Dossier urbain : Démocratie alternative : l’effet Saillans




Lors des municipales du printemps 2014, le village de Saillans
(Drôme) a fait parler de lui en chassant le potentat local de la
mairie, pour lui substituer un fonctionnement assembléiste.
Retour sur une étonnante démarche autogestionnaire.

En 2011, Saillans, un petit village
de 1 200 habitants situé au
coeur du Diois, a entamé sa
« révolution ». Tout commence
avec l’ouverture d’un local associatif,
L’Oignon, dans les murs de
ce qui était, à la fin du xixe siècle,
le siège d’un cercle républicain, L’Union.

L’idée est alors de mettre un lieu
à disposition des gens, tout au
long de l’année et non durant la
seule saison touristique. Le lieu
accueille donc des associations,
des producteurs locaux, organise
des débats (sur la Palestine, la
Grèce, le Chiapas), des films, des
concerts, etc. Très vite, L’Oignon
compte plus de 1 000 adhérents :
des Saillansons principalement,
mais aussi des gens de toute la
vallée de la Drôme.

L’Oignon devient dès lors un
lieu incontournable du village,
que les adhérents gèrent en assurant
des permanences, en décidant
collégialement de l’agenda
et des activités. « Nous sommes
dans une démarche d’auto-organisation
et décidons au consensus,
avec les buts de l’association comme
référence, est-il écrit dès le bilan 2012. Le respect de l’égalité
citoyenne fait donc de ce local un
lieu d’apprentissage d’un fonctionnement
démocratique, c’est-à-dire sans hiérarchie, fondé sur
la responsabilité de chacun. »

Parallèlement, l’année 2011 voit
aussi la naissance de l’association
Pays de Saillans vivant, qui
s’oppose à l’implantation d’un
supermarché inutile à la sortie
du village – une décision unilatérale
du maire (Modem), François
Pégon, qui met en péril les commerces
locaux.

Pays de Saillans vivant entraîne
alors dans la lutte toutes les
populations du village : jeunes
agriculteurs, néoruraux, chasseurs,
retraités, artistes, et organise
des AG publiques, des manifestations,
des accrochages de
banderoles aux balcons. Un journal
est édité, Quèsaco, proposant
des articles de fond sur la démocratie, l’environnement. « Soyons
acteurs du changement, proclame
l’édito du n°1, au printemps 2011.
N’hésitons plus à nous mêler des
affaires du Pays de Saillans et
soyons même porteurs de projets.
Parce que la parole doit être donnée
à toutes et à tous, parce que
tous les projets d’avenir doivent
prendre en compte la discussion
collective, parce qu’un espace de
débats et de projets menés par les
citoyens eux-mêmes est plus que
nécessaire. »

Au bout de deux ans, le projet
de supermarché est abandonné.
Cette lutte a été un jalon décisif
dans la construction de la
démarche autogestionnaire. L’idée
d’une liste dissidente aux
élections municipales fait alors
son chemin, afin de contrer un
maire qui se veut le « patron » du
village.

La liste « Autrement pour
Saillans… tous ensemble » se
constitue alors sur un modèle de
démocratie participative avec
une gouvernance collégiale. Elle
est le résultat de centaines d’heures
de réunions. Son idéal aurait
été de se présenter aux élections
en tant que collectif, mais la loi
veut qu’une personne soit désignée
nominativement. Vincent
Beillard est donc choisi comme
tête de liste par ses camarades,
parce qu’il dispose de temps et
n’entend pas personnifier le
pouvoir local.

Résultat : le 23 mars 2014, la liste
collective l’emporte par
461 voix contre 351 au potentat.
Le schéma du conseil municipal
est aussitôt redessiné : un
« conseil des sages » veille au bon
déroulement de la démocratie
participative et les élus travaillent
tous en binômes. Sept commissions
– aménagement et travaux,
économie et production locale,
environnement et énergie,
enfance et éducation, finances et
budget, santé et actions sociales,
sport, patrimoine et associations
– épaulent le travail des
élus. Elles comptent environ
250 participantes et participants,
ce qui est considérable sur une
population de 1 200 personnes.

Blocage à l’échelon intercommunal

Si le projet s’essoufflait et qu’il
ne restait que quelques individus
pour prendre les décisions
– comme dans un conseil municipal classique –,
les élus ont promis de démissionner, par refus
de décider pour les autres.

La limite la plus importante
rencontrée jusqu’ici, c’est leur
non-élection à la communauté
de communes qui décide des
grands projets. À l’échelon intercommunal,
il est impossible
d’imposer la participation des
citoyens aux décisions. Les
Saillansois sont ostracisés par les
autres élus locaux qui n’hésitent
pas à les faire passer pour des
babas cools utopistes. Ce qui
n’est pas étonnant quand on sait
que le maire (UMP) de Crest, à
15 kilomètres, n’est autre que
l’inénarrable Hervé Mariton…

La prise de la mairie est donc le
résultat de trois années de lutte
et de questionnement sur la place
des citoyens dans la cité. C’est
aussi une prise de conscience du
fait que l’on peut agir collectivement
et concrètement, et faire
de la politique sans aimer le
pouvoir.

Charlotte Dugrand


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