politique

Les « antisystèmes » au service des dominants et du capital




Le plus souvent d’extrême droite, mais aussi parfois libéraux, voire de gauche, les politiciens se revendiquant « antisystème » se multiplient depuis quelques années. Utilisant une rhétorique semblable, sous-tendue par des orientations politiques diverses, ils prospèrent sur un vide idéologique très éloigné de la critique radicale de la démocratie libérale et du capitalisme.

Trump aux États-Unis, Le Pen ou Soral en France, Orbán en Hongrie, Grillo en Italie, Ukip au Royaume-Uni, AfD en Allemagne, PiS en Pologne… l’extrême droite pullule partout dans le monde en se proclamant « antisystème ». L’épidémie antisystémiste touche également à droite (feu Sarkozy, Fillon et Macron à leur façon...) et même à gauche (Mélenchon, Podemos en Espagne). Le concept a d’ailleurs un certain succès, comme l’a montré l’élection de Trump.

Jeu verbal

La recette ? Capitaliser sur la détestation largement répandue dans la population « des élites » ou de « la caste », et pointer la corruption des dirigeants. On peut partager ces avis, mais cette critique (superficielle) du système politique s’accompagne souvent de messages nauséabonds à l’égard des immigré.es ou des musulmans et musulmanes, des fonctionnaires et des intellectuel.les, des salarié.es privé.es d’emploi ou au RSA, tous et toutes considéré.es comme des parasites. Il s’agit aussi de « donner un grand coup de pied dans la fourmilière », de « briser les tabous », de combattre « le politiquement correct » et « la pensée unique » : des éléments de langage galvaudés pour véhiculer un programme réactionnaire.

Bien sûr, se proclamer antisystème n’est, dans le cas des individus mentionnés, que pur jeu verbal. Quand ceux qui s’en réclament ne sont pas des politiciens traînant dans les couloirs des assemblées depuis des décennies, comme Fillon ou Mélenchon, on est face à des hommes d’affaires à la fortune acquise de façon douteuse, comme Trump. L’homme d’affaires et Président élu des États-Unis, qui entrera en fonction le 20 janvier, serait en effet, selon Forbes, à la tête d’une fortune de 3,7 milliards de dollars, ce qui en ferait la 324e fortune mondiale. Il a pourtant réussi à glaner des voix dans les classes populaires blanches américaines, à la faveur d’une rhétorique qui promettait de mettre à bas l’establishment, mais aussi au moyen de saillies racistes et sexistes. Et il faut reconnaître que la candidate malheureuse, Hillary Clinton, fait partie du sérail, et qu’elle apparaissait avec raison comme la candidate de Wall Street.

Pourtant, Donald Trump a d’ores et déjà préparé un cabinet plein de grands fauves du monde des affaires ou du Parti républicain. Il a ainsi annoncé que le prochain secrétaire au Trésor serait Steven Mnuchin, un financier très connecté à Wall Street et ancien de Goldman Sachs. Goldman Sachs, cette banque renflouée par la Réserve fédérale après la crise des subprimes ? L’archétype des collusions entre un pouvoir politique corrompu et un système financier vérolé ? Oui oui… Autre exemple : Wilbur Ross, qui doit occuper le poste de ministre du Commerce. Surnommé le « roi de la banqueroute », parce que son business consistait à « sauver » des entreprises en difficulté, il a ainsi engrangé une fortune de 2,3 milliards de dollars selon le magazine Forbes... Il a surtout aidé Donald Trump quand ses casinos d’Atlantic City battaient de l’aile dans les années 1980, ce qui valait bien un renvoi d’ascenseur. On fait mieux pour un antisystème, mais peu importe, l’important n’est pas ce qu’on fait une fois au pouvoir mais ce qu’on dit, car c’est ça qui permet d’être élu.

Le double discours des Le Pen

Les Le Pen en témoignent également. Rien dans leur programme ne remet en cause le patrimoine des possédants, dont ils font partie. D’où un discours ambigu sur quantité de sujets (retraites, Sécu, loi travail), afin de satisfaire les diverses franges de leur électorat, de la vieille droite conservatrice catholique à un électorat plus populaire, sans doute raciste et homophobe, mais qui ne voit pas d’un bon œil les mesures destinées à enrichir encore ceux qui ont déjà beaucoup.

