Dossier urbain : La gentrification : comment y résister ?




Le mouvement de relégation des classes populaires vers la périphérie
des grandes villes semble parfois relever d’un mouvement inexorable.
Il est cependant possible de le freiner.

La gentrification – l’embourgeoise -
ment des quartiers populaires par la
transformation de l’habitat et du tissu
urbain – est un processus local qui
résulte des reconfigurations du système
capitaliste à différentes échelles :
transformation sociale des emplois
dans les grandes villes, en lien avec la
nouvelle division internationale du
travail, fonctionnement du marché
immobilier comme enjeu croissant
d’absorption des surplus de capitaux,
mais aussi politiques économiques
néolibérales, déréglementation du
marché du logement [1], et surtout politiques
locales d’embellissement des
espaces urbains au détriment des
usages populaires de la ville.

Si tous ces facteurs sont réunis et
puissants dans une ville ou un quartier
donné, il n’est pas facile de résister
à ce processus, surtout dans un
contexte de délitement de la conscience
de classe des dominé-es. On
peut toutefois envisager quelques pistes,
à deux niveaux.

À court terme, dans le cadre du système
économique et politique existant,
des actions peuvent être menées
pour freiner la gentrification. On peut
citer les luttes contre les expulsions
locatives, contre les projets de promotion
immobilière qui font monter
les prix, mais aussi l’occupation des
logements vacants.

Ces luttes ont tout intérêt à se coordonner
au niveau de l’agglomération,
voire de tout le pays ou au niveau
international. Aux États-Unis existe
ainsi la coalition Right to the city, qui
exige un contrôle des loyers, la réquisition
des logements vides et la création
de logements sociaux.

Solidarité et politisation

Toujours au niveau local, il est possible
de s’attaquer aux politiques d’urbanisme
qui prônent la mixité sociale,
l’embellissement de la ville ou la création
de nouveaux équipements culturels,
tant leur objectif réel est la gentrification.
Même quand elles mettent
en avant la création de logements
sociaux, il faut se battre pour éviter
leur création au strict bénéfice des
classes moyennes (PLS) et demander
de vrais logements sociaux (PLUS et
PLAI) en quantité.

Ces politiques dépassent la seule
question de l’habitat et supposent
une lutte pour maintenir l’appropriation
populaire des quartiers qu’elles
visent. À cet égard, les squats qui proposent
des activités favorisant la solidarité
et la politisation, comme la
CREA à Toulouse, le Dilengo à Ivrysur-
Seine ou jadis la Cantine des
Pyrénées à Paris 20e, expulsée l’été
dernier [2], sont des appuis décisifs au
maintien de cette appropriation
populaire des lieux.

Cependant, les luttes centrées sur
le logement sont au coeur des résistances
à la gentrification, mais elles
ne suffisent pas : pour maintenir cette
appropriation populaire et développer
les pratiques solidaires, ces
luttes doivent s’accompagner d’un
travail de politisation et de développement
de la conscience de classe.
Cela suppose aussi pour les militantes
et les militants de s’interroger sur leur
position sociale dans ces quartiers
(aussi bien en termes de classe et de
« race » que de genre) pour ne pas
reproduire, dans les luttes, la domination
qui est déjà en jeu dans la
gentrification.

La politisation est à la fois un
moyen et une fin de la lutte contre la
gentrification au quotidien. Car encadrer
les loyers et lutter contre les
projets d’urbanisme qui visent à effacer
la ville populaire ne suffiront pas,
et les militantes et les militants sont
parfois, malgré eux, des avant- gardes
de la gentrification des quartiers
populaires.

À long terme, lutter contre la gentrification
devrait être l’occasion de
remettre en cause le capitalisme et
l’État, en faisant le lien avec les luttes
d’émancipation : il s’agit de porter des
principes politiques plus larges comme
la socialisation et l’autogestion du
logement, ou encore l’autogestion
collective de la ville (ou « droit à la
ville ») afin de l’arracher aux logiques
d’accumulation du capital.

Anne Clerval (géographe)


Lire les autres articles du dossier

[1Malgré une tentative récente, insuffisante et
contestée, en France pour le re-réglementer
avec la loi Alur, dite loi Duflot

[2Lire « La Cantine n’est pas morte », dans
Alternative libertaire de septembre 2014

 
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