CPE : L’épreuve de force




Qu’est ce qui fait tenir Villepin ? Sarkozy ou la volonté de ne pas céder face à la rue ? Sans doute les deux, mais pas forcément au même niveau. La haine est si forte entre les deux hommes que bien évidemment leur rivalité s’aiguise de jour en jour.
Mais cette bagarre politicienne ne saurait être l’enjeu exclusive de la partie qui se joue depuis plus de deux mois pour le pouvoir en place.

Si l’élection présidentielle constitue un enjeu essentiel, son issue est liée pour le parti au pouvoir, l’UMP, à sa capacité à gouverner et donc à imposer la politique voulue par le cœur de son électorat, la bourgeoisie et les classes moyennes aisées.

Cette ligne n’a pas varié depuis 2002. Ce gouvernement est aux affaires pour appliquer la politique du Medef : la défense intransigeante des intérêts des patrons et des actionnaires, la destruction des droits collectifs des salarié(e)s afin d’obtenir une pression maximale et une soumission croissante de la main-d’œuvre, une pénalisation de la pauvreté et de toutes celles et ceux qui non seulement n’ont pas leur place dans cette société « plus juste » (pour parler la novlangue sarkozienne), mais contestent la place qui leur est allouée, la mutation progressive de la démocratie libérale française en un régime de plus en plus autoritaire pour contenir et combattre les résistances à un ordre social inique. Cette évolution n’est pas spécifique à la France, elle traduit une évolution générale du capital à l’échelle internationale avec des ajustements selon le rapport de force.

Mais si les capitalistes se cherchent un modèle, c’est bien celui de la Chine qui correspond le mieux à leurs fantasmes : une main-d’oeuvre sans droit de plus en plus réduite à l’esclavage de la précarité, un régime de plus en plus policier qui se dote de lois de plus en plus répressives pour s’opposer énergiquement à la contestation croissante dont il fait l’objet.

La bourgeoisie ne montre pas forcément une attitude homogène et sans aspérités. De temps à autres, des voix (à l’UMP, à l’UDF, dans les médias) s’élèvent pour critiquer les aspects les plus voyants et les moins défendables de ce cours autoritaire, sans pour autant remettre en cause ce dernier.

Ainsi en est-il des pricinpaux médias qui critiquent de Villepin pour sa raideur et son refus de dialoguer, mais quand ils vont jusqu’à demander le retrait du CPE (Libération, Le Monde), ce n’est jamais pour défendre une alternative à cette politique, mais pour exiger une méthode qui permette un consensus plus large de la libéralisation de la société.

Comme nous l’avons vu au moment du référendum contre la constitution européenne, le point de vue des patrons de presse n’est pas nécessairement celui des journalistes, dont certain(e)s épousent parfois le point de vue de ceux et celles qui luttent, mais c’est eux qui partout vertèbrent une ligne éditoriale et s’alignent ainsi sur les exigences du capital.

Jeunesse et anticapitalisme

Cela n’est pas nouveau et nous ne cessons de mettre l’accent sur cette tendance lourde depuis bien des numéros.

Ce qui l’est davantage, c’est la persistance et la récurrence d’une contestation de masse en France (grèves de 2003 sur les retraites, mouvement lycéen de 2005...) contre cette politique de combat. Cette contestation, si elle est fortement ancrée dans la société française, ne peut être réduite à un phénomène singulier. C’est vrai qu’en Europe et à un degré moindre dans le monde, beaucoup de regards sont tournés vers la France. Mais cela ne signifie nullement qu’il ne se passe rien ailleurs et que tous les autres peuples acceptent sans broncher l’ordre libéral et autoritaire qui tente de consolider son emprise à l’échelle planétaire.

L’Allemagne et l’Angleterre connaissent de grandes grèves pour la défense des services publics.

C’est aux États-Unis et nulle part ailleurs qu’est en train de se développer un mouvement de masse antiraciste en solidarité avec les 11 millions de travailleur(se)s sans-papiers, exploité(e)s et précarisé(e)s à l’extrême mais aussi contre un projet de loi visant à restreindre l’immigration et à aggraver la situation de celles et ceux qui ne disposent pas de titre de séjour.

En Belgique, les étudiant(e)s et les enseignant(e)s se mobilisent massivement contre une volonté d’instaurer des quotas aux étudiant(e)s étranger(e)s qui souhaitent y faire des études.

