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Justice et vérité pour Medhi Ben Barka, le 29 octobre à Paris




51 ans après l’enlèvement et la disparition de Medhi Ben Barka, militant socialiste tiers-mondiste et panafricaniste,la déraison d’état doit faire place à la raison politique et à la vérité. En soutien aux victimes de la disparition forcée, contre l’oubli et l’impunité.

« Ce qui importe c’est la définition des pouvoirs et des responsabilités devant le peuple, et la mise en place d’institutions authentiquement populaires »

— Mehdi Ben Barka

Nous nous permettons de reproduire ci-dessous le texte « Ben Barka et ses assassins », un entretien avec Bechir Ben Barka, le fils de Medhi Ben Barka, qui anime le Comité pour la vérité sur l’affaire Ben Barka. Cet entretien a été réalisé en 1995, et est disponible sur le site www.danielguerin.info}


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PARIS
samedi 29 octobre, à 18h00
Boulevard Saint-Germain face à la Brasserie LIPP
Métro : Saint-Germain-des-Prés ou Mabillon

L’appel avec la liste des organisations signataires


Ben Barka et ses assassins

Medhi Ben Barka, mon père, a été interpellé devant la brasserie Lipp, le 29 octobre 1965, par deux policiers français. Il les a suivis puisqu’ils lui ont montré leurs cartes et, confiant, il est monté avec eux dans la voiture de service. Outre les deux policiers, un agent des services secrets français et un truand ont pris place dans la voiture qui les a menés à Fontenay-le-Vicomte dans la maison du truand. Mon père est entré dans la maison et après on ne sait plus ce qui s’est passé. On suppose qu’il a été assassiné mais on ne sait pas de quelle manière et on n’a jamais retrouvé son corps.

Il devait rencontrer un certain producteur et réalisateur d’un film qui devait s’intituler Basta et qui devait être projeté à l’ouverture de la Conférence tricontinentale à la Havane en janvier 1966, où devaient se réunir les mouvements de libération d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Mon père était chargé de la préparation politique et matérielle de cette conférence.

Il va y avoir une convergence d’intérêts pour mettre fin aux activités de mon père. Cette convergence va se remarquer parmi les protagonistes de l’affaire. En premier lieu, le ministre marocain de l’Intérieur, un agent des services français, des truands chargés de faire le sale boulot, des agents des services secrets américains et israéliens.

Daniel Guérin n’a jamais rencontré mon père mais, en tant que militant anticolonialiste, il connaissait parfaitement le rôle de ce dernier dans la lutte anti-impérialiste. Immédiatement après l’enlèvement, Daniel Guérin contacte certaines personnalités afin de réactiver l’ancien Comité France-Maghreb qui devient le Comité pour la vérité sur l’affaire Ben Barka. Ce comité a beaucoup fait pour que l’affaire ne soit pas étouffée juridiquement et politiquement. J’ai connu Daniel Guérin quand je suis arrivé à Paris en 1970 où nous avons travaillé en commun.

Il y avait eu deux procès en 1966 et 1967 où les ravisseurs de mon père ont été jugés mais on n’a jamais pu répondre aux questions de fond car on s’est heurté à la raison d’Etat. En 1975, nous déposons une seconde plainte pour l’assassinat de mon père pour éviter que l’affaire soit définitivement close par prescription. Daniel Guérin avait découvert un élément nouveau. En 1966, lors de la première enquête, le soi-disant producteur de films était recherché par la police française et au moment où il allait être arrêté, il s’est « suicidé » de deux balles dans le dos. Dans sa mallette, on a retrouvé un questionnaire de type policier, destiné à l’interrogatoire de mon père. Et puis personne n’y a fait attention. Toujours est-il qu’en 1970 un deuxième questionnaire a été retrouvé mais avec des commentaires manuscrits. C’est Daniel Guérin qui a conclu que le scripteur n’était autre qu’un certain Pierre Lemarchand, ancien député gaulliste et un des anciens chefs des barbouzes. Malgré les promesses d’apporter dans les plus brefs délais les preuves de son innocence en justice, cette dernière n’a pas cru bon de le reconvoquer jusqu’à aujourd’hui.

Deuxième blocage, celui du SDECE qui se retranche derrière le secret défense et refuse de fournir ses dossiers. Après l’élection de Mitterrand, Pierre Mauroy a ordonné aux services secrets d’ouvrir les dossiers. Mais ces derniers n’ont fourni que des éléments dont nous avions déjà connaissance. Vingt à trente ans après l’enlèvement de mon père, il n’y avait toujours pas une volonté politique de faire aboutir la vérité. Je dirais même qu’il y avait une volonté politique de ne pas faire apparaître la vérité.

Cela peut s’expliquer de deux manières : soit par des amitiés douteuses pour le régime marocain qu’il fallait préserver, soit, et c’est plus grave, parce que les implications françaises sont beaucoup plus profondes que ce que nous croyions auparavant. L’obstacle principal, en vingt ans d’enquête par Daniel Guérin et ensuite par la famille et les juges d’instruction, a été la raison et l’intérêt d’Etat qui n’a pas voulu lever ces verrous pour la recherche de la vérité.

Ce qui m’a fait admirer l’action de Daniel Guérin, c’est sa ténacité. Il menait son enquête, il poussait les témoins jusque dans leurs derniers retranchements. Il n’a pas hésité à se rendre au Maroc pour rencontrer le ministre de l’Intérieur qui était impliqué dans l’affaire. Il ne négligeait aucun élément. C’est vrai que parfois nous n’étions pas toujours d’accord avec ses conclusions ; on discutait beaucoup, parfois on s’engueulait parce qu’il avait son franc-parler ; il n’hésitait pas à dire ce qu’il pensait quand les avocats ou la famille n’allaient pas dans ce qu’il estimait être la bonne direction. Il est vrai que je n’ai pas toujours partagé ses conclusions notamment sur la façon dont mon père aurait été assassiné.

Mais toujours est-il qu’à partir des éléments qu’il avait pu débusquer, certaines pistes sont apparues. Daniel avait cette capacité d’anticipation qui lui permettait d’arriver à ces conclusions.

Quand on lit son livre sur l’affaire, qui est la somme d’enquêtes de vingt ans, cela ne reflète pas la quantité de travail, d’investigations, d’efforts nerveux, intellectuels ou physiques et tout ce que cela comprenait aussi de frustrations face aux blocages, aux faux-fuyants des témoins, face aux réticences de la justice ou des enquêteurs. Ce qui nous poussait, qui poussait Daniel, c’était ce désir de justice mais pas uniquement la justice pour la justice. Ce qui le poussait à travers cette recherche de la vérité, outre cet acharnement à dévoiler toutes les responsabilités, c’était, je crois, la volonté de rester fidèle à un certain idéal et de rendre hommage à celui qui, pour beaucoup de peuples du tiers-monde, le représentait par son engagement.

C’est ce que, moi, j’ai gardé comme souvenir de Daniel et je sais que, quand il est mort, la recherche de la vérité a perdu quelqu’un.


Bechir Ben Barka

 
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