Bretagne : Week-end contre l’armement policier




Sur les hauteurs de Pont-de-Buis, dominant le vallon de cette petite ville du Finistère, les barnums se sont installés du 23 au 25 octobre pour accueillir un week-end d’actions contre les armes de la police. C’est le Collectif du 25 octobre, regroupant beaucoup d’organisations du Grand Ouest, qui a lancé un appel à bloquer l’usine d’armement Nobelsport, qui fabrique notamment des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc.

Bien évidemment, ce week-end d’actions se tenait en hommage à Rémi Fraisse, un an après sa mort, mais il était aussi à la croisée des tristes jours passés, notamment dix ans après la mort de Zyed et Bouna en 2005. Au-delà de la seule question de l’armement policier, ce week-end a permis de discuter de nouvelles modalités de lutte contre les répressions qui sévissent dans les quartiers populaires et face aux mouvements sociaux, en France et ailleurs. L’occasion aussi d’en savoir plus sur le complexe militaro-industriel français, dont Nobelsport est un des sinistres représentants.

Du savoir-faire colonial à la militarisation

Deux dynamiques caractérisent l’évolution du maintien de l’ordre, de la répression et du contrôle des populations. La première est une importation de l’arsenal répressif contre-insurrectionnel des colonies. Cette utilisation du savoir-faire colonial pour mater les foules s’est inscrite depuis déjà longtemps dans l’ADN des polices françaises. De la Brigade nord-africaine (BAN) en 1925, aux compagnies de CRS et de gendarmes mobiles, puis à la BAC et aux brigades d’exception d’aujourd’hui (Compagnie départementale d’intervention, Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie), les outils de répressions des colonies se transmettent. C’est d’ailleurs dans les quartiers populaires que sont testés, au milieu des années 1990, les Flash-Ball et autres lanceurs de balles de défense (LBD), assassinant et mutilant des dizaines de personnes, majoritairement issues de l’immigration.

La deuxième dynamique s’inspire de ce savoir-faire à la française dans la « gestion démocratique des foules », offrant au passage un juteux marché aux industries de l’armement, en militarisant la police et son arsenal. Depuis la fin des années 1960, l’État n’envoie plus l’armée pour réprimer les grèves et les révoltes, mais il militarise les agents civils du maintien de l’ordre et déploie un dispositif répressif féroce, allant jusqu’à tuer des manifestants, de Vital Michelon à Rémi Fraisse, en passant par Malik Oussekine. Pour parfaire cette volonté de contrôle et de répression tout en gardant un vernis démocratique, les marchands de canon ont mis en place des armes dites à « létalité atténuée ».

Des armes non létales qui tuent

Les grenades lacrymogènes, composées de gaz CS, appartiennent à l’arsenal le plus connu des forces de l’ordre. Cette technique, finalement peu utilisée dans les autres pays européens, permet de tenir à distance des manifestants, notamment à l’aide de lanceurs Cougar. À côté de ces gaz, fabriqués par Nobelsport notamment, se trouvent tous les dispositifs balistiques, dits encore grenades, présentant une charge de TNT atténuée et variable suivant les situations. Ces dispositifs, déclinés en différents éléments (désencerclement, effet de souffle), sont des armes extrêmement mutilantes et responsables de la mort de Rémi Fraisse et de Vital Michalon. Enfin, les lanceurs de balles non perforantes se sont imposés dans l’arsenal sous l’impulsion de Claude Guéant, directeur général de la police nationale en 1995, pour venir aujourd’hui équiper une grande partie des BAC et des policiers. Le Flash-Ball Super-Pro, invention de l’entreprise Verney-Carron, sera d’abord utilisé dans l’antiterrorisme puis très rapidement dans les quartiers populaires. Il est depuis 2007 remplacé à grande échelle par le LBD 40mm, fabriqué par le suisse Brüger & Thomet, et ses balles en caoutchouc sont fabriquées à Pont-de-Buis, par Nobelsport…

Ce complexe militaro-industriel s’appuie sur le très officiel Centre de recherche, d’expertise et d’appui logistique pour le développement et l’expérimentation de ces nouvelles armes. La logique répressive décrite ci-dessus connaît un profond changement dès les années 2000, puisque la logique coloniale et l’utilisation de nouvelles armes à létalité diminuée, devient la doctrine sécuritaire française, non seulement dans les quartiers populaires mais aussi face aux mouvements sociaux. Pour mater la meute, l’État réarme les forces de l’ordre et permet l’utilisation de moyens de terreur pour décourager les contestations. On tire sur le peuple et on individualise la répression en mutilant des manifestants et manifestantes… jusqu’au meurtre.

Sponsor des dictatures

Faire le siège de Nobelsport était également essentiel pour attirer l’attention sur le fait que des entreprises françaises gagnent de l’argent en fabriquant des armes pour les polices du monde entier. Nobelsport est un bon exemple de ce capitalisme de mort et de mutilation, exportant 90 % de sa production à l’étranger. On retrouve sa griffe sur les munitions tirées au Bahreïn, au Liban et dans de nombreux pays du monde. Sponsor officiel des dictatures, Nobelsport commercialise des armes interdites par la convention de Genève au Burkina Faso. Cette action visait à dépasser les peurs mais aussi à apprendre à bloquer des usines qui fonctionnent 24 heures sur 24 pendant les grands mouvements sociaux. De nombreux ateliers et échanges se sont déroulés tout au long du week-end, ponctués d’actions offensives face à l’usine dont l’accès était bloqué par un important dispositif policier. Ce week-end a permis de rencontrer bon nombre de militants et militantes du Grand Ouest et d’ailleurs afin de développer des solutions contre la militarisation du maintien de l’ordre.
Des casques et lunettes de protection, en passant par une ambulance militante pour les premiers soins, font partie des solutions de défense mises en avant.

Ce camp de trois jours a redonné l’espoir à celles et ceux qui luttent de ne plus subir la répression et les pratiques infâmes des bleus casqués. Cet espoir et cette solidarité nous serviront très vite, surtout face à un État qui réarme les BAC, qui donne le droit d’ouvrir le feu sans être inquiété et qui entend attaquer les espaces de contestation en France. Comme une idée lancinante depuis ces trois jours d’octobre, au pied des monts d’Arrée : on ira ensemble, on rentrera ensemble.

Julien et Djo, présents à Pont-de-Buis

 
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