Hip hop : Trente ans de contre-culture




Au cœur des ghettos noirs américains à la fin des années 1970,
une nouvelle musique surgit de la rue. Ces premiers adeptes
racontent la misère, la colère et les joies du prolétariat noir.

Quartier new-yorkais du Bronx,
été 1976, au milieu d’une apocalypse urbaine faite de maisons
murées et de projects (HLM)
glauques, la communauté prépare
une block party : on ferme les
deux entrées de la rue, on branche la sono sur un lampadaire
dont on détourne le courant, et on
fait payer un faible droit d’entrée
pour que les gens du quartier
viennent faire la fête. Bientôt le
disc jockey (DJ) arrive avec sa
mallette de maxi 45 tours pour
animer la soirée, suivi d’un master of ceremony (MC) qui, avec
son micro, va accompagner le
programme du DJ. Son rôle ?
Balancer quelques mots d’encouragement, exhorter la foule à danser. En mixant des morceaux, le
DJ crée une nouvelle musique.
Parfois, il introduit un break : un
passage rythmique où la musique
se tait au bénéfice du beat, le tempo nu. Le MC profite de cet espace pour étoffer ses interventions.
Petit à petit, ce ne sont plus de
simples slogans, mais des textes
rimés. Le rap est né.

Ce serait réduire le rap que de le
faire démarrer en 1979, année du
succès surprise de Rapper’s
Deligth, du groupe Sugarhill
Gang. Le rap puise ses racines
dans la longue tradition verbale
de la culture afro-américaine et
de plusieurs courants musicaux
comme le jazz, le funk, ainsi que
le reggae et les sound systems
jamaïcains. Les premiers DJ star
du hip-hop, Grandmaster Flash et
DJ Kool Herc, étaient d’ailleurs
d’origine caribéenne.

Mais les grands-pères du rap
sont certainement les Last Poets,
artistes engagés de la fin des
années 1960, proche des Black
Panthers (ce qui leurs à valu d’être surveillés par le FBI) qui ont
mis leur rage en rimes et en percussions.

La bande son des émeutes de 1992

Les premiers signes d’une politisation du rap apparaissent dans
les années 1980 avec l’arrivée au
pouvoir de Reagan. La décennie
est décisive pour les Noirs, avec
la réduction de tous les budgets
sociaux et l’abandon définitif des
ghettos livrés à une micro guerre
civile dès 1983-84 alimenté par le
crack. Une ou un Noir a deux
fois plus de chance d’être au chômage qu’une ou un Blanc ; les
hommes noirs représentent 50%
de la population carcérale. Ces
phénomènes sociaux ne pouvaient pas ne pas imprégner le
rap, musique du ghetto par excellence, qui ne tarde pas à prendre
un caractère subversif. On parle
bientôt à ce titre de rap hardcore,
et Public Enemy devient son prophète. Avec des morceaux comme Fight the Power, le groupe
impose sa différence, en affichant
une philosophie radicale. Il s’en
prend aux icones de la culture
blanche et se revendique, avec
toute une nouvelle vague, du
« Black Power ». C’est l’avant-
garde d’une lame de fond qui
connait son apogée créative
durant les années 1980, et
marque le rap comme musique
contestataire. En 1992, les émeutes « Rodney King » de Los
Angeles, ont le rap pour bande
son.

Mais voici qu’au sein du rap
apparaît une autre tendance dure
sur la côte Ouest : le gangsta
rap ! Reflet de la rue et de la vie
des gangs, le gangsta rap est
davantage porteur d’un hédonisme mysogine, et fera l’éloge de
la réussite individuelle par le
capitalisme illégal. Le rappeur
« martyr » Tupac Shakur [1], assassiné en 1996, incarne à lui seul le
succès de cette tendance dans les
années 1990. En dépit de ses
dérives, le gangsta rap n’en reste
pas moins le reflet d’une jeunesse
des ghettos qui a plus à gagner à
risquer sa vie et sa liberté dans
les gangs que d’espérer quoi que
ce soit du système, notamment
scolaire.

Même si avec le succès commercial certains rappeurs sont
devenus millionnaires, cela ne
change rien aux sources populaires d’où continuent de jaillir
l’inspiration et les nouveaux
groupes.

La France, deuxième terre du rap

Si le hip-hop aux États-Unis a
eu pendant vingt ans la peau noire comme dénominateur commun, en France ce fut rapidement
le fait de venir des cités HLM. La
jeune scène française évoque la
réalité sociale des banlieues, parle du quotidien, de la tentation de
la délinquance, dénonce les
bavures policières et le racisme
vécu par les enfants de l’immigration. Le groupe Suprême
NTM devient la référence rap
hardcore français dans les années
1990. NTM fera l’objet d’une
condamnation judiciaire – tout
comme Ministère AMER, Sniper
et aujourd’hui le groupe La
Rumeur. En France comme au
États-Unis, le rap est le seul style
musical à être touché par un tel
acharnement judiciaire.

Nico (AL77)


MICRO-ÉDITO

Mais non, le hip-
hop n’est pas
qu’un business
de gros machos
bling-bling qui
ne rêvent que de
réussite sociale.
Cette culture
est avant tout
revendicative,
porteuse d’un
témoignage
et d’une identité
de classe – « le
ghetto », succède
à « la classe
ouvrière ». C’est
ce rap hardcore
et militant qui
nous intéresse
ici.

Culture urbaine
née dans les
années 1970
à New York,
à la fois festive
et subversive,
le hip-hop
est une mosaïque
de pratiques
musicales,
picturales
et corporelles.
C’est tout d’abord
le rap, avec
le MCing et le
DJing : avec deux
platines et
quelques disques
samplés, le DJ
compose des
collages sonores
fragmentés
et remixés :
du surréalisme
version noire, une
véritable hérésie
pour les premiers
critiques rock !
Mais le hip-hop
c’est aussi le
breakdance et
le graff, réalisé
à base de bombes
aérosol,
phénomène
omniprésent
dans le paysage
urbain. Illégal,
il est signe de
révolte et de
réappropriation
colorée des
espaces gris.

[1Référence au chef inca Tupac Amaru,
qui combattit les conquistadors espagnols au XVIe siècle

 
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