Dossier urbain : Un Grand Paris pour le Grand Capital




C’est un mélange de « grand projet inutile » à une échelle pharaonique,
et de plan de relégation des classes populaires. Le
but du Grand Paris : rendre la métropole plus « concurrentielle »
sur le marché mondial, sans rapport avec les besoins de la
population. Explications.

Lancé sous la présidence Sarkozy,
le projet du Grand Paris est
censé transformer l’agglomération
parisienne, à l’horizon 2030,
en une métropole d’envergure
mondiale, pour un coût estimé à
au moins 26 milliards d’euros.

Ce réaménagement
urbain pharaonique
se structurera autour
du Grand Paris
Express (GPE), soit
200 km de nouvelles
lignes de métro, et
72 nouvelles gares. Ce
« supermétro » reliera
entre eux 8 « pôles de compétitivité
mondiale » : un quartier d’affaires
à la Défense ; un « cluster »
scientifique et technologique à
Saclay ; le complexe touristico-aéroportuaire
du Bourget ; celui de Roissy (qui annexe Gonesse et
auquel se greffe Europa City) ; un
pôle « culture et création » à
l’ouest de la Seine-Saint-Denis ; à
l’est, un pôle « développement
durable » avec l’université Descartes ;
une « vallée des biotech et de la santé » vers Villejuif ;
le port d’Achères connecté au port du
Havre. S’y ajouteront quelques
340 réaménagements urbains
d’ampleur variable.

Parfois implantés en dépit des
activités économiques réelles des
territoires, de leur population et
de leurs besoins, ces projets attireront
en région parisienne toujours
plus de travailleurs
hautement qualifiés.
Le but ? Rationaliser
la concurrence dans l’Hexagone,
pour mieux la mener
à l’échelon européen.
Autrement dit, faire
du Grand Paris un champion
dans la compétition mondiale
entre métropoles. Le Grand Paris promet de
surcroît 250 000 créations d’emplois
d’ici 2030 et la construction
de 70 000 logements par an, dont
30 % de logements sociaux.
Tout cela sera-t-il au bénéfice
des Franciliennes et des Franciliens ?

Eh bien la réponse est… ça
dépend desquels ! Car cet urbanisme
est foncièrement inégalitaire,
malgré ses effets d’annonce.
Le supermétro dessert moins les zones d’habitation que les « pôles
de compétitivité ». La grande
couronne en est presque complètement
exclue, alors qu’un
tiers de ses actifs travaille chaque
jour en proche banlieue, et que
ce nombre augmentera avec le
Grand Paris. Quant aux logements
sociaux, ils répondront à
des standards divers et ne seront
donc pas nécessairement, loin
s’en faut, accessibles aux classes
populaires.

Dans les centres-villes de la
proche banlieue, les classes
moyennes employées à Paris ont
déjà commencé à remplacer les
catégories moins bien payées,
repoussées vers la périphérie.
D’une manière générale, le
Grand Paris élargira la fracture
entre emplois hautement qualifiés
et sous-emplois précarisés,
et accélèrera l’exclusion sociale et
géographique.

Un projet de substitution de population

Le programme de logement est,
de ce point de vue, très parlant.
Même avec des ambitions
irréalistes (70 000 constructions
annoncés par an, c’est plus du
double du rythme actuel), il ne
pourra répondre à la demande
des ménages les plus modestes
pour du logement PLAI ou « très
social ». Il y a déjà près de 400 000 demandeurs de logement
social en Île-de-France,
chiffre qui ne pourra qu’enfler,
avec l’augmentation prévue de
900 000 habitants d’ici 2030. Les
Franciliennes et les Franciliens
savent bien que, pour l’instant, le
Grand Paris n’est qu’un prétexte
pour détruire de l’habitat et
expulser des familles. C’est le cas,
entre autres, à Ivry, où le grand
projet Ivry-Confluence doit
entraîner 450 expulsions. Ce sont
les classes populaires qui en font
les frais. Ainsi le Grand Paris n’est
pas qu’inégalitaire. Différents
sociologues critiques vont jusqu’à
affirmer qu’il cache un projet
de substitution de population.

Liquidation des dernières terres arables

Il est également marqué par le
gaspillage et les destructions : la
métropole, en se densifiant et en
s’étalant, va urbaniser les dernières
terres arables d’Ile-de-France,
les plus fertiles d’Europe. Outre
les destructions d’emplois (ici
agricole, ailleurs industriel ou
commercial) et de logement, des
espaces de vie sont appelés à
disparaître sous les noeuds routiers
et les centres commerciaux.
Une fuite en avant dans la gabegie,
alors que la région compte
déjà 3 millions de mètres carrés
de bureaux vides…

Mais comme il faut « vendre »
les projets (à l’électorat, aux élus,
aux entreprises), on les justifie
par tous les moyens. On gonfle
systématiquement les promesses
d’emploi – de simples déplacements
d’emplois sont ainsi qualifiés
de « créations » –, pour atteindre
ce chiffre rond de 250 000 qui,
à son tour, « garantit » la rentabilité
du supermétro. Quand ils ne
mentent pas en connaissance de
cause, les aménageurs s’autopersuadent,
à coup d’arguments idéologiques : les trans ports
induiraient automatiquement le
dynamisme économique, la
concentration de l’emploi rationaliserait
les flux, les entreprises
et les emplois s’implantant mécaniquement
là où on propose des
bureaux… Des postulats régulièrement
démentis par la réalité.

On peut passer assez vite sur le
déni complet de démocratie qui a
entouré (et continue d’entourer)
la gestation du Grand Paris. C’est
devenu tellement habituel qu’on
finirait par se répéter. Plus que
tout autre métropole, celle-ci aura
été imposée aux élus locaux au
nom de l’« intérêt national ». Leur
adhésion n’aura toutefois pas été
difficile à obtenir, avec les fausses
promesses et exagérations citées,
et surtout grâce à la participation
aux financements de leurs projets
territoriaux, pour lesquels l’Etat
va mettre la main à la poche.
La corruption s’institutionnalise à
travers les financements croisés et les subventions.
Rien de bien nouveau sous le soleil politicien.
En résumé : le projet du Grand
Paris accentuera la centralisation
et aggravera les inégalités entre
territoires. Déplacées par la gentrification,
éloignées des bassins
d’emploi, les classes populaires
seront les grandes perdantes de
ce bouleversement A moins que
les divers foyers de contestation
existants ou à naître ne se rassemblent.
La dynamique de lutte
qui se développe contre les
grands projets inutiles peut
chambouler le programme.

Fanny Meyer (AL Saint-Denis)


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