Entretien : Libertalia l’île aux trésors littéraires




Dans notre série d’entretiens avec des éditeurs militants, ce mois-ci nous présentons le travail – endiablé – de la maison Libertalia qui a su devenir, en peu de temps, un acteur de référence du monde de l’édition politique alternative.

Nicolas, Libertalia totalise une trentaine d’ouvrages au catalogue, une newsletter dynamique anime votre communication, et vous avez des projets d’édition pleins les cartons, comment faites-vous pour surnager dans le monde de l’édition militante ?

« Surnager », le terme est peut-être un peu fort. Disons qu’on fait ce qu’on peut pour maintenir une actualité éditoriale et être à l’écoute de tout ce qui bruisse dans notre époque. Je pense que la clé de la visibilité de Libertalia tient au temps considérable que nous consacrons à la maison d’édition. Nous sommes trois : Bruno, webmaster et graphiste ; Charlotte, correctrice de profession, assure la préparation de copie et les relectures ; pour ma part, je cherche, je furète, je contacte des auteurs, je commande des textes ou je propose de rééditer des textes indisponibles, puis assure tout le travail d’édition, de suivi avec l’imprimeur, les services de presse, une partie des expéditions, etc. Professeur de français dans un collège de Montreuil, je suis désormais à temps partiel afin de dégager davantage de temps pour la maison d’édition, qui est d’autant plus chronophage que le catalogue s’étoffe. Pour résumer, Libertalia est une maison d’édition à but non lucratif qui se professionnalise.

Il y a un graphisme et un ton Libertalia qui caractérisent vos publications, et en même temps le catalogue semble assez éclectique. Quelle est votre ligne éditoriale ?

La charte graphique doit tout à Bruno, ancien chanteur du groupe Bolchoï (Toulouse), dessinateur sous le pseudonyme « Nono le Hool’s », une sorte de magicien capable de concevoir une couverture en quelques minutes. La charte varie selon les collections : la collection de poche « À boulets rouges » est une collection d’agit-prop, avec une ligne graphique assez criarde. La collection « Terra Incognita », plus savante, est visuellement sobre. D’une façon générale, Libertalia annonce la couleur : titre offensif et pelliculage brillant. Une imagerie anti-élitaire. Concernant l’aspect intérieur, on essaie de soigner l’objet, grandes marges, livres désormais imprimés en offset, sur papier bouffant, cousus.
En effet, la ligne éditoriale est assez éclectique. Et elle évolue sans cesse, au gré des rencontres, des envies, des urgences politiques. Il y a toujours eu une place pour la littérature au sein de nos publications. D’un point de vue idéologique, Libertalia s’inscrit dans la famille libertaire, mais nous pensons qu’il faut dépasser l’horizon Bakounine-Kropotkine-Sébastien Faure. Nous sommes dans une époque de redéfinition de la pensée critique, tout est possible. Alors, allons donc voir ce qui se passe du côté des de la critique de la valeur (Wertkritik), du côté des décroissants, des anti-industriels. On nous a parfois taxés de crypto-marxistes ou d’islamogauchistes ; cela ne nous dérange pas, il n’y a de vérité nulle part et tout est à réinventer.

Dans un milieu sous contrainte financière et technologique permanente, être éditeur militant, c’est un sacerdoce ?

Très clairement, et j’insiste là-dessus : Libertalia verse des droits d’auteur, paye les imprimeurs, illustrateurs et traducteurs, mais ne rapporte rien à ses trois artisans principaux, sans quoi nous n’existerions plus. La faillite très récente de notre diffuseur nous a fait perdre l’équivalent de six mois de vente, nos comptes sont dans le rouge mais nous publierons quand même quatre nouveautés cet automne. Alors oui, il y a un aspect sacerdotal. Nous espérons qu’à l’avenir, avec notre nouveau diffuseur-distributeur (Harmonia Mundi), nous retrouverons un peu de quiétude financière. D’une façon générale, l’édition de critique sociale n’a pas su constituer un pôle de diffusion alternatif viable. Elle se replie donc sur des diffuseurs commerciaux. C’est toute la chaîne du livre alternatif qu’il faudrait repenser, mais cela demande un travail colossal.

Libertalia en référence à l’utopie pirate, ouvrages sur les pirates, logo avec la Jolie Rouge : vous essayez de nous dire quelque chose ?

Pendant l’âge d’or de la piraterie (1716-1726), quelques centaines de hors-la-loi en haillons ont été plus puissants que les forces navales nationales et privées de deux des plus grandes nations du monde ; ils ont construit une contre-société quasi égalitaire. La geste piratesque a quelque chose d’utopique, de romantique ; elle a d’ailleurs fortement influencé les romanciers, de Defoe à Melville. Néanmoins, comment ne pas souscrire à l’admonestation de Charles Bellamy ? « Maudit sois-tu, tu n’es qu’un lâche, comme le sont tous ceux qui acceptent d’être gouvernés par les lois que des hommes riches ont rédigées afin d’assurer leur propre sécurité. Ils nous font passer pour des bandits, ces scélérats, alors qu’il n’y a qu’une différence entre eux et nous, ils volent les pauvres sous couvert de la loi tandis que nous pillons les riches sous la protection de notre seul courage. »

Dans quel avenir vous inscrivez-vous, quels projets à long terme pour Libertalia ?

En octobre, nous publierons quatre textes : Rengainez, on arrive !, un livre qui porte sur les luttes de l’immigration, des années 1970 à nos jours, rédigé par Mogniss. H. Abdallah ; Je n’aime pas la police de mon pays, une petite histoire du bulletin Que fait la police ?, par Maurice Rajsfus ; Le Ventre est encore fécond, une analyse des extrêmes droites européennes, par Dominique Vidal ; et enfin deux extraits de L’Histoire des plus fameux pirates de Daniel Defoe sous le titre Libertalia, une utopie pirate.

Au cours du premier trimestre 2013, nous publierons quatre autres titres. La réédition de Bourgeois et Bras nus de Daniel Guérin ; un inédit de l’historien Éric Fournier sur les mémoires politiques de la Commune de Paris ; une réédition de L’Histoire désinvolte du surréalisme de Raoul Vaneigem, et enfin une nouvelle assez sombre de Gérard Mordillat intitulée Yorick.

Propos recueillis par Cuervo (AL 78-95)

 
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