Migrations : La création du « problème »




À quelques mois des élections européennes de mai 2019 qui seront dominées notamment par la question migratoire et la «  crise des migrantes et migrants  » et dans un contexte où se libèrent les discours ouvertement racistes et xénophobes, il est nécessaire de revenir sur l’évolution des batailles idéologiques autour de cette question en France et d’analyser l’influence déterminante de l’extrême droite.

La fondation du Front national (FN) en 1972, impulsé par les jeunes loups du groupuscule Ordre nouveau pour fédérer les résidus de l’extrême droite autour de la personne de Jean-Marie Le Pen, marque la volonté de sortir de la marginalité politique à laquelle elle est confinée depuis la Libération.

La création du «  problème  » de l’immigration

Affiche emblématique du FN des années 1970. (cliquer pour agrandir)

Sous l’impulsion en 1978 de François Duprat, alors numéro deux, le FN s’empare de la thématique immigration  : «  1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop  ! La France et les Français d’abord  !  ». Duprat estimait qu’avec ce slogan, martelé ensuite pendant plus de dix ans, «  nous allons gagner des voix populaires. Les voix populaires, dans le contexte du risque que la gauche gagne, la droite les voudra pour elle. Elle n’aura donc pas d’autre choix que de valider nos thèses, que de les reprendre en partie, d’ailleurs, l’immigration est officiellement stoppée depuis 1974. A partir de là, si on entend valider une partie de nos thèses dans l’opinion publique, nous ne serons plus les horribles fascistes, nous ne serons plus les méchants anciens de l’OAS, nous ne serons plus les nazis, les collaborateurs, etc., nous serons une droite, une droite musclée, mais une droite qui aura sa place dans le champ politique et une droite pour laquelle on pourra voter.  » L’idée est de diviser la classe ouvrière et de distiller le poison raciste dans un contexte de massification du chômage. Le FN va donc participer activement à la création du «  problème  » de l’immigration, celle-ci ayant jusque-là été considérée plutôt comme une «  solution  » économique par la classe dirigeante.

Dans le même temps, les idéologues du Grece, autour d’Alain de Benoist, théorisent la stratégie du «  gramscisme de droite  » pour tenter d’influencer la sphère politique et brouiller les repères en attirant des intellectuels de droite et de gauche dans la revue Éléments. Ils vont notamment théoriser le passage d’un racisme d’essence biologique à un racisme euphémisé «  différentialiste  » mais qui sous-entend également l’inégalité des «  races  » et la défense de «  l’identité  » indo-européenne.

En réaction aux grèves des ouvriers immigrés dans les usines automobiles entre 1981 et 1984 et aux marches contre le racisme et pour l’égalité des droits de 1983 et 1984, le FN alimente les fantasmes xénophobes et sécuritaires. Sa percée aux élections européennes de 1984 marque le début de son ascension électorale. La porosité entre droite et extrême droite s’illustre alors par l’arrivée de politiciens de droite au FN. Parmi eux, l’énarque Jean-Yves Le Gallou, alors membre de l’UDF issu du Grece et cofondateur du Club de L’Horloge, qui publie en 1985 aux éditions Albin Michel le livre La Préférence nationale  : Réponse à l’immigration. Avec Patrick Buisson, alors rédacteur en chef de Minute, ils encouragent le haut fonctionnaire Bruno Mégret à rejoindre le Front. Celui-ci devient rapidement numéro deux et fait de la préférence nationale le cœur programmatique du FN.

En réaction aux grèves des ouvriers spécialisés immigrés dans les usines automobiles entre 1981 et 1984 et aux marches pour l’égalité des droits de 1983 et 1984, le FN alimente les fantasmes xénophobes et sécuritaires.

La bataille des idées

Le reste du programme, notamment le volet économique et social, devient modifiable à souhait dans l’optique de la conquête du pouvoir. Mégret est un stratège qui théorise la «  bataille du vocabulaire  » pour contourner la législation antiraciste et percer notamment le plafond de verre électoral. Cela va leur permettre de gagner plusieurs villes en 1995, l’année même des crimes racistes contre Ibrahim Ali et Brahim Bouarram. Cependant, la crise interne de 1998 va marquer un coup d’arrêt provisoire de l’ascension du FN.

Les attentats du 11 septembre 2001 marquent un changement de paradigme au niveau international. La France, avec les lois d’exception au prétexte de la lutte contre le terrorisme, bascule dans la spirale sécuritaire. On assiste à la montée en puissance des logiques de bouc-émissaire dans les discours politico-médiatiques qui amalgament immigration, insécurité et «  menace islamique  » et qui se traduisent par un arsenal sécuritaire qui ne cesse de s’amplifier depuis. Les émeutes de 2005 ont ainsi été l’occasion pour le pouvoir de réactiver l’état d’urgence qui datait de la guerre d’Algérie, état d’urgence depuis réenclenché suite aux attentats de novembre 2015. Les gouvernements successifs de gauche et de droite ont forgé dans cette période un consensus sécuritaire tandis que l’extrême droite jette régulièrement de l’huile sur le feu.

Sur ces terrains labourés depuis des décennies par l’extrême droite, le FN récolte  : c’est l’électrochoc des présidentielles de 2002. Mais ce n’est pas encore assez et, sous la direction de Marine Le Pen à partir de 2011, le FN s’engage dans un tournant pseudo-social et une stratégie de dédiabolisation-banalisation. En sous-traitant l’antisémitisme aux «  idiots utiles  » Soral et Dieudonné, l’islamophobie à Zemmour et à Riposte Laïque et les violences politiques aux groupuscules néo-fascistes, le FN peut enfin paraître respectable et glaner des voix. Mais la menace n’est pas que française et émerge partout en Europe.

Surfant sur les discours complotistes véhiculés sur Internet par les médias de «  réinformation  » et confusionnistes ainsi que par les réseaux sociaux, les thèses de «  submersion migratoire  » et de «  grand remplacement  » de l’écrivain Renaud Camus alimentent les fantasmes racistes sur les menaces pesant sur une illusoire «  identité nationale  ».

Un racisme décomplexé

Passant à l’action, les groupes identitaires créent le buzz médiatique à l’été 2017 avec leur opération Defend Europ puis avec leur opération antimigrant-es au Col de l’Échelle en avril 2018 et lors de l’attaque des locaux de l’Aquarius en octobre 2018. Le 16 décembre 2018, à l’appel de plusieurs organisations flamandes principalement d’extrême droite, des milliers de manifestantes et manifestants défilent à Bruxelles contre le pacte de Marrakech (voir AL de janvier 2019).

Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, déclare en tant qu’invité vedette du XVIe congrès du FN en mars 2018  : «  Laissez-les vous appeler racistes, xénophobes, islamophobes… Portez-le comme un badge d’honneur parce que chaque jour qui passe nous devenons plus forts, et eux s’affaiblissent.  »
Le FN, rebaptisé en juin 2018 Rassemblement national, espère profiter à son tour en mai 2019 de l’arrivée au pouvoir en Autriche et en Italie de ses alliés (respectivement FPÖ et ex-Ligue du Nord) et plus largement de la poussée électorale des partis politiques d’extrême droite dans le monde.

Face aux politiques gouvernementales et à la menace fasciste, il faut renforcer et amplifier la mobilisation antiraciste et antifasciste  !

Gabriel L. (AL Paris Nord-Est)

 
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