Egypte : Libéralisation du marché par les frères musulmans




En Egypte, le conflit entre les Frères musulmans et l’ancien clan Moubarak tenait plus à une concurrence économique pour la main mise sur les marchés nationaux que sur un désaccord politique. Les dernières étapes offrant le pays à la rapacité des investissements étrangers sont en train d’être franchies.

Après l’accession au pouvoir des frères musulmans en Egypte, une question se pose d’elle-même : qui est la personne détenant la plus grande influence sur les orientations économiques de ce gouvernement ? La réponse, qui paraitrait trop évidente pour certains en nommant tel ou tel dirigeant des Frères musulmans, est erronée. Cette personne n’est autre que Gamal Moubarak, le fils cadet du président déchu dont il allait hériter le pouvoir, qui bénéficie de reports de jugements successifs et réside très certainement dans une confortable prison 5 étoiles. Pour savoir de quelle manière se manifeste l’influence de Gamal Moubarak dans un gouvernement pourtant porté par la contestation populaire dirigée contre le régime de son père, il faut plonger dans les coulisses du pouvoir de l’époque Moubarak.

[*Faire venir les investissements étrangers*]

Gamal Moubarak était le représentant de « la nouvelle idéologie », un terme vague et flou utilisé par Hosni Moubarak et de nombreux hommes d’affaires après les élections présidentielles de 2005. La nouvelle idéologie prône un libéralisme sans entraves voulant mettre un terme à tous les minimums sociaux que l’État accordait encore, comme la subvention des produits alimentaires, de l’électricité et des carburants. Ceci, bien sûr, en réprimant toute contestation des travailleuses et travailleurs, et des classes populaires qui voudraient défendre un niveau de vie déjà trop bas.

Avec l’arrivée des Frères musulmans, le clan ultra libéral symbolisé par le fils de Moubarak garde une grande influence. Il suffit d’écouter les déclarations de Hassan Malek, un homme d’affaires et dirigeant historique chez les Frères musulmans : « Les politiques en matière d’économie, suivies sous l’ancien président Moubarak, montraient le bon chemin sauf qu’elles étaient parasitées par la corruption et le clientélisme. Nous pouvons très bien bénéficier des anciennes politiques, la preuve reste que Rachid Mohamed Rachid a très bien su comment faire venir les investissements étrangers ». Cette déclaration est tirée d’une interview avec Reuters datée 27 octobre 2011. Ce fameux Rachid Mohamed Rachid n’est autre que l’homme d’affaire devenu ministre de l’Industrie et du Commerce vers la fin du règne de Hosni Moubarak, fuyant fin 2011 l’Egypte et les différentes procédures judiciaires qui l’accusaient de corruption. On peut aussi ajouter la déclaration d’un autre dirigeant des Frères musulmans, Kheirat El Shater, l’homme derrière toutes les décisions de Mohamed Morsi, l’actuel président égyptien. El Shater estime que le secteur privé doit participer aux travaux d’infrastructures, comme les assainissements et l’électricité, car l’État est dans l’incapacité de le faire tout seul, propos que même des dirigeants sous l’ancien régime n’osaient tenir. Le 5 mai dernier, Kheirat El Shater a été invité par la chambre de commerce américaine afin de discuter des projets des Frères musulmans au pouvoir, il leur a assuré que seront défendu la libéralisation des marchés, les investissement étrangers et les intérêts de leurs détenteurs. Voici pour les déclarations mais qu’en est-il des faits ? L’actuel ministre de l’Intérieur se félicite de la violente répression par les forces de l’ordre de cinq différentes mobilisations de travailleuses et travailleurs qui protestaient contre de mauvaises conditions de travail, et d’employé-e-s manifestant contre la casse des droits sociaux.

[*Répression par anticipation*]

La répression anticipe jusqu’à en devenir arbitraire : la police arrête toute personne soupçonnée d’inciter à la révolte. Elle s’en félicite même dans son communiqué du 13 août où elle déclare avoir arrêté vingt et une personnes en 48 heures pour le seul motif d’inciter à la révolte pacifique. La même politique répressive est tenue sous silence par ceux-là mêmes qui la dénonçaient sous Moubarak. L’ombre de Gamal Moubarak est présente sur tous les plans, mais comment ce diplômé de l’université américaine du Caire a pu devenir le symbole de toute une doctrine ? Pour le comprendre, il faut revenir 60 ans en arrière avec un autre Gamal, Gamal Abdel Nasser, qui bâtit une vaste infrastructure économique détenue par l’État. Cette appropriation étatique de l’économie égyptienne n’a pas fait que créer une bureaucratie liée à l’appareil d’État, elle a aussi créé une nouvelle bourgeoisie. Après la mort d’Abdel Nasser et l’arrivée au pouvoir de Sadate, l’économie égyptienne s’ouvre au capitalisme mondial. Mais sous l’influence d’hommes d’affaires au parcours scolaire bref et combinant le légal à l’illégal, cette période ne remet pas en cause le pouvoir économique de l’État sur le pays, à travers lequel toute cette classe s’enrichit.

L’époque Moubarak fut différente. Cette classe d’hommes d’affaires parasites perdit en influence et céda la place à des hommes d’affaires formés dans de prestigieuses universités occidentales. Avec eux, l’Egypte ouvre grand les portes à l’économie de marché.

[*Dans la continuité du processus néolibéral*]

Des lois sont appliquées pour accélérer le processus : exonérations d’impôts et de taxes douanières, interdiction de créer des syndicats dans les nouvelles entreprises. L’accession de Gamal Moubarak à la tête du parti au pouvoir est l’aboutissement de ces orientations économiques, car il est le parfait représentant de cette nouvelle génération d’hommes d’affaires spécialisés dans l’économie de service. À la même époque, les Frères musulmans s’intégraient progressivement au processus de libéralisation du pays ; en tant que groupement d’hommes d’affaires et détenteurs d’aides étrangères de pays du golfe, les conflits qui les opposaient au clan au pouvoir étaient beaucoup plus liés à la concurrence économique que politique. Les Frères musulmans ne changeront donc rien à la continuité du processus néolibéral commencé par le clan Moubarak, d’autant que le parquet vient d’abandonner les accusations de corruption contre Gamal Moubarak en l’échange d’une amende équivalente à plusieurs millions d’euros. Les Frères musulmans n’osent pas encore faire référence au fils de Moubarak, mais ils n’hésitent plus à entrer en contact avec d’anciens hommes d’affaires. A coup sûr ces derniers pourront bientôt se racheter une virginité et retrouver à nouveau le chemin du pouvoir.

 [1]

[1Yasser Abdelkawy (Mouvement socialiste libertaire - Egypte)

 
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