Marine Le Pen a ainsi pu déclarer que « François Fillon a le pire programme de casse sociale qui n’ait jamais existé », et que « jamais aucun candidat n’est allé aussi loin dans la soumission aux exigences ultralibérales de l’Union européenne ». À cela, elle oppose « la proposition patriote de Marine Le Pen, avec le patriotisme économique, la priorité nationale, la protection de nos entreprises face à la concurrence internationale déloyale ». Sa conclusion : « Et le projet de monsieur Fillon avec la suppression de la Sécurité sociale, la suppression de la durée légale du travail, la dérégulation totale. Les Français choisiront. »

On le voit, face à un Fillon très à droite auquel elle pourrait être opposée au second tour, elle doit « gauchir » son discours. Pourtant, le FN ne promet pas exactement un paradis socialiste : « Nous sommes d’authentiques libéraux au niveau national, et des protectionnistes raisonnés à l’extérieur, a ainsi pu déclarer Bernard Monot, animateur du comité chargé de rédiger le programme économique du FN, cité par Le Monde. Le FN est l’ami de toutes les entreprises, des plus petites à celles du CAC 40, à condition qu’elles embauchent, investissent et payent leurs impôts en France. » Marine Le Pen n’est d’ailleurs pas sur une autre ligne : lors de son discours de clôture des Estivales à Fréjus (Var), le 17 septembre, elle a ainsi pu déclarer qu’« il faut à la fois que s’allègent à l’intérieur les contraintes et l’injustice fiscales (…) et que se renforcent à l’extérieur le principe de la préférence pour soi et de primauté de la nation ». Bref, le FN, incarnation de l’antisystème, antipartis, ni gauche ni droite, essaie surtout de jouer sur deux tableaux : social d’un côté, pro-entreprises de l’autre, le tout enrobé de patriotisme économique.


Le FN, parti au service des patrons from Union Syndicale SOLIDAIRES on Vimeo.

Réalisée par l’Union Syndicale Solidaires, cette courte vidéo souligne le discours pro-patronal des Le Pen père et fille.


Pente glissante de la xénophobie

Tous les antisystème ne se proclament pas tels pour les mêmes raisons, et ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Il ne s’agit pas de renvoyer Le Pen et Mélenchon dos à dos sous prétexte qu’ils usent de certains traits rhétoriques semblables, car le contenu associé est différent.

Néanmoins, même les antisystèmes de gauche marchent parfois sur la pente glissante de la xénophobie. Mélenchon se positionne par exemple sur une ligne patriote de gauche. Il nie, bien sûr, qu’elle soit contradictoire avec l’internationalisme. Pourtant, il a pu parler en juillet dernier, au Parlement européen, du « travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place ». Il a aussi pu défendre, dans une interview au Monde du 25 août, l’immigration choisie : « Je n’ai jamais été pour la liberté d’installation et je ne vais pas commencer aujourd’hui. Est-ce que, s’il venait 10 000 médecins s’installer en France, ce serait une chance ? Oui. »

Comment expliquer de tels positionnements, qui ne sont guère susceptibles de rallier à sa cause une part importante de l’électorat de gauche ? Sans doute tente-t-il de séduire des électeurs et électrices du FN, qu’il considère comme un électorat potentiel, dans une vision fantasmée des classes populaires comme se défiant des immigré.es. Il est certain que, faute d’une véritable analyse de classe, les candidats antisystème de gauche s’orientent ainsi vers une politique souverainiste et protectionniste, faisant du « peuple » le fondement de leur projet politique, en retrait par rapport à une analyse matérialiste de classe. Et cela peut amener à des positions flirtant avec celles des souverainistes de droite, xénophobes et anti-immigrés.

En réalité, la rhétorique antisystème est d’abord une rhétorique démagogique, destinée à plaire le plus largement possible, y compris à des personnes qui ne sont pas d’accord entre elles. Évidemment, rejeter « le système » est très courant, mais tout le monde ne fait pas reposer cela sur les mêmes orientations idéologiques, et il est donc préférable pour les candidats de ne pas trop détromper l’électeur ou l’électrice potentiel.le en éclaircissant la nature de la révolution envisagée (libérale ? conservatrice ? nationale ? nationale-socialiste ?…). Tout le monde étant contre le « système », mais ne mettant pas forcément la même chose dessous, mieux vaut se garder de définir quoi que ce soit.

