démarche auprès d’Eurocontrol (Le Monde du 9 décembre), démontrant si besoin était, qu’au-delà des grandes déclarations, tous les gouvernements européens laisse Bush libre de faire ce qu’il veut.

Ainsi le gouvernement Bush, avec la collaboration – entre autres – de tous les gouvernements occidentaux, a mis en place à grande échelle un système en dehors de toute légalité : enlèvements, séquestrations sans contrôle, sans limite, dans la plus grande opacité possible, tortures, éliminations de suspects…

Sous prétexte de lutte antiterroriste, les services secrets états-uniens ont désormais tous les droits et ne s’en privent pas. Le cas d’un Allemand d’origine libanaise, Khaled Al-Masri, kidnappé par la CIA en Macédoine en décembre 2003, détenu et torturé pendant des mois en Afghanistan puis relâché en Albanie dans des conditions rocambolesques (Le Monde du 9 décembre) est là pour nous le rappeler.

Jacques Dubart (AL Lot-et-Garonne)

 
☰ Accès rapide
Retour en haut