Lutter contre l’impérialisme en Irak




Le bilan de plus de un an d’occupation et de guerre en Irak est sinistre : 70 % de chômeur(se)s, villes détruites, hôpitaux et écoles hors d’usage, camps de tortures, insécurité démultipliée, manque de logement, d’eau, de nourriture, de médicaments, etc. Le pillage des richesses de l’Irak et la privatisation des principaux secteurs de l’économie par les multinationales occidentales est également un objectif de l’occupation.

Solidarité Irak [1] a toujours dénoncé l’intervention militaire des troupes de la coalition menée par les USA, ainsi que le caractère fantoche et non représentatif de l’actuel gouvernement provisoire, formé de divers représentants de la bourgeoisie nationale et cléricale, piloté par les États-Unis. Cette dénonciation est justifiée, mais elle n’est pas suffisante. S’il est vrai que les revers subis par les troupes de l’impérialisme sur le terrain l’affaiblissent et approfondissent la crise politique aux USA et en Grande-Bretagne, nous ne saurions pour autant apporter le moindre soutien politique aux directions islamistes ou baasistes, réactionnaires et anti-ouvrières qui s’attaquent au mouvement ouvrier organisé et aux mouvements pour la libération des femmes. L’islam politique et le nationalisme sont incapables de mener les exploités vers leur émancipation. Qu’aurait à gagner la population irakienne à être demain dirigée par un « Saddam Hussein bis » ou un « Khomeyni bis » ? L’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami. Comme le précisait récemment Houzan Mahmoud [2], l’indépendance du mouvement ouvrier irakien suppose aujourd’hui son armement contre les occupants et contre les hordes islamistes et baasistes. Celles-ci pourraient être, demain, les alliées directes de l’impérialisme, et installer un régime moyenâgeux en échange de marchandages, comme hier les talibans.

Des directions islamistes et un gouvernement réactionnaire

Ce soutien aveugle aux directions islamistes, assimilées à la résistance populaire par certaines organisations de gauche [3] est une simplification grossière de la situation en Irak. La réalité est plus complexe : une kyrielle d’organisations réactionnaires se déchirent pour conquérir le pouvoir. Elles jouent la voie de la résistance armée ou de la résistance légaliste, et souvent les deux à la fois. L’actuelle résistance armée est formée principalement de deux nébuleuses. La première est celle du croissant sunnite dont le noyau dur a pris position à Fallouja. Ces groupes, formés d’anciens officiers baasistes et chefs tribaux inféodés à Saddam Hussein, n’hésitent pas à commettre des attentats-suicides touchant des civils. Suite aux combats meurtriers de ces dernières semaines, ils ont accepté un cessez-le-feu avec les troupes d’occupation et repris le pouvoir à Fallouja. Quand des baasistes remplacent des baasistes, nous sommes loin d’un avenir meilleur pour la population en Irak et de l’établissement de la démocratie comme s’en revendiquent les gouvernements de la coalition. La seconde nébuleuse est formée par les milices religieuses chiites et sunnites, dont celles du médiatique chef religieux radical Moqtada Al Sadr, favorable à l’instauration d’un État islamique basé sur la charia. Son organisation, composée de brigands violents et sexistes, est reliée à la République islamique d’Iran qui la finance. Ses milices sont sur le point d’établir leur emprise sur Nadjaf, où un cessez-le-feu est actuellement en discussion : rachat des armes des milices, mandat d’arrêt contre Al Sadr suspendu. Leur combat est loin d’être porté par un projet émancipateur : il s’agit plutôt d’une lutte de pouvoir entre forces bourgeoises et cléricales. Al Sadr a noué des liens avec les mouvements religieux sunnites, s’opposant ainsi aux mouvements chiites du conciliateur Al Sistani. De manière générale, des militants de l’islam politique international ont profité de la porosité des frontières pour s’introduire en Irak et y mener leur jihad contre « les impies américains ».

Ces mouvements de résistance réactionnaires, patriarcaux, islamistes et nationalistes sont tout sauf préoccupés par le sort de la population irakienne. Pire, ils représentent des forces d’oppression et d’exploitation de la population notamment des femmes et contribuent à maintenir l’insécurité. Leur anti-américanisme, plus ou moins de façade, n’en fait pas pour autant des forces progressistes. Ces forces qui participent aujourd’hui à la lutte armée contre l’armée US seront sans doute leurs meilleurs alliés demain. En dehors de ces nébuleuses, la majorité des partis politiques et courants religieux collaborent ouvertement, par l’intermédiaire du Conseil provisoire de gouvernement, avec les forces d’occupation dirigées par les USA. Le Parti communiste irakien, les dignitaires chiites officiels, les nationalistes kurdes proaméricains, les forces tribales participent à ce gouvernement pour instaurer « l’autorité souveraine du peuple irakien ». Cependant leur objectif commun consiste plutôt à diviser la société irakienne selon des critères ethniques et religieux, à reconnaître la religion comme source de la loi, opprimer les femmes et intensifier l’exploitation capitaliste.

