Démolition sociale : C’est eux ou nous




En restructurant en permanence l’appareil productif et en bouleversant les règles de droit qui régissent les rapport sociaux, la bourgeoisie fait la démonstration qu’elle croit en la lutte de classe comme moteur de l’histoire et qu’elle est de ce fait une classe révolutionnaire. Un réalisme qui fait souvent cruellement défaut aux opprimé(e)s et à leurs organisations.

Il y a quelques semaines, le député du Parti communiste, Maxime Gremetz, qui n’a pourtant d’habitude pas le sens de la formule, comparait le gouvernement Raffarin à la lampe d’Aladin en disant qu’il réalisait tous les souhaits du Medef.

À ceci près que le génie de la lampe a une véritable tronche de rouleau compresseur. Ce dernier avance à une vitesse toujours aussi soutenue. En clair, le gouvernement multiplie l’adoption et la préparation de contre-réformes qui constituent autant d’outils juridiques nécessaires pour démanteler tous les droits collectifs sociaux et démocratiques, et désarmer les travailleur(se)s, ainsi que les chômeur(se)s. Le code du travail, le droit syndical (projet de loi Fillon sur la représentativité, droit de grève) sont lourdement attaqués.

Les droits des femmes (IVG) sont dans le collimateur de l’UMP. Le droit à la santé est gravement menacé (remise en cause de l’aide médicale de l’État pour les étranger(e)s sans papiers, libéralisation de l’hôpital public, projet de privatisation de la Sécu). La contre-réforme de la notation des fonctionnaires qui renforce considérablement la notion d’avancement au mérite et doit s’appliquer dès 2004 est un pas de plus vers la fin du statut de fonctionnaire. La laïcité est en train de servir de cheval de Troie de la droite et du Parti socialiste pour museler les expressions politiques et syndicales.

Le gouvernement est du reste si sûr de lui qu’il travaille à l’élaboration d’une loi d’amnistie fiscale pour les fraudeurs qui placent de l’argent dans les paradis fiscaux, ainsi qu’à de nouveaux allègements en matière d’impôt sur la fortune. Il est également en train d’affaiblir les pouvoirs de contrôle sur les entreprises des administrations des finances et du travail.

Pragmatisme et libéralisme visionnaire

Ceux et celles qui comptent sur les élections pour voir ralentir l’offensive actuelle de la bourgeoisie se trompent lourdement. Le gouvernement se moque éperdument d’un éventuel mauvais résultat, à supposer qu’il le croit possible. Et ce pour plusieurs raisons. Le PS poursuit sa traversée du désert, il n’a pas de projet, pas de leader en mesure d’en incarner un et son influence est sérieusement entamée par l’extrême gauche. Les autres forces de la gauche institutionnelle sont en crise ou en ruine. Les progrès de l’extrême gauche peuvent même faire perdre au PS une partie des régions qu’il dirige. En dépit de la chute de Raffarin dans les sondages, la droite parie sur une bonne résistance de ses positions dans les régions et sur le fait d’être avantagée par le nouveau mode de scrutin.

Les dirigeants de la droite ne se veulent pas seulement pragmatiques mais aussi visionnaires. Ils ont une occasion historique de saper les bases de l’État social et de pulvériser un maximum de droits au profit des classes dominantes. Cette occasion ne se représentera pas dix fois. Il faut donc mettre le paquet. Par ailleurs et c’est l’essentiel, il n’existe aucune force d’opposition sociale capable de supplanter la gauche plus rien. Ni les syndicats de lutte, ni les mouvements sociaux pris dans leur ensemble ne sont pour l’heure en mesure de déclencher des luttes, blocages et grèves de masse susceptibles d’ouvrir une crise politique.

Les bureaucraties syndicales contrariées

Face à l’offensive capitaliste les bureaucraties syndicales qu’on avait vu bien discrètes depuis les grèves de mai-juin 2003 ont daigné exprimer des états d’âme. C’est ainsi que le secrétaire général de la CGT a donné de la voix récemment contre la privatisation annoncée d’EDF-GDF, puis contre les attaques de la droite à l’encontre du droit de grève. À chaque fois Bernard Thibault a averti que la CGT ne laisserait pas faire... comme en mai-juin 2003, serait-on tenté de rajouter. Précisons que ces déclarations ont été faites dans des congrès de fédérations CGT (énergie, cheminots) qui se sont distinguées en mai-juin 2003 par leur détermination à casser toute velléité de grève générale...

Plus pathétiques encore les déclaration des Unions de fédérations de fonctionnaires à l’annonce du refus du gouvernement d’augmenter les fonctionnaires en 2003 et à sa décision de revaloriser leurs salaires de 0,5 % en 2004 !

Elles ont déclaré dans un communiqué commun qu’elles envisageaient une action syndicale en janvier. Bigre ! En fait, dans le meilleur des cas, il s’agira d’une journée de grève de la fonction publique d’État dont on ne sait pas encore si elle sera organisée conjointement avec celle de la fonction publique hospitalière déjà prévue pour le 22 janvier.

Hormis les grèves de mai-juin 2003, elles n’ont pas organisé de journée d’action depuis le printemps 2001, c’était du reste sur les salaires. L’« action de janvier » n’a aucun autre objectif que la reconquête de marges pour pouvoir négocier de nouveau des queues de cerises. C’est cette même stratégie qui a servi de boussole à l’Unef dans les mobilisations étudiantes de novembre-décembre 2003.

C’est si vrai que par exemple sur la Sécu, les confédérations n’envisagent aucune action, même symbolique avant la tenue des élections régionales. Il sera alors temps de célébrer un enterrement de première classe.

