1830 : La France lance sa première guerre d’Algérie




Lorsque le conseil des ministres décide le 31 janvier 1830 d’une expédition punitive contre la régence d’Alger, personne ne croit sérieusement qu’il s’agit de restaurer l’honneur de la France, atteint par le coup d’éventail reçu par le consul de France, trois ans avant. Lancée dans cette aventure coloniale, la France va petit à petit s’approprier le territoire algérien et rabaisser les Arabes et Berbères au statut de sauvages.

Le point de départ de la conquête remonte à 1794, la République thermidorienne qui combat la coalition des têtes couronnées d’Europe, trouve un allié inattendu dans la Régence d’Alger qui fournit à crédit du blé dont le pays a besoin. Le remboursement de cette dette donne lieu à des décennies de tractations, mêlant intérêts publics et privés, qui vont prendre fin par un incident diplomatique lourd de conséquences.

Le 29 avril 1827, le dey d’Alger Hussein, excédé par le rôle du consul de France dans cette affaire, le frappe de son éventail. Pour venger l’honneur national le roi impose en juin un blocus naval à la ville. Le contexte international est marqué par l’affaiblissement de l’Empire ottoman dont fait partie l’Algérie. Le Royaume-Uni et la France sont en concurrence pour dominer la Méditerranée et se positionnent pour s’emparer des morceaux de l’Empire en voie de dislocation.

Une guerre de diversion

Au début de 1830, la France vit une situation politique très tendue entre Charles X qui rêve de rétablir la monarchie absolue et la bourgeoisie libérale qui désire accroître les pouvoirs du parlement. Le 2 mars lors de l’ouverture de la session parlementaire, le roi annonce l’expédition contre Alger. Officiellement il est question de venger l’offense faite au consul, de détruire la piraterie et de libérer les esclaves blancs. En réalité il s’agit d’utiliser le prestige d’une victoire militaire pour battre l’opposition dans les urnes. Le 16 mai le roi dissout l’assemblée et convoque les élections.

Quelques jours plus tard, la flotte d’invasion quitte le port de Toulon avec 37 000 hommes à son bord. Baptisé armée d’Afrique, le corps expéditionnaire débarque le 14 juin et après une série de batailles, Alger tombe entre ses mains le 5 juillet. La ville est pillée par les soldats tandis que le roi s’empare du trésor du dey. Mais la victoire militaire n’empêche pas l’opposition de remporter la victoire électorale. Constatant que sa manœuvre a échoué, le roi tente de passer en force, ce qui provoque les journées insurrectionnelles des 27, 28 et 29 juillet qui font tomber le régime.

La monarchie parlementaire issues des Trois Glorieuses hérite d’une conquête dont elle ne sait trop quoi faire, d’autant plus que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir étaient hier des opposants acharnés de l’expédition. A Paris les « colonistes » qui veulent rester s’affrontent aux « anti-colonistes » qui veulent partir. Après des années d’hésitations, c’est sans enthousiasme qu’en 1834 le pouvoir décide de rester. Il fait de l’Algérie une colonie militaire placée sous l’autorité directe du ministère de la Guerre. Les chefs militaires sont partagés entre partisans d’une occupation restreinte aux villes côtières et ceux qui souhaitent qu’elle soit totale. Comme ils jouissent d’une grande autonomie, la politique sur le terrain dépend de l’opinion du commandant du moment.

De la conquête…

La France rencontre une forte résistance et pendant longtemps elle ne contrôle que quelques points du littoral. Elle peut compter sur la collaboration des négociants et capitalistes d’Alger et de tribus qui ravitaillent les troupes d’occupations, tandis que l’armée d’Afrique incorpore quelques corps irréguliers composés d’Arabes, Turcs et Kabyles. Mais la majorité de la population est hostile et les influentes confréries religieuses appellent à la guerre sainte contre les envahisseurs. A l’est la résistance armée s’organise autour de Ahmed, le dey de Constantine. Après avoir repoussée un premier assaut en 1836, la ville est prise en octobre 1837. A la suite de combats acharnés, elle est livrée au pillage et à la destruction pendant trois jours. Ahmed, qui a réussi à fuir, poursuit la résistance dans les Aurès jusqu’en 1848.

