Edito : Reconstruire




Lorsque nous faisions le bilan des grèves de mai-juin 2003 dans ces mêmes colonnes (Alternative libertaire n° 120, juillet-août 2003), nous ne mesurions sans doute pas de façon suffisamment lucide les conséquences de cette défaite sur la combativité dans les entreprises et dans le secteur public.

À juste titre, nous nous efforcions de souligner les éléments positifs de ces grèves (expériences d’auto-organisation, collectifs interprofessionnels, mots d’ordre massivement repris en faveur de la grève générale et de la redistribution des richesses) qui devaient trouver un prolongement social et politique à travers la lutte des intermittent(e)s et le rassemblement Larzac 2003.

Notre optimisme de volonté est toutefois venu se heurter au pessimisme de la grande majorité des travailleur(se)s qui ne s’est pas remise de cette défaite et juge pour l’heure impossible de faire reculer la minorité parasitaire qui gouverne et exploite l’ensemble des travailleur(se)s.
Face à la détermination du Medef et de la droite, la stratégie de négociation des contre-réformes préconisée par les confédérations syndicales a mené à une catastrophe.

Les partis de gauche et surtout d’extrême gauche qui prétendaient incarner de façon purement autoproclamatoire un « débouché politique » aux luttes et mouvements sociaux, qui ne leur avaient strictement rien demandé, ont conduit à une issue tout aussi désastreuse.

LO et LCR vont devoir tirer un bilan politique de cette stratégie qui a contribué à déplacer les énergies du terrain des luttes à celui des élections pour le bilan politique que l’on sait. C’est d’abord à leur capacité à mener des luttes de masses et à les gagner que les révolutionnaires fondent leur légitimité et non au seul discrédit des partis institutionnels.

Autrement dit, le seul débouché politique aux luttes que l’on puisse défendre est bien la victoire de ces mêmes luttes et non la construction d’une représentation politico-institutionnelle de partis, fussent-ils d’extrême gauche.

Il serait toutefois un peu court de s’en tenir aux seules responsabilités des bureaucraties syndicales et aux errements électoralistes de l’extrême gauche pour expliquer l’impasse politique dans laquelle nous sommes actuellement.

Face à une bourgeoisie qui ne nous conteste plus seulement le droit au travail, mais en fait le droit à l’existence (délocalisations, retraite, santé, allocations chômage...), il n’est plus possible de faire passer pour un moyen de défense des travailleur(se)s des organisations syndicales qui, pour l’essentiel, fonctionnent de haut en bas et sont préoccupées d’abord par la sauvegarde des intérêts de leurs bureaucraties.

C’est pourquoi la reconstruction d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale est à l’ordre du jour et qu’elle passe par une redécouverte... de la classe ouvrière. Celle des sans-papiers, dont on oublie que l’immense majorité est formée de travailleur(se)s et dont les luttes ne pourront aboutir tant qu’ils/elles ne seront reconnu(e)s et organisé(e)s en tant que tel(le)s à l’instar de ce qui se fait en Italie et en Espagne. Celle des colonisé(e)s des DOM, des TOM et des anciennes colonies du continent africain dont les souffrances sont ignorées et dont le pillage des ressources continue. Celle des femmes, qui occupent la plupart des emplois à temps partiel sous-payés et dont les qualifications ne sont jamais reconnues à l’égal de celles des hommes. Celle de ces précaires de l’industrie et des services privés et publics que l’État et le patronat surexploitent. L’action syndicale permet trop rarement de les rassembler et de les organiser à partir des bassins d’emplois dans lesquels ils/elles travaillent (luttes dans la restauration rapide à Paris, dans les entreprises de sous-traitance des chantiers navals de Saint-Nazaire, dans les secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des collectivités territoriales en Guadeloupe...).

C’est en multipliant ces luttes exemplaires, où le patronat a déjà dû reculer, négocier et concéder des droits, qu’il sera possible de conserver, consolider voire étendre des droits dans des secteurs en apparence syndicalement mieux organisés (fonction publique, entreprises publiques, grandes entreprises privées) mais en fait de plus en plus vulnérables.

C’est en contribuant à l’auto-organisation et au soutien de ses luttes et non en se contentant de les suivre en spectateurs/trices et de les commenter que les révolutionnaires contribueront à construire un véritable front des opprimé(e)s et redonneront un sens à une perspective d’auto-émancipation.

Alternative libertaire, le 23 juin 2004

 
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