Comme en politique, le salut ne viendra pas d’en haut. L’unité des travailleuses et des travailleurs est un objectif bien plus décisif que celle des bureaucraties.

Les travailleur(se)s ne peuvent compter que sur eux/elles-mêmes et sur les organisations qui ne les ont pas trahi(e)s en mai-juin 2003.

Dans les entreprises privées comme dans le secteur public, c’est la peur, la résignation et l’atomisation qui dominent.

À l’image de France Télécom où la journée de grève du 4 décembre à l’appel de la CGT, de Sud et de FO n’a entraîné que 15 % des salarié(e)s. Le ras l’bol se fait davantage ressentir à la SNCF où de plus en plus de cheminot(e)s commencent à s’agacer des attaques de la droite contre leur droit de grève, dans la santé aussi où le mécontentement monte face aux projets de démantèlement annoncés par Mattéi.

La mobilisation des chômeur(se)s le 6 décembre contre la réduction de leurs droits et le travail forcé version RMA a été bien supérieure à l’an dernier. Toutefois l’addition des mécontentements ne vaut pas explosion sociale surtout lorsqu’ils ne se traduisent pas par des mobilisations massives. De même l’inertie des bureaucraties n’explique pas à elle seule la difficulté à mobiliser. L’enjeu se situe à un autre niveau pour le syndicalisme de lutte. Les droits qui sont en train d’être perdus ou qui risquent de l’être sont souvent perçus comme des acquis et certainement pas comme le résultats de luttes de classes âpres. C’est pourtant ce qu’il faut rappeler, de même qu’il faut rappeler l’origine des revendications syndicales. Avant la Sécu, l’assurance maladie était privée.

Dans l’entre-deux guerre les fonctionnaires n’avait pas le droit de se syndiquer et le droit de grève était interdit.

L’existence d’un syndicalisme combatif n’a jamais cessé d’être combattue dans le privé par le patronat. Il a été toléré par l’État lorsqu’il a su faire la preuve de sa force et de sa représentativité (cf. les centaines de procès intentés aux Sud). Plus globalement l’État a su faire des syndicats des partenaires à partir du moment où il avait ne serait-ce même que des miettes à distribuer, maintenant qu’il ne redistribue plus rien et qu’il reprend tout ce qu’il peut aux fonctionnaires, il n’a plus besoin de composer avec leurs organisations.

Avant même d’envisager de quelconques grèves, il s’agit de réunir partout les travailleur(se)s pour les informer et susciter chez eux/elles des expressions et actions collectives qui peuvent aller jusqu’à la grève. C’est à la base qu’il faut recréer les solidarités entre exploité(e)s et combattre l’attitude de consommation et de procuration qui consiste à attendre que les autres fassent, que les autres se mettent d’abord en grève, que les organisations décident pour et en fait de plus en plus sans les syndiqué(e)s.

C’est en tout cas la seule façon de combattre le fatalisme, la peur et le repli sur soi qu’ils engendrent.

Classe contre classe !

Un changement de climat social et politique en France passe par un redémarrage des luttes et par leur caractère massif. Mais la portée et le débouché de ces mêmes luttes passent aussi par la conscience de classe de leur acteurs/trices, par le rétablissement de repères, par cette perception claire d’une opposition irréductible entre « eux » les dominants et « nous » les opprimé(e)s. C’est cela qui doit structurer notre vision du monde et nos modes d’intervention.

Dans une période marquée par une offensive capitaliste d’une grande violence (qui n’est pas la première du genre dans l’histoire), la capacité de représentation des syndicats (comme celle des organisations politiques) est de plus en plus secondaire. Ce qui est déterminant, c’est leur capacité à impulser et à organiser des luttes, mais aussi à former des militantes et des militants qui s’attelleront prioritairement à cette tâche.

Dans un contexte où la bourgeoisie fait du rapport de force un élément central de sa stratégie, on mesure à quel point sont risibles les stratégies partidaires qui visent à « offrir » une représentation et un débouché politique aux luttes sociales.

C’est bien plutôt à la crise de cette représentation qu’il faut s’atteler, en commençant par demander des comptes à toutes celles et ceux qui nous dirigent : représentant(e)s du Medef, élu(e)s de l’UMP et du Parti socialiste qui votent toutes les directives libérales au parlement européen, qui votent ou ont voté des deux mains depuis 20 ans toutes les mesures qui ont permis de renforcer la domination du capital et appauvri les chômeu(ses)rs, les travailleuses et les travailleurs.

Si le PS paye maintenant régulièrement son sale boulot par des évictions répétées des manifestations, les représentant(e)s de la droite font d’autant plus de zèle au parlement que personne ne leur demande de compte sur ce qu’ils/elles votent, décrètent et soutiennent de la politique du gouvernement... À la notable exception des intermittent(e)s du spectacle qui ont obligé le ministre de la Culture, Aillagon à entrer dans une semi-clandestinité.

Faut-il donc en déduire qu’être élu(e) UMP est un boulot peinard ? Nous sommes tenté(e)s de répondre par l’affirmative car on ne peut pas dire que c’est la colère des opprimé(e)s qui les étouffe actuellement.

C’est à partir de cette stratégie d’action directe et d’autonomie qu’il faut faire avancer des revendications de droit collectifs (gratuité et accès aux soins pour tou(te)s, droit au logement…) et de liberté (liberté d’expression et de critique, liberté de se syndiquer et de créer des sections syndicales dans toutes les entreprises...), mais aussi des contre-pouvoirs (réquisition des entreprises qui licencient). C’est à partir de cette position qu’il faut se battre pour la redistribution des richesses, l’appropriation sociale des moyens de production et le pouvoir de décider pour les travailleuses et les travailleurs.

L.E.

 
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