Luttes indigènes : L’année des zapatistes




L’Autre Campagne avance malgré une répression accrue. Pendant ce temps, les zapatistes présentent des résultats impressionnants en termes de solidarité et d’anticapitalisme, mais avec encore des difficultés à surmonter. Un autre événement, catalysé par les zapatistes, dont on a peu entendu parler, est notable : l’alignement de nombreux peuples indigènes des deux Amériques sur des bases antilibérales et anticapitalistes.

Après avoir parcouru les États du sud du Mexique de janvier à mai 2006, puis les États du nord d’août au début de l’année 2007, Marcos et l’EZLN ont tiré un premier bilan de la Otra Campaña, – depuis son lancement en janvier 2006. Le but de l’Autre Campagne était la construction d’un programme de lutte, dépassant les divisions entre les mouvements en proposant à tous d’adhérer à la 6e déclaration de la forêt Lacandone et de débattre. Le bilan actuel est assez contrasté. Certes l’Autre Campagne existe au plan national et elle est devenue une référence dans la gauche radicale. Les membres de la Otra sont impliqué-e-s dans toutes les luttes du nord au sud du Mexique (Oaxaca, Edomex, Guerrero, Michoacán...), mais elle n’a pas vaincu les sectarismes et les tentatives de manipulation. La politique répressive du nouveau président, Felipe Calderón, a contraint le mouvement social à la défensive et mis au premier plan la campagne pour la libération des prisonniers politiques [1].

Les rencontres zapatistes

À côté de l’Autre Campagne, l’EZLN a organisé des rencontres au Chiapas entre les communautés zapatistes et des militants et militantes du monde entier. En décembre 2006, la première rencontre a permis de renouer le dialogue après les rencontres intergalactiques de 1996 et 1997. En juillet 2007, pendant dix jours, le bilan de la construction de « l’autonomie » dans les territoires zapatistes a été fait. Centres de santé, écoles, coopératives de production et de distribution, les zapatistes tentent de créer une nouvelle société, solidaire et anticapitaliste. Les résultats sont déjà impressionnants, mais les problèmes sont nombreux : manque de moyens, attaques des paramilitaires, politique de division orchestrée par le gouvernement, isolement politique des zapatistes.

La troisième rencontre zapatiste, avec pour unique sujet la lutte des femmes zapatistes, est en cours au moment où ces lignes sont écrites (elle se tient du 28 au 31 décembre 2007).

La rencontre continentale des peuples indigènes

L’EZLN est une organisation révolutionnaire mais elle est aussi une organisation indigène. Durant son périple à travers le Mexique, Marcos a tissé des liens avec de nombreux peuples indigènes. C’est parmi eux que les zapatistes ont trouvé leurs meilleurs appuis. De là est née l’idée d’une rencontre continentale des peuples indigènes.

Co-organisée par le Congrès national indigène, l’EZLN et les autorités traditionnelles yaquis du village de Vicam, cette réunion s’est tenue du 11 au 14 octobre dans l’état du Sonora, sur le territoire des Yaquis. Le texte d’appel se situait clairement contre le capitalisme et le néo-libéralisme, contre le pillage des ressources des terres indigènes.

Elle a rassemblé 600 hommes et femmes délégué-e-s de 67 peuples indigènes venu-e-s de 12 États différents. Les délégations les plus nombreuses venaient des États-Unis, du Canada et du Mexique. Les peuples indiens d’Amérique du Sud étaient moins représentés, en raison des distances et du coût du voyage, mais aussi d’après Marcos parce que les peuples indigènes sont dans une autre dynamique, liée à la prise de l’appareil d’État.

La délégation zapatiste a été arrêtée à un poste militaire et a préféré faire demi-tour, seul Marcos a pu participer à la rencontre.

