Irak : Face à l’ennui et à la terreur : la résistance des étudiants de Bassora




Des étudiantes et des étudiants de Bassora se mobilisent face au processus d’islamisation qui touche le pays et aux violences dont ils sont victimes au quotidien.

Sous le régime fasciste de Saddam, le système éducatif, dans un pays pourtant réputé pour le prestige de ses intellectuels, en avait pris un sérieux coup. Punitions corporelles, programmes abêtissants à la gloire du dictateur, enseignement religieux, nécessité d’adhérer au parti unique sous peine d’être recalé aux examens, vacances obligatoires sur le front quatre mois par an... Après la première guerre du Golfe, l’embargo criminel imposé par la coalition – y compris la France – avait ajouté à tout cela un analphabétisme croissant, pour les enfants contraints à travailler ou à mendier afin de nourrir leurs familles.

Saccage culturel

Comme si cela ne suffisait pas, l’université de Bassora, l’un des centres universitaires les plus importants après Bagdad, fut détruite dès mars 2003, avant d’être saccagée sous l’œil impavide des Britanniques – dont chacun sait qu’ils sont venus « porter la démocratie ». Sa bibliothèque, riche d’un patrimoine culturel inestimable a été retrouvée sur le marché noir au même titre que l’ensemble du mobilier scolaire. Aujourd’hui, universitaires et étudiants n’ont plus aucun moyen d’enseigner, d’apprendre ou de débattre, faute de livres, de salles et de liberté de penser...

De nos jours, si la démocratie n’est pas au rendez-vous, les seigneurs de guerre s’entredéchirent dans une âpre lutte de pouvoir. Bassora, qualifiée dans les médias de haut lieu du chiisme, est tombée sous le morne règne des islamistes dont le falot (et phallo...) Moqtada al Sadr, fondé de pouvoir de la république islamique d’Iran... Pour comprendre, il faut savoir qu’à la chute de Saddam, les Britanniques se sont appuyés sur les milices islamistes pour contrôler la situation dans cette région.

Les islamistes se sont montrés des serviteurs zélés des nouveaux maîtres de l’Irak : ils ont multiplié les patrouilles, les descentes pour faire respecter par la terreur leur nouvel ordre moral fondé sur la charia. Alors qu’au début des années 70, Bassora était fameuse pour ses night-clubs et ses nuits blanches, les islamistes ont progressivement plongé la ville dans un silence religieux : fermeture des bars et des cinémas, même les salons de coiffure sont attaqués jusqu’à fermeture définitive ou repris en main par les islamistes.

Islamisation de la société

Les femmes sont obligées d’adopter le hidjab et d’abandonner tout ce qui rappelle la satanique culture occidentale : les jeans, le maquillage et le droit d’exister.

Ce processus d’islamisation de Bassora touche évidemment l’université. Tout totalitarisme se méfie des « campus », vieux repaires de gauchistes. Les islamistes ont investi la fac en déployant une nuée de délateurs qui s’emploient à interdire la musique à la cafétéria – contraire aux bonnes mœurs – ou à placer à l’entrée de la fac des bigots qui ont la sainte mission de vérifier si les femmes portent leur voile et d’insulter ou de tabasser celles qui ne s’y soumettent pas. Il y a trois mois, une étudiante en sciences a été assassinée sur le chemin de la fac. Quelques jours plus tôt, des miliciens l’avaient menacée de mort si elle ne recouvrait pas son immorale chevelure du fort vertueux hidjab.

Le 15 mars 2005, des étudiants et des étudiantes de Bassora, accompagnés de quelques professeurs ont été sauvagement attaqués par la milice islamiste d’al Sadr. Outre une vingtaine de blessés graves, un étudiant, qui tentait de secourir une camarade en train de se faire bastonner par les islamistes, a été tué d’une balle dans la tête. Ni la police irakienne ni bien sûr les troupes d’occupation n’ont voulu réagir. Quels étaient les torts de ces jeunes ? Avoir voulu, entre garçons et filles, écouter de la musique lors d’un pique-nique, parce que c’était le premier jour où il faisait beau, parce qu’on s’ennuie dans un monde pétri de violences et de guerres absurdes... Après la victoire de l’alliance chiite unifiée lors des dernières « élections » (en fait l’obligation de se rendre aux urnes sous peine de perdre le bénéfice de l’aide alimentaire des Nations unies), les attaques des défenseurs de la charia ont redoublé. Mais la population sait aussi faire front à la terreur islamiste.

Résistance sociale

À Bassora, suites à ces sinistres événements, la fac s’est mise en grève durant une semaine et de nombreuses manifestations rassemblant étudiants et habitants ont dénoncé les violences islamistes et celles de l’occupation. Les réfugiés des camps avoisinants, où vivent les chiites expulsés d’Irak vers l’Iran lors de la guerre entre ces deux États, se sont associés aux étudiantes et aux étudiants. Face à un tel mouvement, Moqtada al Sadr a été contraint de s’excuser, non sans fustiger les communistes ouvriers, qui avaient soutenu de toutes leurs forces le mouvement.

« Si vous êtes capable de défaire les partis islamiques de Bassora, en dépit de la présence insistante de la toute proche République islamique d’Iran, cela pourrait être la naissance d’une nouvelle ère de liberté en Irak », a déclaré Yanar Mohammed devant 200 représentantes de mouvements de femmes irakiennes lors du meeting du 9 mars en faveur de la laïcité en Irak. Cette militante féministe est aussi populaire que détestée des islamistes qui la surnomme « la fille du diable ».

Un comité étudiant s’est constitué. Il réclame le jugement des coupables de ces exactions, mais aussi la séparation de la religion et de l’État et la réforme du système éducatif. La solidarité s’organise aussi dans les autres facs, à Erbil, à Bagdad ... À Sulaymania, des milliers d’étudiants et professeurs sont descendus dans la rue contre la privatisation des facs. Au prix de 37 jours de grève, ils ont réussi à imposer la fermeture de la fac privée patronnée par les partis nationalistes kurdes.

Un étudiant en médecine de Bassora conclut simplement : « Je veux juste pouvoir faire ce que je veux, pouvoir tenir la main de ma petite amie dans la rue, si je le souhaite. » J’ai juste envie de lui dire : « dans ce cas, continue à lever le poing ! »

Olivier Théo (Solidarité Irak)

 
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