États-Unis : « Black lives matter ! »




« Ça n’est plus le temps de marches pour la paix. Ni celui de “panser les plaies” de nos collectivités. C’est le temps de se lever et de se battre. De Baltimore, Ferguson, Minneapolis à Detroit, New York, Seattle… Nous résistons à la violence policière qui nous assassine. » 1st of May Anarchist Alliance [1]
fait un compte rendu des émeutes raciales pour AL.

À Baltimore, une meute policière traque Freddy Gray, 25 ans, l’arrache à son vélo et lui brise le cou. Il meurt au bout d’une semaine de coma.
À Inkster, region de Detroit, six flics blancs extirpent Floyd Dent de sa voiture après que celui-ci a ralenti au lieu de marquer l’arrêt à un stop… Ils tabassent ce mécano de 57 ans, lui balafrent le crâne et lui fracturent l’orbite oculaire. L’un des flics le frappe à la tête à seize reprises tandis qu’un autre le maintient par un étranglement.

Toujours début mai, une section d’assaut tue Terrance Kellom, 20 ans, recherché pour vol, chez lui, sous les yeux de son père. L’agent de l’immigration qui exécute Terrance de dix balles à bout portant alors qu’il était déjà arrêté, avait été viré de la police de Detroit pour violences domestiques... C’est le père de Terrance qui avait ouvert la porte à la police…

Les flics sont dans une rage meurtrière, lâchés sur le pays. Ils nous tuent, impunément.

La résistance grandit, dans tout le pays. À ces prêcheurs, maires et présidents apologistes de la police, qui traitent ceux qui résistent de « voyous et criminels », nous répondons qu’ils sont des agents de cette même police et ne peuvent donc, en aucune manière participer à nos mouvements – comme les démocrates et le NAACP2 cherchent à le faire. C’est la guerre des classes. Et il faut choisir son camp. Le camp de la police est celui de l’ennemi de classe. Travailleurs, pauvres, gens de couleur, jeunes, nous ne devons compter que sur nous-mêmes.

Une analyse anarchiste

Résister et combattre ne suffisent plus. Le système capitaliste utilise la police comme ligne de front de son offensive, pour protéger son opulence et ses privilèges. Nous ne pouvons pas réformer ce système, ni le guérir. Ni faire la paix avec lui. Car il nous tue et détruit nos communautés.

La nature des émeutes depuis Ferguson a changé. C’est désormais un mouvement d’ensemble qui défie le système. Il a trouvé à s’ancrer dans le concept de « Black lives matter » (« les vies noires comptent »), affirmation de la résistance noire à des décennies de racisme, de meurtre et d’oppression de classe. Et si une grande part de la colère est dirigée contre la police c’est parce qu’elle est le visage-même de la loi du système et de sa répression.

Pour nous anarchistes, ce nouveau mouvement reçoit notre absolue solidarité. Afro-Américains et gens de couleur assument les défis présents, s’organisent et résistent dans leurs propres termes, et beaucoup parmi la classe ouvrière commencent à les rejoindre, la jeunesse, les étudiants, affichant un visage multiracial et une stratégie résolument antiraciste. Alors que les Afro-Américains ont toutes les raisons de se méfier de leurs « alliés » blancs, ils accueillent désormais « tous ceux qui nous soutiennent ».

Au-delà des luttes « de couleur »

La résistance qui avait suivi l’assassinat de Michael Brown à Ferguson avait été immédiate, locale, communautaire, furieuse. À New York avec la mort de Gardner, c’est le pays qui s’est embrasé.

L’ampleur et la profondeur du mouvement ont surpris, tout comme le mouvement Occupy et la résistance nationale ont surpris dans l’affaire Trayvon Martin. C’est la preuve qu’il y a une résistance dans ce pays. Même peu organisée, elle s’enracine.

Autre élément encourageant, l’éventail des tactiques déployées, depuis la concentration des messages contre la police et les gouvernements locaux, jusqu’aux actions « No Business as usual » (commerces fermés), blocages de routes et ponts, actions dans des centres commerciaux, et utilisation des médias sociaux pour s’organiser et toucher les populations. Toute cette belle créativité et coordination, c’est nouveau.

Et sans exagération, il semble bien que le mouvement ait dépassé les habituels leaders démocrates et NAACP, bien à la peine pour récupérer et encadrer le mouvement.

Cela posé, tous ces mouvements présentent des contradictions dans les buts, la stratégie, les tactiques. Mais l’important est que le leadership bien établi, démocrate, libéral et réformiste a été ébranlé. Et le défi vient d’en bas, porté en partie par les jeunes et les femmes, et exprimé dans la rue et dans les idées. Tous les leaders autoproclamés n’apportent aucune solution et malgré l’émergence d’une bourgeoisie noire la masse des gens de couleur reste exclue du système démocratique. Sans parler de l’impossibilité d’accès aux ressources, à l’éducation, à l’emploi.

Les émeutes sont bien l’expression de la colère contre la marginalisation grandissante, l’exclusion et la répression qui les accompagne. En tant qu’anarchistes révolutionnaires nous y voyons tout le potentiel d’une critique, d’un rejet et d’une résistance au système dans son ensemble. Il va être essentiel d’aider le mouvement à identifier, promouvoir et défendre une organisation émancipatrice. En termes simples, notre programme présent revient à « Défendons la résistance ! » La plupart des tendances socialistes libertaires soutiendront l’idée mais il nous faut la marteler et la pousser sans répit.

De nouvelles organisations comme Black Lives Matter doivent être suivies attentivement. Et si certains comme Workers World (ex-trotskiste) et RCP (Revolutionary Communist Party, maoïste), tentent bien de récupérer le mouvement, celui-ci demeure très ancré dans le local, avec un leadership faible. Encourageant, mais ça fait aussi obligation aux anarchistes de présenter des alternatives révolutionnaires crédibles et d’aider à l’organisation, d’intégrer le mouvement en contrant le parti démocrate autant que les avant-gardistes.

Dans un paysage qui présente peu d’expressions organisées de l’anarchisme – culture, tendances, idées (mais plus qu’il y a une génération) – la plus grande influence libertaire demeure, malheureusement peut-être, le courant insurrectionnaliste, fragmenté et protéiforme. Les groupes plateformistes et syndicalistes sont petits en comparaison et manquent de la cohérence qui leur permettraient d’intervenir efficacement dans les mouvements sociaux... Pour nous concentrer sur les suites de Baltimore et Ferguson : il nous faut poursuivre la pédagogie d’un mouvement sans leader, d’une organisation anti-autoritaire. Et continuer de faire comprendre que la police et l’État sont nos ennemis.

Propos traduits et adaptés par Cuervo (AL Paris-Sud)

2. Organisation historique des mouvements noirs américains pour les droits civiques.

[1First of May Anarchist Alliance, fondé en janvier 2011, est très actif dans la lutte pour le logement et contre les expulsions, les luttes carcérales, dans le syndicalisme libertaire, l’antifascisme. Leur site : m1aa.org

 
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