antirépression

La police déteste (presque) tout le monde




En octobre ont eu lieu des manifestations de policiers dans plusieurs villes de l’Hexagone, suite à l’attaque au cocktail Molotov de policiers dans un véhicule. Organisée sans les syndicats et se faisant largement écho des thèses de l’extrême droite, ces manifestations sont le signe d’une évolution toujours plus autoritaire du régime actuel.

Faut-il commencer par le rappeler ? La police blesse, mutile et tue. Régulièrement, des associations ou des organismes internationaux, peu suspects de « gauchisme » ou d’être partisan du slogan « ACAB », dénoncent les violences policières en France. Quotidiennement, du fait de leur couleur de peau ou de leur tenue vestimentaire, des personnes sont harcelées, humiliées, injuriées, blessées ou tuées par la police. Au mieux, ces meurtres sont enterrés par la justice, au pire, ils sont justifiés.

Ainsi du meurtre d’Adama Traoré : le procureur en charge de l’enquête a évoqué une « infection très grave », bien qu’aucun des rapports d’autopsie n’en parle, ces derniers avançant le résultat d’un « syndrome d’asphyxie ». Pendant ce temps, des milliers d’individus sont envoyés devant les tribunaux pour des « outrages » ou des « rébellions » imaginaires. Ce qui permettra à des policiers d’encaisser des indemnités juteuses et de s’acheter une impunité bon marché.



Des policiers « mal-aimés » ?

Mais voilà que les policiers se sentent « mal-aimés » et se plaignent que « les gens ne les respectent plus ». Prenons un instant au sérieux leurs griefs : la police est l’instrument de la classe dominante pour défendre ses intérêts. Dans ce cadre, elle est utilisée pour réprimer les salarié.es qui luttent pour leur survie ou les écologistes qui se battent contre un projet d’aéroport inutile. Par ailleurs, la politique du chiffre a imposé aux policiers de se focaliser sur la petite délinquance ou la délinquance routière, facilement répréhensibles et électoralement exploitables.

Ces actions exposent la police à une impopularité certaine voire, très rarement, à de la violence. Mais là où les policiers devraient se retourner contre ceux qui les instrumentalisent dans leur intérêt, ils réclament une fuite en avant : une politique pénale plus dure, un armement plus puissant. Quel sera le résultat de cette politique ? Ce qu’elle produit depuis des années : de la tension avec ce qu’elle implique comme conséquences violentes. Et alors que la légitimité politique de la classe dominante se réduit à peau de chagrin, on comprend que les maîtres cajolent leurs chiens de garde.

De Le Pen à Mélenchon, les politiciens ne cessent de clamer leur amour à ces braves soldats. Et quand ils sont au pouvoir, ils joignent le geste à la parole. Dans le cadre des politiques d’austérité les moyens de la police sont malencontreusement réduits ? Pas de panique, le gouvernement suivant les rétablira. Un candidat promet un « récépissé de contrôle d’identité » pour limiter le harcèlement policier ? Ne vous inquiétez pas, il ne s’agit que d’une promesse de campagne vite « oubliée ». Un militant écologiste est tué lors d’une manifestation ? Pas de souci, le gouvernement mentira à la place des gendarmes et enterrera l’affaire. Ici ou là, la police municipale veut sa part du gâteau ? Des maires leur donneront de nouveaux uniformes, plus guerriers, et les armeront. Et si, comme à Beauvais, la population refuse par référendum de les armer, les policiers se vengeront à coup de PV. Partout règne l’impunité, récompense pour le sale boulot.

Les policiers qui ont manifesté par centaines, parfois armés et cagoulés, le savent bien. Et au fond ce qu’ils veulent ce n’est pas simplement des moyens supplémentaires ou moins de charge de travail. Leur volonté va bien au-delà : elle s’inscrit dans un projet politique. En témoignent les formes mêmes de la mobilisation : de l’utilisation centrale des symboles du nationalisme français (Marseillaise, drapeaux tricolores, hommage à Jeanne d’Arc) aux slogans d’extrême droite entendus dans certaines manifestations (« les racailles en prison » ou encore « Français réveille-toi, tu es ici chez toi »). Certains leaders identifiés sont d’ailleurs réputés proches de l’extrême droite comme le fameux Rodolphe S. (qui n’est même pas policier) ou Robert Paturel, ancien du Raid.



Etat d’urgence, état policier

Ce que veulent ces policiers au fond, c’est une extension de leur impunité, c’est l’effacement de la rhétorique républicaine légaliste qui euphémise la violence exercée par la police sur la population. Ils veulent en finir avec cette forme pénible du légalisme qui les empêche d’assumer pleinement ce qu’ils sont : une force armée au service des puissants. Les derniers verrous doivent sauter. Et s’ils ont pu manifester ainsi en enfreignant toute les règles légales de leur profession c’est qu’ils se sont sentis autorisés à le faire car le contexte les y autorisait.