A l’ouest, Abd el-Kader prend la tête de la révolte. Fils d’un marabout prestigieux, il devient en novembre 1832 le chef des tribus révoltées de la région de Mascara. Il mène la vie dure aux occupants qui alternent campagnes militaires et conciliation. Par le traité de Tafna de mai 1837, la France reconnaît l’autorité d’Abd el-Kader sur les deux tiers de l’Algérie. Il profite de la trêve pour construire un État indépendant et consolider son pouvoir personnel. Jugeant le traité trop défavorable, la monarchie décide de reprendre les hostilités, et en décembre 1840 elle choisit comme gouverneur général de l’Algérie un partisan des méthodes expéditives : le général Bugeaud. Il va tout mettre en œuvre pour anéantir Abd el-Kader et plus généralement toute opposition. Sous son commandement, l’armée d’Afrique pratique une impitoyable politique de la terre brûlée, tandis que ses effectifs augmentent rapidement : 60 000 en 1840, 90 000 en 1844, 107 000 en 1847.

…à la pacification

Massacres de civils, exécutions des prisonniers, mutilations des corps, pillages et viols, depuis 1830 les troupes d’occupation françaises ont bien souvent enfreint les lois de la guerre communément appliquées en Europe. Avec Bugeaud, on assiste à un tournant décisif, on passe de comportements circonstanciels tolérés ou encouragés par les autorités militaires à une politique délibérée qui vise à instaurer la terreur pour obtenir la soumission totale des populations rebelles.

Les razzias contre les villages rebelles se multiplient. Le pillage qui améliore l’ordinaire des troupes est suivi de la destruction de tout ce qui ne peut pas être emporté. Les habitations, les greniers, les mosquées comme les cultures sont systématiquement saccagés dans le but d’expulser en masse leurs habitantes et habitants. Il s’agit d’abord de priver les combattants, très mobiles, de leurs bases arrières et, à plus ou moins long terme, de préparer le terrain pour l’arrivée des colons. Parfois des villages entiers sont massacrés, d’autres fois les survivants sont décimés par des marches forcées meurtrières vers les zones contrôlées par l’armée. Les famines qui résultent des razzias font souvent plus de morts que les massacres.

Si la guerre coloniale est aussi radicale, c’est que beaucoup de colonisateurs la pensent comme une guerre de races. L’idéologie colonialiste qui émerge en Europe à cette époque, considère qu’il est naturel que les « races inférieures » soient sacrifiées au profit de la suprématie blanche. Les Arabes sont assimilés à des bêtes féroces qu’il est légitime d’éradiquer par tous les moyens pour laisser la place à la civilisation.

La destruction méthodique des structures économiques et sociales traditionnelles de l’Algérie porte ses fruits. Traquées, découragées, les tribus rebelles sont acculées à la reddition. Abd el-Kader dépose les armes en décembre 1847, même si la Kabylie résiste jusqu’en 1857. A ce moment, le contrôle de la France s’étend des côtes méditerranéennes à la limite du Sahara, mais l’Algérie est loin d’être pacifiée, comme le montre l’insurrection kabyle de 1871.

Vers une colonisation de peuplement

Depuis 1834, l’Algérie est une dictature militaire que les contemporains nomme le « pouvoir du sabre », avec à sa tête un gouverneur général qui commande l’armée et l’administration. Il détient des attributions appartenant aux ministres de la Guerre, de la Justice, de l’Intérieur, des Finances, de l’Instruction publique, des Cultes, et il a la prérogative de promulguer des arrêtés qui ont force de loi. Il dispose de pouvoirs extraordinaires sur les colonisés : internement administratif, punition collective, réquisition et expropriation. Les colons subissent également le joug de sa dictature, il peut expulser les colons indésirables, censurer et interdire les journaux, muter et révoquer les magistrats.

Les pouvoirs des commandants de provinces ne sont pas moins immenses, ils peuvent par exemple emprisonner et faire exécuter sans jugement les indigènes ayant commis des crimes et des délits. Les « bureaux arabes » inventés par Bugeaud et officialisé en février 1844 complètent le dispositif. Quadrillant le territoire, ils ont pour mission principale de surveiller les colonisés et de prévenir les révoltes. Les officiers qui les dirigent cumulent des fonctions de police et des pouvoirs judiciaires pour les petits délits.

