Cinéma : Klein/Lewis, « The Take »




La parole est aux « ouvriers sans patron », dans le film canadien The Take, qui sera sur les écrans à compter du 27 avril. Avec un tel film, l’autogestion argentine est en passe de devenir une référence politique majeure.

On doit à Naomi Klein le best-seller No Logo qui, en 2001, l’a propulsée dans les médias au statut de « tête pensante » de l’altermondialisme. On lui doit à présent un excellent film sur l’autogestion argentine, The Take La Prise »), coréalisé avec le journaliste canadien Avi Lewis.

Le film évoque, en introduction, la « bataille de Seattle ». Quelques mois plus tard, la réalisatrice raconte avoir été invitée à exposer ses critiques du capitalisme lors d’une émission télévisée. « Quelle alternative proposez-vous ? » ne cessait de l’interrompre un journaliste écumant de rage. Cette sommation de produire un contre-modèle a été le point de départ du tournage de The Take. « Ils veulent de l’alternative ? On va leur en donner », annonce en substance la voix off, tandis que le spectateur se trouve brusquement plongé dans l’Argentine en pleine insurrection populaire : « Aux États-Unis, lorsqu’une usine ferme, les ouvriers sont licenciés, tout le monde pleure, c’est la fin de l’histoire. Ici, ce n’est que le début. »

The Take suit la lutte des ouvriers de Forja San Martin, une fonderie abandonnée par ses patrons en 2001, et que les travailleurs licenciés veulent relancer. Épaulés par le Mouvement national des entreprises récupérées (MNER), ils occupent illégalement le site, constatent son état déplorable, le remettent en état et entament une action en justice pour obtenir l’expropriation des patrons et la transformation de Forja San Martin en coopérative. Le film évoque les usines à présent mythiques, de Zanón et Bruckman, devenues phares du mouvement autogestionnaire.

L’une des surprises du film est l’interview de l’ancien patron de l’usine de céramiques, Luis Zanón, par Naomi Klein, dans ses luxueux appartements. À présent que les ouvriers ont redressé la situation et que l’usine tourne à plein régime, le personnage ne cache pas son intention de remettre la main sur « son » bien, qui à présent produit des richesses qui lui échappent. On reste sidéré par sa suffisance et son arrogance. Il ricane quand la réalisatrice lui demande ce qu’il pense du slogan « Zanón appartient au peuple ». « Non non, Zanón est à moi, et il faut me la rendre, susurre-t-il, le gouvernement me l’a promis. »

Une interprétation libertaire

The Take fait une interprétation politique audacieuse du mouvement des entreprises autogérées. L’autogestion n’est pas présentée comme une simple « péripétie » de la crise argentine – vision partagée par les libéraux et certains trotskistes –, mais comme un modèle porteur de transformation sociale, à suivre d’urgence. On est d’ailleurs surpris de certaines prises de position clairement révolutionnaires de la part de Naomi Klein.

S’attardant sur l’élection présidentielle argentine d’avril 2003, elle oppose la « nouvelle politique », celle de l’action directe, à « l’ancienne politique », celle des grandes messes électorales débilitantes tenues par les candidats. Ainsi, lorsqu’on demande à Maty, une jeune ouvrière de Zanón, ancienne militante piquetera, pour qui elle va voter, elle répond clairement : personne. Et d’expliquer sa position, campée devant un graffiti qui orne un mur de son quartier : « Nos rêves n’ont pas de place dans vos bulletins de vote ».

L’ensemble du film a ceci d’anglo-saxon qu’il est très pédagogique, voire didactique par moments. Les réalisateurs suivent en cela les traces d’un Michael Moore. Et comme chez Michael Moore, l’émotion peut soudain vous saisir, lorsqu’une ouvrière de Bruckman raconte ce qui a changé avec l’autogestion, ou quand les ouvriers de Forja San Martin, dans un happy end, sortent victorieux de leur lutte. Difficile alors, comme pour eux, de retenir ses larmes.

Guillaume Davranche

  • Naomi Klein et Avi Lewi, The Take, Canada, 2004, 77 minutes. Sortie en salle le 27 avril 2005.
 
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