Enfin, c’est en Amérique latine que la contestation des oligarchies au pouvoir est sans doute la plus poussée et que les peuples de ses pays se radicalisent en multipliant les mouvements insurrectionnels (Argentine, Équateur, Bolivie, Venezuela, Chiapas...), en balayant certains de leurs représentants au pouvoir et en multipliant les expérience de contre-pouvoir plus ou moins teintées d’autogestion (Argentine, Brésil, Venezuela, Chiapas).

Rompre avec un légalisme paralysant

En France, après l’échec des grèves de 2003, l’idée que les stratégies classiques de mobilisation sont dépassées fait son chemin. Il apparaît de plus en plus clairement (enfin !!) pour un grand nombre de jeunes et de travailleur(se)s qu’il n’y a plus rien à négocier et que non seulement le pouvoir nous prend pour des abruti(e)s mais qu’il le claironne. Cela dit, tout le monde, surtout parmi les salarié(e)s n’a pas intégré la nécessité d’une rupture avec un ordre social de plus en plus inique.

Dans ce domaine, les intermittent(e)s du spectacle, les lycéen(ne)s et les étudiant(e)s ont permis par leur lutte et une stratégie d’action fondée sur la désobéissance et l’action directe de faire progresser la prise de conscience.

Cette évolution est également perceptible dans le rapport à la violence que beaucoup veulent enfermer dans une catégorie bien commode : l’action de « casseurs », stéréotype du délinquant et de l’associal.

N’en déplaise, cette violence qui peut revêtir les formes d’une expression du lumpeproletariat (descente de bandes qui viennent faire leur courses en centre-ville en se livrant à la "dépouille"), est bien plus largement l’expression de lycéen(e)s, d’étudiant(e)s et de salarié(e)s plus ou moins jeunes contre l’ordre capitaliste. Elle conteste au pouvoir sa prétention à incarner la démocratie et pointe la nécessité de dépasser des stratégies d’action légales inopérantes. Elle reste, cela dit, une forme d’action parmi d’autres propre à contester la légitimité du pouvoir.

Tout le problème est de savoir comment il est possible de l’étendre et la généraliser aux travailleur(se)s, mais aussi de débattre d’une alternative politique et sociale sans laquelle une rupture - qu’il faut plus que jamais qualifier - d’anticapitaliste ne saurait être porteuse de sens.

La grève générale à l’ordre du jour

Après plus de deux mois (et plus pour certain(e)s) de mobilisation, il n’est plus possible de tergiverser. En multipliant les journées d’action et les manifestations que le pouvoir a appris à gérer en contenant des débordements limités qui ne le feront jamais céder, nous courons à un échec assuré qui aura un parfum de déjà vu (2003).

Un nouvel échec conforterait du reste en partie la stratégie du PS d’être le recours dans la perspectives des élections de 2007 et constituerait une régression politique.

Les confédérations syndicales n’appelleront pas à la grève générale, sinon, pour certaines (FO) en s’en tenant à un discours qui ne repose sur aucune stratégie d’action conséquente. L’issue du mouvement anti-CPE se joue dans les entreprises et dans la capacité des équipes syndicales à faire comprendre que tout le monde est concerné par le CPE, le CNE et le contrat unique qui mettra fin au contrat à durée indéterminée et sera discuté dès juin au parlement. Les équipes syndicales (et en leur sein les militant(e)s syndicalistes révolutionnaires) qui s’impatientent de voir leur direction ne pas réagir plus énergiquement sont aussi en première ligne, car le CPE, le CNE, puis le contrat unique, signifient à terme non seulement la généralisation du travail précaire, mais aussi de ce fait, l’effondrement de la syndicalisation pourtant déjà très faible dans le secteur privé.

Il n’y a donc plus de temps à perdre. C’est la grève générale qui est à l’ordre du jour comme l’ont clamé des millions de manifestant(e)s le 28 mars dernier. Elle doit se construire au jour le jour par les assemblées générales, la multiplication des blocages, de routes, de centres urbains et de la production, bref de l’économie. La coordination nationale étudiante a donné l’exemple en décidant ce type de mode d’action à compter du 30 mars. Il est donc temps de passer à l’action.

Laurent Esquerre, le 28-03-2006

 
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