13e congrès (Nantes, 3-5 juin 2017)

Motion d’orientation générale




Sommaire :

  1. De la régression sociale à la “révolution conservatrice” ?
    • Aggravation des inégalités, hausse des profits capitalistes et casse sociale
    • Des révoltes mi-sociales, mi-réactionnaires
    • Fuite en avant des partis libéraux, vieilles recettes du néoréformisme
    • Vers un régime autoritaire ?
  2. Combattre le prochain gouvernement,
    anticiper ses objectifs et trouver les brèches
    • Les points chauds
    • Pratiques politiques, pratiques dans les luttes
  3. Alternative libertaire dans l’action
    • Ni angélisme, ni paranoïa : se préparer matériellement et moralement au durcissement sécuritaire
    • L’intervention d’AL : un volontarisme sans aveuglement

1. De la régression sociale à la “révolution conservatrice” ?

Aggravation des inégalités, hausse des profits capitalistes et casse sociale

En France comme dans le reste du monde, les inégalités continuent de se creuser.

D’un côté, la multiplication des contrats précaires, majoritairement occupés par des personnes jeunes et peu qualifiées. Au deuxième trimestre 2016, 87 % des embauches étaient des CDD, dont 70 % pour moins d’un mois. Le taux de chômage frôle les 10 %, soit 5,8 millions de personnes [1]. Un tiers ne touche aucune indemnité, la moitié moins de 500 euros… [2].

De l’autre côté, les riches sont toujours plus riches. En 2014, le revenu annuel d’un grand patron représente de 600 à 1 120 années de Smic [3]. Les inégalités de patrimoine sont encore plus fortes que celles du revenu. Les 50% les moins riches détiennent 8 % du patrimoine, contre la moitié pour les 10% les plus riches [4]. En 2014, la France atteint un nouveau record du nombre de milliardaires : 67. Le montant total des 500 premiers patrimoines professionnels français a augmenté de 15% en un an, pour atteindre 390 milliards d’euros. Plus que le budget de l’État !

Le gouvernement socialiste, en bon serviteur de la bourgeoisie capitaliste, a poursuivi la casse sociale tous azimuts et les cadeaux au patronat. Avec l’Accord national interprofessionnel légalisant le chantage à l’emploi, la loi Rebsamen s’attaquant à la représentation syndicale, la loi Macron banalisant le travail du dimanche et diminuant les droits des travailleurs licenciés. Enfin, le passage de la loi Travail à coups d’article 49-3, ouvrant une brèche considérable dans la protection des salariés avec l’inversion de la hiérarchie des normes dans le droit du travail. Le crédit impôt compétitivité emploi et le « pacte de responsabilité » ont rapporté des milliards aux patrons sans aucune embauche à la clef, alors que tous les services publics se voient imposer toujours plus de mesures austéritaires et de privatisations.

En tant que classe consciente de ses intérêts, la classe capitaliste continue de mener la lutte des classes tambour battant. Leur classe se porte mieux que jamais. Certes nous n’irons pas, comme l’économiste Thomas Piketty, nous offusquer du danger que constitue la hausse des inégalités pour la survie du capitalisme. Mais, au delà des conséquences directes des inégalités, tragique pour celles et ceux qui les subissent, le chômage et la précarisation influent sur les mobilisations sociales et sur notre mode d’intervention.

Des révoltes mi-sociales, mi-réactionnaires

Le prolétariat ainsi que certaines fractions de la petite bourgeoisie qui redoutent la paupérisation sont de plus en plus en colère contre cette situation. Cette colère, qui monte des zones périurbaines et rurales en plein marasme, est ambivalente. Elle engendre aussi bien des réactions de classe que des réflexes réactionnaires.

D’une part, les mobilisations sociales continuent contre les licenciements collectifs et la démolition des derniers garde-fou protecteurs pour les travailleuses et les travailleurs : les services publics, la Sécurité sociale, le Code du travail.

D’autre part, le désespoir monte avec un repli xénophobe, religieux, conservateur, réclamant le retour à un passé mythifié d’ordre moral et autoritaire.