Il en résulte une bouillie idéologique assez informe, qui se montre par exemple dans les rapports, assez partagés chez les autoproclamés antisystèmes de tout bord, avec Poutine et les positionnements sur la question syrienne. Ainsi, Trump, Le Pen, Fillon ou Mélenchon, de tendances politiques différentes, n’en partagent pas moins une fascination manifeste pour le despote du Kremlin. Rien que de très naturel pour une Le Pen, dont les affinités politiques avec Poutine sont manifestes, et qui par ailleurs en reçoit des fonds. C’est plus étrange pour Trump, étant donné la rivalité historique de son pays avec la Russie, ou pour Fillon, à l’heure où la droite française est plutôt atlantiste. Et il est carrément contre-nature pour Mélenchon de soutenir un dirigeant d’extrême droite jusque dans son intervention aux côtés d’Assad dans le massacre de la population d’Alep. Mais ce type de postures assure à moindre frais une allure de rebelle, en l’occurrence contre l’impérialisme US, même s’il s’agit en fait de soutenir des positions tout aussi impérialistes, et par ailleurs franchement d’extrême droite, du côté russe ou syrien.

Flou idéologique

On voit le flou idéologique qui entoure la rhétorique des antisystèmes. Il peut être interprété comme le refus, le plus souvent intéressé, de mener du « système » une critique radicale.

Les antisystèmes critiquent ainsi beaucoup les hommes politiques installés, y compris quand ils sont eux-mêmes des hommes politiques installés, mais ne soumettent jamais ce système à une critique de fond. Et pour cause : ils ont généralement pour objectif de s’emparer dudit pouvoir, éventuellement en accentuant davantage le côté antidémocratique de celui-ci par une personnalisation accrue. Ils défendent l’idée que les mauvaises personnes sont au pouvoir, et non que les institutions sont dans leurs fondements non démocratiques, vouées à générer de la corruption et à mettre les élus en état d’apesanteur par rapport aux classes populaires. Ils laissent penser que, s’ils étaient élus, tout marcherait pour le mieux, moyennant éventuellement un ravalement de façade du régime politique (passage à la VIe République par exemple).

De même, sur le versant économique, les antisystèmes ne pointent jamais le véritable responsable de la crise et de la pauvreté : le capitalisme. Quelques-uns feront semblant de promouvoir la redistribution des richesses, critiqueront les aspects les plus libéraux du capitalisme, d’autres prétendront au contraire pousser ces aspects à leur paroxysme dans une approche résolument individualiste et antiétatiste, mais aucun (pas même ceux de gauche) ne met en avant les antagonismes de classes dans la société et la nécessité d’exproprier les possédants.

Ces critiques radicales ne sont aujourd’hui menées que par l’extrême gauche, notamment libertaire. Il est plus qu’urgent que nous nous donnions les moyens de faire en sorte que la colère du plus grand nombre trouve un débouché dans les mouvements sociaux et non dans le vote pour des démagogues autocrates.

Vincent (AL Paris-Sud)


VOUS AVEZ DIT « POPULISME » ?

Les antisystèmes autoproclamés sont souvent taxés de « populistes » par leurs adversaires politiques ou les médias. Au moyen d’un terme renvoyant au peuple, ces derniers cherchent à disqualifier d’emblée certaines propositions politiques, comme si tout ce qui venait des classes populaires était forcément mortifère.

Ils viennent ainsi accréditer précisément ce que les antisystèmes font semblant de remettre en cause : la brisure entre les élites politiques, économiques et médiatiques et le reste de la population. Par ailleurs, il faut noter que ce que les adversaires dudit « populisme » lui reprochent sont souvent des choses qu’eux-mêmes ont largement promues.

La haine des immigré.es trouve ainsi ses racines très largement dans le traitement qu’une partie des médias et certains hommes politiques dans ou en dehors des gouvernements ont imposé, avant de se rendre compte que cela nourrissait l’extrême droite. On pourrait faire le même constat sur les fonctionnaires où les salarié.es privé.es d’emploi.

- image : cc Garry Knight

 
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