Un autre soutien est possible

Il ne faut cependant pas oublier le prolétariat combatif, qui s’était déjà manifesté dans l’insurrection des Conseils ouvriers (shuras) en 1991 dans l’est et le nord du pays, réprimée dans le sang par la dictature baasiste. Les mouvements progressistes se font à nouveau entendre depuis un an en Irak et s’affirment en tant qu’alternative de masse. L’Union des chômeurs, initialement formée de quelques chômeurs à Bagdad, a connu une croissance spectaculaire et compte maintenant plus de 130 000 membres répartis dans 7 régions d’Irak. Elle combat pour exiger du travail ou une indemnité chômage décente. Elle est devenue une force incontournable en Irak, entendue par les 10 millions de chômeur(se)s et précaires qui y survivent et participe notamment aux distributions de nourriture. Sur le plan social, elle a présenté avec la Fédération des conseils ouvriers et syndicats irakiens une proposition de loi de type « transitoire » garantissant le droit d’occupation des entreprises par les comités de travailleur(se)s. Ces forces sont victimes de la répression des troupes d’occupation. En août 2003, le mouvement des chômeurs a organisé un sit-in de 45 jours devant l’ambassade de Paul Bremer : les troupes d’occupation ont chargé les manifestants et arrêté leurs dirigeants. Et si mercenaires et militaires abusent arbitrairement de leurs pouvoirs contre la population, la répression n’est pas toujours le fait des seules forces d’occupation. Le 3 janvier 2004, le groupe islamiste « Al-initfadah Al sha’baaniah » tire sur une manifestation de chômeurs, faisant 4 morts et des blessés. Ce jour-là, un rassemblement s’était formé spontanément devant la mairie, à l’annonce de la création d’emplois. Lorsqu’un responsable municipal annonce qu’aucun emploi ne sera fourni, les chômeurs en colère lancent des pierres sur l’hôtel de ville, jusqu’à l’irruption des islamistes. À Nassiriya, une manifestation de 7 000 personnes est réprimée par les milices islamistes. À Al-Amarah, au sud, ce sont des troupes irakiennes sous commandement britannique qui font 6 morts et 11 blessés, le 10 janvier 2004.

Parallèlement à ces actions, la Fédération des conseils ouvriers et des syndicats irakiens pose les bases d’un nouveau syndicalisme libre, indépendant et organise la lutte sociale : les grèves, les réquisitions d’usines, les revendications pour de meilleures rémunérations et conditions de travail se multiplient dans de nombreux secteurs de l’économie. Ils doivent cependant faire face aux milices patronales et islamistes : à Nassiriya, un gang armé d’Al Sadr a essayé d’évacuer les travailleurs des usines afin de les transformer en bastions militaires. Les ouvriers d’usines de production d’aluminium et ceux de fabrication de sanitaires ont refusé d’évacuer leurs lieux de travail, en dépit des menaces de mort, refusant de les voir vouer à la destruction et au pillage. Ils ont décidé de défendre leur usine eux-mêmes.

L’ordre moral est de retour

La population irakienne est victime d’un retour à l’ordre moral. À Fallouja, les milices islamistes tentent d’imposer la charia. À Nassiriya, des campagnes contre les femmes non voilées sont menées, cinémas et débits d’alcool sont fermés, des appels au meurtre sont lancés contre les communistes, les laïques et tous les opposants à l’occupation des gangs religieux. Les premières victimes sont souvent les femmes. Yanar Mohammed, responsable du refuge à Bagdad recueillant des femmes battues ou menacées de meurtre d’honneur et membre de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak (OLFI), s’est vue menacée de mort par un mouvement salafiste lorsqu’elle a officiellement pris position contre le rétablissement de la charia. L’OLFI a été à l’origine d’une campagne dynamique contre la résolution 137 du gouvernement provisoire proposant le rétablissement de la charia. Grâce à leur action et au soutien international, le gouvernement provisoire est revenu sur cette résolution. Le 8 mars 2004, pour la journée internationale des femmes, plus de 1 000 femmes ont manifesté pour réclamer l’égalité homme/femme. Cependant, leur statut reste fragile, la pression des forces réactionnaires s’accentue. Le voile, hier déconsidéré, est devenu une nécessité pour sortir dans la rue. Outre les insultes, les islamistes ont recours à la violence pour les contraindre, allant jusqu’à lancer du vitriol au visage de certaines. Les viols se multiplient, les enlèvements et les ventes de femmes également, selon un tarif fixé : 200 $ pour une vierge, la moitié si elle ne l’est pas. Des prostituées sont exécutées sommairement.

C’est pour soutenir et faire connaître les forces progressistes laïques, sociales et féministes que Solidarité Irak s’est formée en début d’année. La plupart de ces organisations progressistes ont été initiées par des militants du Parti communiste ouvrier d’Irak (PCOI), mais aujourd’hui elles dépassent largement ce cadre. Le PCOI défend un communisme de conseils et représente la seule alternative réelle en Irak. Néanmoins, Solidarité Irak est indépendant de tout parti et se réserve le droit de discuter et de critiquer les orientations irakiennes. Ces différents mouvements tracent une nouvelle voie, celle de la résistance révolutionnaire. La résistance anticapitaliste ne peut se manifester concrètement qu’à travers le soutien de ces forces progressistes, de la classe ouvrière, des femmes et des chômeurs. Celles-ci sont à la fois entrées en résistance et terriblement menacées. Le tribalisme, le nationalisme et l’islam politique sont, tout comme l’armée d’occupation, les ennemis quotidiens de la population irakienne. Ce soutien peut se résumer en un slogan : « Vous êtes progressiste ? Soutenez les progressistes en Irak ! » Cela suppose que les organisations du mouvement ouvrier soient informées, qu’elles prennent position et organisent la solidarité concrète avec le combat de la véritable résistance en Irak.

Olivier (Solidarité Irak)

[1Pour plus d’informations sur l’association Solidarité Irak, consultez le site : www.solidariteirak.org.

[2Interview de Houzan Mahmoud, représentante de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak paru dans Rouge.

[3Voir notamment le texte « Unité d’action avec les islamistes ? » publié dans Alternative libertaire n°129 qui met en lumière les relations entre islamisme et anticapitalisme.

 
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