Ce contexte est celui de l’état d’urgence qui, à force de renouvellement, n’existe plus. C’est un état continu. Aucun gouvernement ne le retirera, soit parce qu’il est convaincu que c’est « utile », soit par peur de la vindicte des éditocrates. Cet état implique le renforcement et l’autonomisation conséquents du pouvoir policier : des interdictions de circuler ou de séjour peuvent être prononcées par le préfet tout comme des perquisitions, de jour comme de nuit, sans l’aval d’un juge, des dissolutions d’association et des assignations à résidence peuvent être décidées. S’agit-il de la lutte antiterroriste ? Assurément non. Sur 4 000 perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence, seuls cinq ont donné lieu à des procédures judiciaires antiterroristes.

La fonction réelle, c’est d’accroître le pouvoir de la police sur certaines parties de la population en particulier sur les catégories populaires issues de l’immigration ou sur les militantes et militants politiques. Accélération d’une logique sécuritaire qui n’est pas neuve et qui est produite depuis des années par tous les gouvernements sans exception : destruction des quelques libertés publiques arrachées par les combats sociaux, militarisation et armement de la police, développement de la surveillance et de l’enfermement.

Cette logique puise sa légitimité dans des rhétoriques politiciennes et médiatiques mensongères. Celles qui prétendent que les violences graves augmentent alors qu’elles n’ont jamais été aussi peu nombreuses, celles qui parlent de « casseurs » ; « d’émeutes » pour désigner des « violences » politiques qui n’ont pourtant jamais été aussi peu violentes, celles qui distillent la peur à longueur de reportages sur la délinquance ou sur la police, déformant la réalité et propageant le sentiment d’insécurité chez ceux et celles qui pourtant ne vivent pas, dans leur écrasante majorité, cette insécurité.

Mais s’il y a une insécurité et une violence qui progresse, c’est bien celle orchestrée par l’État. La répression politique et le contrôle des populations ne font que progresser. Et ce n’est pas parti pour s’inverser. Pour 2017, les politiciens nous promettent plein de surprises : construction massive de prisons, camps de concentration pour « fichés S », davantage de police et moins de libertés. Les modèles russes ou chinois ne sont plus très loin, à moins que ce ne soit le modèle turc qui soit visé.

Un autoritarisme rampant

Car il s’agit bien d’une évolution générale du capitalisme et non d’une sinistre parenthèse. Bien évidemment, les sociétés capitalistes n’ont jamais été démocratiques car elles ont porté en elles l’autoritarisme, l’exploitation des individus par le travail, l’écrasement des exclus ou la colonisation. Mais les combats sociaux y ont souvent amené de la contradiction et les rapports de force n’ont pas toujours été les mêmes. Or la période actuelle est marquée par le recul de ces luttes, pour un ensemble de raisons, ce qui contribue aux renforcements des tendances autoritaires du capitalisme. Celles-ci se traduisent, dans les politiques sécuritaires mises en œuvre, par une restriction des libertés politiques et par l’application de manière de plus ou plus autoritaires (sans s’embarrasser de la « forme démocratique ») des politiques antisociales : recours au 49.3, volonté de gouverner par ordonnance, impositions des politiques par des organismes non élus, etc.

Il ne saurait donc y avoir de lutte pour les libertés publiques ou contre l’autoritarisme sans une perspective révolutionnaire anticapitaliste. Mais l’on perçoit ici toute la difficulté à mobiliser sur ces questions. Depuis le début de l’état d’urgence, des tribunes ont été publiées dans la presse, des appels ont été lancés et quelques manifestations ont été organisées mais elles n’ont regroupé que quelques milliers de personnes tout au plus. Il y a donc un combat idéologique à mener : dénoncer les mensonges des discours policiers, démontrer les mécanismes et les raisons de l’autoritarisme. Mais aussi détruire les dernières illusions de ceux et celles qui, par naïveté et parce qu’ils et elles n’y sont pas exposé.es directement, ne perçoivent pas la réalité des violences policières. Dans ce sens, les montages vidéo, les témoignages ont une puissance virale sur les différents réseaux sociaux.

Mais le cœur du combat consiste d’abord à assurer une solidarité de classe sans faille à celles et ceux qui subissent la répression policière. Une solidarité qui peut être financière, technique mais aussi politique indépendamment des désaccords stratégiques, qu’il faut certes assumer, mais qui ne doivent pas être prétextes à la division face à la répression policière. Enfin, importante est la nécessaire adaptation des pratiques politiques dans un contexte où la part d’illégalité de celles-ci sera croissante.

Tristan (AL Toulouse)


Une vidéo réalisée par Usul sur le système des violences policières.

 
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