La chute du Second Empire et l’avènement de la IIIe République ont des retombées importantes pour l’Algérie. Le pouvoir du sabre cède progressivement la place au pouvoir civil, la colonie passe sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et les civils remplacent les militaires au poste de gouverneur. Les colons peuvent enfin jouir des mêmes droits qu’en métropole. Les Juifs algériens deviennent citoyens français en 1870, mais les musulmans restent privés de tous les droits fondamentaux.

Avec l’institution du Code de l’indigénat en 1881, la république entérine les discriminations qui frappent les indigènes : infractions spécifiques, peines plus lourdes, impôts supplémentaires. Il ne s’agit pas seulement de surveiller et de contrôler les colonisés, mais aussi de les maintenir dans un statut d’infériorité conforme au sentiment de supériorité raciale des colonisateurs. Ce racisme d’État ne fait qu’entretenir le mécontentement et semer les graines de la révolte. A partir de 1944, le Code de l’indigénat est progressivement démantelé, trop tard pour changer le cours de l’histoire.

Hervé (AL Marseille)


D’UNE EXPÉDITION PUNITIVE…

31 janvier 1830 : le gouvernement français, dirigé par le prince Jules de Polignac, décide de préparer une expédition pour « restaurer l’honneur de la France » suite au coup d’éventail infligé par le dey d’Alger au consul de France Deval en 1827.

14 juin 1830 : Le corps expéditionnaire français débarque à Sidi Ferruch.

5 juillet 1830 : le dey signe la capitulation d’Alger, mais 10 000 personnes fuient la ville. La régence d’Alger n’est que partiellement occupée par les Français.

21 septembre 1830 : décret du général Clauzel, commandant l’armée d’Afrique, autorisant la saisie des biens religieux (waqf) et des biens du publics (beylik).

22 novembre 1832 : Abd el-Kader est choisi comme émir par les tribus de Mascara et appelle à la guerre sainte.

Juillet 1833 : Une commission d’enquête française sur la conquête de l’Algérie affirme déjà que « nous avons dépassé en barbarie les barbares que nous venions civiliser ».

26 février 1834 : Un traité de paix entre Abd el-Kader et le général Desmichels aboutit à la reconnaissance de la souveraineté de l’émir, vassal du roi de France, sur l’Oranie. Oran devient le seul port par lequel les indigènes peuvent exporter et importer leurs marchandises. Un an après, l’armée française provoquera la reprise des combats.

22 juillet 1834 : Un gouverneur général est nommé pour administrer les « possessions françaises dans le nord de l’Afrique », désormais considérées comme définitives.

Septembre 1836 : le général Clauzel loue des lots de terres à coloniser dans la Mitidja, campagne proche d’Alger.

30 mai 1837 : le traité de la Tafna signé par le général Bugeaud reconnaît à Abd el-Kader la souveraineté sur les deux tiers du territoire algérien.

…À LA COLONISATION TOTALE

22 février 1841 : Le général Bugeaud, nouveau gouverneur général de l’Algérie, débarque à Alger avec un plan de conquête totale : « Il n’y a rien à saisir en Algérie qu’un intérêt, l’intérêt agricole. Eh bien, je n’ai pu découvrir d’autre moyen de soumettre le pays que de saisir cet intérêt. »

1842 : la guerre totale déclarée par Bugeaud permet au général Cavaignac d’inaugurer la pratique des « enfumades » dans les grottes.
Le chef d’escadron Pélissier tue près de 1 000 personnes avec leurs troupeaux, réfugiées dans les grottes du Dahra. Le général de Canrobert rase un village dans les Aurès pour « terroriser les tribus ».

14 mai 1843 : la smala, sorte de capitale mobile d’Abd el-Kader, est encerclée et prise par le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe.

10 avril 1847 : Bugeaud prend les premières mesures de cantonnement. Les tribus doivent être « resserrées » sur des terres clairement définies, dont elles auront la pleine propriété et non plus simplement l’usufruit. Le reste des terres collectives de la tribu sont libérées pour l’acquisition par des colons, car sur les 198 000 colons arrivés entre 1842 et 1846, 118000 sont repartis.

23 décembre 1847 : reddition d’Ab el-Kader, qui sera détenu durant cinq années en France.

12 novembre 1848 : l’Algérie est déclarée partie intégrante de la France dans la constitution.

 
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