La déclaration finale dit : « Nous refusons et condamnons la destruction et le pillage de notre Terre-Mère à travers l’occupation de nos territoires pour y réaliser des activités industrielles minières, agro-entrepreneuriales, touristiques, d’urbanisme sauvage et de construction d’infrastructures ; nous refusons et condamnons la privatisation de l’eau, de la terre, des forêts, des mers et des côtes, de la biodiversité, de l’air, de la pluie et des savoirs traditionnels, ainsi que de tout ce qui naît de la Terre-Mère. […] Nous dénonçons le fait que la guerre capitaliste de conquête et d’extermination renforce comme jamais auparavant l’exploitation des membres de nos peuples, dans les grandes plantations et dans les ateliers de travail précaire et clandestin ou en tant que migrants devant s’exiler dans des villes et des pays éloignés de leurs communautés d’origine où ils sont employés dans les pires conditions, qui constituent de véritables cas d’esclavage et de travaux forcés. »

Marcos, lors de son intervention durant la cérémonie de clôture a déclaré : « La souffrance de nos peuples a été nommée par ceux et celles qui l’éprouvent depuis 515 ans : les quatre roues du chariot de l’argent, pour reprendre les mots du peuple yaqui, recommencent à rouler sur le chemin fait du sang et de la douleur des peuples indiens de ce continent, comme autrefois. Comme il y a 515 ans. Comme il y a 200 ans. Comme il y a 100 ans. Quelque chose a changé cependant. Jamais auparavant la destruction n’avait atteint de telles proportions et n’avait été aussi irrémédiable. Jamais auparavant la stupidité des mauvais gouvernants que subissent nos pays n’avait été aussi patente et aussi totale. Jamais auparavant la brutalité employée contre les terres et les gens n’avait atteint un tel degré et n’avait été aussi incontrôlable. Car ce qui se passe, c’est qu’ils sont en train de tuer la terre, la nature, le monde. […]
Nos gouvernements actuels sont les seuls, dans toute l’histoire de l’humanité, qui célèbrent leur esclavage, en sont contents et le bénissent. On nous dit que c’est la démocratie qui veut que le commando de la destruction soit à la disposition des partis politiques et des caudillos. “Démocratie électorale”, voilà le nom que les chefaillons donnent à leur lutte pour s’arroger le droit de vendre la dignité et pouvoir prendre les rênes de la catastrophe mondiale. En haut, au sein des gouvernements, on n’héberge aucun espoir, ni pour nos peuples indiens, ni pour les travailleurs des campagnes et de la ville, ni pour la nature. »
 [2]

Pascal (AL Rouen)


67 nations indiennes représentées

Pour les États-unis et le Canada : les nations Achumani, Ahniyvwiya (Cherokee), Lakota (Sioux), Ndee (Apache), Kuma (Comanche), Naabeehó dine’é (Navajo), Aqwesasne, Mohawk, Salish, Anisnawbe, Cayuga, Onondaga, Ojibwa, Hopi, Secwepme, Tuscarora, Ktnuxa, Cree, Creek et Gitxaan.

Pour le Mexique : les nations Mayo Yorémé, Maya, Binizaa (Zapotèque), Purépecha, Triqui, Tohono O’odham (Pápago), Ñahñu (Otomí), Chol, Tzeltal, Cuicatèque, Rarámuri (Tarahumara), Ñuu sávi (Mixtèque), Tzotzil, Tehua (Tlapaneco), Mazahua, Nahua, Zoque, Cucapá, Kumiai, Tepehuano, Popoluque, Chichimèque, Cora, Pamé, Amuzgo, Tlahuica, Concaá (Seri), Guarijío, Coca, Paipai, Kiliwa, Wixárika (Huichol) et Yaqui.

Pour l’Amérique centrale et d’Amérique du Sud : les nations Guaraní, Kekchí, Tarapacá, Maipú, Aymara, Kichwa, Mam, Lenca, Miskito et Inca.

[11. Voir l’article « Mexique : Libérez-les » dans le numéro 167 d’Alternative libertaire (novembre 2007).

[22. Traduit par Ángel Caído (CSPCL).

 
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