Chronique du travail aliéné : Choura*, salariée dans les télécommunications




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

<titre|titre="J'aurais dû céder avant">

« Quand il y a eu les grèves contre la restructuration, on s’est tous engagés : c’était une super mobilisation. On m’a vue au piquet de grève à distribuer les tracts. On s’y croyait. Au final, on n’a rien gagné du tout… et dans mon service, je suis devenue la bête à abattre : syndicaliste allumée, plus de 50 ans, dans une entreprise « en restructuration »… Les collègues du syndicat, finalement, ils étaient jeunes, les changements ne les choquaient pas autant que moi.
Mais au bureau, l’ambiance était insupportable. On ne me passait plus rien, les chefs étaient sur mon dos tout le temps, j’ai même été contrôlée pendant un arrêt maladie. Un jour, j’ai pété les plombs dans le bureau du DRH, ils ont dû appelé le Samu, direction l’hosto. Personne ne m’a appelée à la maison pendant un an d’arrêt-maladie : ni mes chefs, ni mes collègues, ni les potes du syndicat. Je leur en ai voulu longtemps. J’attendais, rien ne venait… J’avais demandé à être expertisée par un psychiatre pour prouver que mes troubles étaient « imputables au service », mais même ça, ça a raté… Et pourtant, des troubles, j’en avais, j’en ai encore, je m’en rends bien compte. Je voulais prouver que la boîte m’avait rendu dingue. J’ai juste réussi à prouver que j’étais dingue. Ils ont appelé ça des « troubles relationnels », alors en plus, pour mon employabilité, comme ils disent, c’était pas top.

J’ai fini par reprendre au bout d’un an, dans un autre service. Quatre mois après : cancer du sein… Je ne suis revenue au boulot que depuis quelques mois. Enfin, quand je dis au boulot… je suis plutôt au placard. Presque plus de travail, un e-mail par semaine, deux ou trois coups de fil… je m’ennuie… Je commence mes journées par calculer mes frais, ça dure une demie-heure, je fais traîner… Après, je lis le journal, je me fais des tisanes, j’attends…

Ce qui m’a le plus déçue, ce sont les collègues qui m’ont dit : « Vas voir un psy !… ». C’est vrai que je suis très mal, mais est-ce que c’est « psy » de n’avoir pas voulu céder sur les acquis sociaux, ni sur les conditions de travail ? Ils disent que je suis trop rigide, qu’il faut savoir reprendre le travail après une lutte… J’aurais dû céder bien avant mais je n’ai pas pu. Je ne comprends pas comment font les autres, ça me dégoûte. Je sais que ma réaction est disproportionné, mais je ne peux plus voir les choses autrement.

Maintenant j’attends la retraite, je ne milite même plus, les collègues du syndicat sont gênés quand on se croise, ils regardent ailleurs. Moi aussi. »

* Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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