La critique cinéma de Cluny : Gaspard Noé, « Enter the Void »




Gaspar Noé poursuit ses recherches formelles avec brio, mais pour raconter quoi ?

Gaspar Noé est un réalisateur rare : un moyen métrage (Carne) et trois longs métrages (Seul contre tous et Irréversible) en dix-huit ans, voilà un rythme digne de Terrence Malick ou de Kubrick. Comme ce dernier, dont il reconnaît s’inspirer, il prend le temps de construire ses projets, et ce choix permet de faire de chacun de ses films un événement. Irréversible avait créé la polémique lors du festival de Cannes en 2002, avec la crudité de la scène de viol et de celle du meurtre à coups d’extincteur.

Enter the Void a été lui aussi présenté à Cannes, dans une version inaboutie. Dépassé dans le registre provocateur par Antichrist, il a été fraîchement accueilli par la critique qui lui a reproché sa longueur et raillé ce que Le Figaro a appelé le « cinéma coloscopique ». La version qui sort en salle a été retravaillée, raccourcie (2 heures 34 quand même), et un générique de fin stroboscopique a été ajouté en ouverture.

L’histoire peut se résumer ainsi : Oscar, junkie occidental à Tokyo, est abattu par la police. Son esprit sort alors de son corps et vole au dessus de la ville à la recherche de sa sœur Linda qu’il avait promis de protéger. La première partie du film est tournée en caméra subjective, clignements de paupières inclus, avec la vision d’un trip sous DMT. Les flashbacks sont tournés en filmant Oscar de trois quart arrière. Quant à la vision post-mortem, elle est représentée par une caméra aérienne passe-muraille, procédé déjà utilisé au début d’Irréversible.

Il est fascinant de voir combien ce troisième long s’inscrit dans la continuité des précédents : place du monologue intérieur comme dans Seul contre tous, intertitres godardiens blancs sur noir, plan séquence de dos comme dans Irréversible, et même naissance en caméra subjective comme dans Carne... Enter the Void se vit comme une expérience sensorielle, un maelström de lumières rythmé par les pulsations d’une musique oppressante coupée par des silences encore plus angoissants.

C’est brillant, toujours à la limite du too much mais souvent sauvé de l’overdose par des ruptures de rythme. Reste que ce brio formel se met au service d’un propos parfois confus, alourdi par des explications didactiques qui sonnent faux et une psychologie des personnages artificielle. La beauté formelle contraste avec le cadre décrit : strip-teaseuses, dealers sadiques, love hôtel glauque, voyeurisme du frère.

Lors de la sortie de Seul contre tous, Gérard Delorme disait « Comme certains insectes qui provoquent une répulsion instinctive mais sont indispensables à l’équilibre écologique, le cinéma de Gasper Noé fait partie de ces espèces rares qu’il faut absolument protéger. » Cette citation s’applique parfaitement à Enter the Void : agaçant, démesuré, prétentieux, mais tellement nécessaire dans le paysage frileux du cinéma français contemporain.

  • Enter the Void, de Gaspard Noé, 154 min, 2009. Avec Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy. Sortie le 5 mai.

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