Grèce : « Un jour, les jeunes sans avenir prendront le pouvoir »




Les plans de « sauvetage » successifs ont imposé depuis 2010 une insupportable litanie de mesures d’austérité qui n’en finissent pas de ravager le système économique grec et le tissu social du pays. Essai d’état des lieux des résistances sociales.

Depuis trois ans, les salarié-e-s grec-que-s ont subi une baisse du salaire moyen de 45%, un chômage officiel supérieur à 26% et une réduction de 20% des pensions de retraite de plus de mille euros. Plus de 200 000 entreprises auraient fait faillite : partout dans le pays, des paysages de désolation, où se succèdent des commerces fermés, des immeubles à l’abandon, des chantiers stoppés depuis des mois...

Des mesures d’austérité mortifères

Les privatisations touchent aussi bien les compagnies gazières et pétrolières, l’eau, l’électricité que les autoroutes, les ports, les transports... L’État doit lever 19 milliards d’euros d’ici 2015 via des cessions d’actifs et un total de 50 milliards d’ici la fin 2020, pour le plus grand bénéfice de l’oligarchie financière.

Début 2012, le Parlement avait voté la suppression de 150 000 postes de fonctionnaires en 3 ans sur environ 750 000. Les dépenses de santé subissent une baisse d’un milliard, celles de l’éducation d’un milliard et demi.

L’une des conséquences sociales dramatiques de ces mesures brutales, qui traduit le désespoir d’une partie du peuple grec, c’est la hausse exponentielle des suicides. Une association, Klimaka, s’est d’ailleurs créée pour prévenir les suicides. Le 5 avril 2012, un retraité s’était tiré une balle dans la tête devant le Parlement grec et concluait sa lettre par : « Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Syntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la piazzale Loreto, à Milan. »

Situation politique instable

Dans ce contexte de crise impitoyable, les dernières élections législatives avaient redessiné la scène politique grecque avec un gouvernement de droite dominé par Nouvelle démocratie, contraint à conclure une alliance de circonstance avec le Pasok (Parti socialiste) et la Gauche démocratique, appliquant servilement les mesures d’austérité.

Plusieurs affaires de corruption ont éclaté, achevant de discréditer la classe politique. Elles ont notamment abouti à la condamnation en février dernier de l’ancien maire de Thessalonique (deuxième ville de Grèce), membre de Nouvelle démocratie, et en mars d’un ancien ministre de la défense membre du Pasok. Le 6 mars, trois anciens ministres (deux conservateurs, un socialiste) ont été inculpés, eux aussi, car leurs revenus déclarés ne justifiaient pas leur fortune. Ils risquent jusqu’à dix ans de prison ferme.
Mais à gauche, la dynamique qui avait porté la coalition de gauche radicale Syriza à 27% aux élections de juin 2012 peine à se traduire politiquement, car cette organisation tiraillée en interne ne dispose ni d’un réseau solide d’élus locaux ni d’une impulsion réelle des luttes sociales.

Signe particulièrement inquiétant, le parti raciste et néo-nazie Aube dorée, qui dispose de 18 députés au Parlement et de relais au niveau de la police et des médias de masse, profite de cette situation pour s’affirmer politiquement, notamment dans la rue : soupes populaires ségrégatives, milices de « sécurisation » de certains quartiers, agression de militants et militantes de gauche et surtout expéditions punitives contre les immigré-e-s.

Solidarité contre l’extrême droite

Pour les migrants et migrantes, entré-e-s via la Turquie (l’État grec a d’ailleurs commencé à édifier un mur sur la frontière) ou via des traversées périlleuses en bateaux, la Grèce représente une porte vers le reste de l’Europe mais se révèle pour la majorité un cul-de-sac où ils et elles subissent harcèlement policier et violences de l’extrême droite. Les crimes racistes deviennent de plus en plus fréquents. A ce sujet, Human Rights Watch a publié en juillet 2012 un rapport accablant de 99 pages intitulé La haine dans les rues : violences xénophobes en Grèce [1]. Des associations et des organisations politiques s’organisent pour soutenir concrètement les immigré-e-s et lutter, avec une forte tonalité antifasciste, contre le climat xénophobe qui s’est développé en Grèce. Une manifestation antiraciste s’est déroulée le 19 janvier 2013 à Athènes contre les violences racistes et pour la régularisation des sans-papiers.

Luttes syndicales et réseaux de solidarité

Les luttes syndicales restent relativement marginalisées et doivent faire face à la répression policière. La grève longue et emblématique des ouvriers sidérurgistes de l’usine Halyvourgia Ellados dans la banlieue d’Athènes [2] en 2012 n’a par exemple jamais bénéficié de la solidarité concrète de l’unique centrale syndicale, la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE), hormis celle du Front militant de tous les travailleurs (Pame), syndicat lié au Parti communiste grec (KKE). Et la grève en janvier des travailleuses et travailleurs du métro athénien a seulement connu la solidarité de plusieurs syndicats de base qui avaient appelé à des débrayages de soutien face à la réquisition et à la violence policière.

En plus des manifestations presque quotidiennes dans le pays, les luttes se développent également à travers des réseaux informels de solidarité et de désobéissance : mouvement « Nous ne payerons pas », actions dans les quartiers, système parallèle de soins gratuits...

Le mouvement anarchiste est très présent en Grèce mais plutôt éparpillé en groupes affinitaires. Début mars s’est tenu le congrès constitutif de la Fédération anarchiste grecque. Et nos camarades de l’Initiative anarcho-syndicaliste Roccinante s’impliquent activement dans les luttes avec comme axe principal le développement des structures syndicales autonomes.
Face à la colère sociale qui gronde, les mobilisations récentes comme en Espagne et au Portugal sont les signes d’une volonté d’en découdre qui devra se concrétiser dans le développement et la radicalisation des luttes, en Grèce comme partout en Europe.

Marcos Vega (AL Paris-Nord-Est)

[1disponible sur www.hrw.org

[2voir www.bastamag.net.

 
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