Les classiques de la subversion : Henri Alleg : La question




« J’ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleurs et tant d’humiliations que je n’oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire connaître la vérité c’est aussi une manière d’aider au cessez-le-feu et à la paix. Des nuits entières, durant un mois, j’ai entendu hurler des hommes que l’on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire. »

Henri Alleg, communiste, ancien directeur du journal Alger républicain, est arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes français. Comme lui, des milliers de civils sont arrêtés chez eux, dans la rue ou sur leur lieu de travail, puis internés sur simple décision administrative, sans qu’aucune charge soit retenue contre eux. Incarcéré à El Biar, Alleg est interrogé et torturé avant d’être transféré à la prison civile d’Alger. Il y rédigera La Question, publié par les éditions de Minuit, dans lequel il relate le martyre atroce subi durant son interrogatoire.

Censuré et saisi dès sa sortie en 1958, l’ouvrage est réédité deux semaines plus tard par l’éditeur suisse Nils Andersson. Récit bref, sec, dense, clinique, ni règlement de compte ni prosélytisme.

Alleg nous immerge dans l’horreur de la torture, pratiquée durant cette guerre qui ne dit pas son nom. La douleur, l’humiliation, la saleté, l’obscurité. Face à la force, la dignité, le courage, la résistance aux sévices endurés. Abjection de certains personnages. Barbarie, violence, sadisme. Le supplice d’Alleg nous laisse pantelant. Un para relaie l’autre. On l’asperge d’eau. On lui branche les électrodes sur le sexe, sur l’oreille, on lui plonge des fils dénudés dans la gorge. Le courant soude sa mâchoire. La gégène.
Après une première séance de 12 heures, on le jette sur une paillasse couverte de barbelés avant de l’arracher au sommeil pour une nouvelle séance.

Henri Alleg ne parlera pas. Les tortionnaires s’excitent : baignoire, asphyxie, brûlures, électricité, passages à tabac, simulacres d’exécution, il ne dénoncera pas ses camarades, malgré le penthotal administré par des médecins. La métropole s’agite devant ce prisonnier encombrant.

On retrouvera certains de ces hommes, explicitement nommés par leurs initiales, dans toute l’histoire de la Ve république. Les secteurs les plus extrémistes de l’armée, des services secrets et des réseaux foccartiens mis en place par De Gaulle les ont utilisés et utilisent encore leurs successeurs en Françafrique.

La Question, un cri qui retentit longuement dans les consciences, à l’heure de Guantanamo et d’Abou Ghraib.

Gisèle Felhendler (AL Paris Nord-Est)

l Henri Alleg, Jean-Pierre Rioux, La Question : Suivi de La torture au coeur de la République, Les Editions de Minuit, 2008,92 p., 6,60 euros

 
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