Il s’agit là de deux dynamiques différentes, mais qui peuvent parfois se combiner. C’est de leur combinaison que peut naître un néofascisme. Ce qui caractérise le fascisme est en effet d’avoir une dimension pseudo-sociale, qui peut lui permettre de mobiliser les classes populaires dans une révolte dévoyée contre des boucs émissaires. Mais le programme du FN reste bien antisocial : remise en cause des 35 heures, augmentation du Smic en trompe l’oeil au détriment des cotisations sociales, fiscalité avantageuse pour les grandes fortunes etc.

En 2016, deux événements majeurs ont ainsi été le fruit d’une révolte mi-sociale, mi-réactionnaire :

  • en Grande-Bretagne, la victoire du Brexit au référendum a résulté à la fois d’une poussée xénophobe et d’une révolte de classe, opposant les régions industrielles sinistrées aux métropoles plus riches et plus cosmopolites.
  • aux États-Unis, Donald Trump a libéré la parole sexiste, raciste et réactionnaire, mais sans élargir la base électorale du Parti républicain. Il n’a pu l’emporter que grâce à l’affaissement du Parti démocrate, dont les minorités discriminées et la classe ouvrière se sont détournées en raison de ses promesses trahies.

Fuite en avant des partis libéraux, vieilles recettes du néoréformisme

Les partis de droite (LR, Modem) comme de gauche (PS, EELV), endossant l’idéologie néolibérale, parfois organiquement liés aux cercles patronaux et de la haute finance, sont incapables de comprendre cette situation.

Ils poursuivront leur fuite en avant vers toujours plus de déréglementation, de baisse des garanties collectives, de casse des services publics, d’accords de libre-échange désastreux aux plans écologique, social et démocratique.

A gauche, cette fuite en avant suicidaire provoque néanmoins des actes de rébellion, avec des tentatives d’inventer une néosocial-démocratie. On l’a vu avec Die Linke (Allemagne), le Front de gauche (France), Podemos (Espagne), Syriza (Grèce), la percée de Bernie Sanders à la primaire du Parti démocrate (Etats-Unis) ou l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste (Grande-Bretagne). Ces tentatives de recréer un « vrai réformisme » sont cependant obérées par l’absence d’une stratégie alternative au réformisme d’antan : il s’agit toujours de proposer une gestion sociale du capitalisme, modèle qui historiquement a systématiquement échoué.

Le PS, incapable de se différencier de la droite sur le programme économique, s’efforce d’apparaître plus progressiste sur le plan des valeurs, avec un discours inclusif vis-à-vis des minorités racisées, LGBT, des femmes… Mais, en dehors de quelques mesures symboliques – l’ouverture du droit au mariage pour toutes et tous, par exemple, ou l’interdiction de l’achat d’acte sexuel –, ses discours d’apparat vertueux restent abstraits et sans prise sur la réalité des discriminations subies au quotidien – discriminations au logement, au travail, contrôle au faciès, stigmatisation de la minorité musulmane…

Sous la présidence de François Hollande, le PS aura attaqué de manière frontale le prolétariat en menant une politique antisociale – austérité, loi Macron, loi El Khomri –, sans parvenir à se donner au moins une image d’engagement contre les discriminations.

Vers un régime autoritaire ?

Le paysage politique et social de ces dernières années a été profondément marqué par les attentats en France. Alternative libertaire, au-delà de la sidération provoquée par ces drames, a tenté de fournir des explications rationnelles permettant de dépasser les sentiments de colère et de peur. Ainsi, nous y avons vu la coalition de deux phénomènes depuis longtemps dénoncés :

  • ils sont le résultat des politiques occidentales destructrices au niveau géopolitique, ayant favorisé la monté du djihadisme international ;
  • ils sont aussi le résultat de politiques destructrices socialement au sein des Etats dominants, la crise ayant approfondi des inégalités sociales et une absence de perspectives qui ont eu pour effet de nourrir l’extrémisme religieux chez une petite partie de la population.

Ces événements ont eu des conséquences notables en approfondissant les phénomènes de montée de l’extrême droite, des pratiques autoritaires de l’Etat et de rejet envers les migrants. La banalisation du flicage et de la répression des mouvements sociaux en sont les conséquences immédiates. De plus, ils ont été à l’origine de débats virulents au sein des organisations de luttes et des organisations politiques d’extrême gauche, mais aussi plus généralement dans la société.

Une grande partie des politiciens va continuer à instrumentaliser et par là même à générer la peur que suscitent les attentats dans les années à venir. Cela doit être pris en compte dans nos stratégies.

Délitement social, déclassement, désindustrialisation, quartiers populaires naufragés, régions sinistrées… Il y a là les ingrédients d’une révolte sociale.

Accumulation de défaites pour le mouvement social, attaques racistes décomplexées notamment contre les Rroms et les musulmans, discours de repli souverainiste sur un « capitalisme national »… Il y a là les éléments d’un dévoiement de cette révolte sociale vers des boucs émissaires et de fausses solutions.

Autonomisation et impunité des forces policières, état d’urgence ad æternam, réduction des libertés et des garde-fou démocratiques, renforcement du contrôle social et de la surveillance d’État… Il y a là les moyens d’un possible régime autoritaire, voire fascisant.

Le PS a accéléré la mise en place d’un État autoritaire, que ce soit avec l’habillage thatchérien-catholique de François Fillon, ou avec l’habillage nationaliste réactionnaire de Marine Le Pen.

Dans les deux cas, les mouvements sociaux et les organisations révolutionnaires doivent s’attendre à un durcissement de la répression et à des entreprises de déstabilisation. L’Italie des années de plomb, la France de la guerre d’Algérie, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan… A des degrés divers, les exemples ne manquent pas de situations historiques où des États discrédités emploient la force pour anéantir la contestation.

A nous d’anticiper et d’adapter nos modes d’action pour ne pas nous laisser surprendre. Car il est hors de question de s’autocensurer.

Qu’ils soient d’extrême droite, de droite, sociaux-démocrates ou néosociaux-démocrates, tous les partis qui aspirent au rôle de « bons gestionnaires » du capitalisme seront infailliblement conduits à perpétuer la politique d’austérité budgétaire. Les crises étant inhérentes aux structures capitalistes, ils continueront donc à casser les services publics et à pressurer les populations pour régler la dette abyssale engendrée par le « sauvetage des banques » en 2008.

La colère sociale n’est donc pas près de s’éteindre. A nous de l’orienter, à travers débats et pratiques, contre les véritables responsables, et vers la remise en cause d’un système économique qui mène à la ruine de la société et de la planète.

2. Combattre le prochain gouvernement, anticiper ses objectifs et trouver les brèches

La victoire de Macron ne va pas marquer une rupture majeure avec François Hollande. Sa politique va s’inscrire dans sa lignée, qui était déjà celle de Nicolas Sarkozy, et qui va consister à démanteler les droits sociaux pour augmenter les profits capitalistes.

Les points chauds

Un certain nombre de sujets peuvent être les cibles du gouvernement. Certains ouvrent la possibilité de ripostes collectives et l’ouverture de brèches politiques dans l’idéologie dominante.

Sur le plan social, les attaques au droit du travail seront probablement un cheval de bataille important pour les prochaines années. Premièrement, l’application de la loi Travail, entreprise par entreprise, va donner lieu à des luttes sectorielles dont il faudra se saisir par le biais d’un travail syndical de terrain. À cela, on peut ajouter le risque d’une remise en cause des 35 heures, ce qui pourrait provoquer un mouvement social d’ampleur. Se pose aussi la question de la fédération du syndicalisme de lutte, l’initiative “On bloque tout”, étant un jalon en ce sens, dont l’efficacité est demeurée bien inférieure aux besoins.

Au vu des réalités des rapports de force et de la nécessité de redynamiser le mouvement syndical à travers un projet motivant, ambitieux et dépassant les organisations actuelles sans les renier, les questions de l’unité et de l’unification du syndicalisme de luttes doivent être concrètement débattues ; de modestes jalons sont d’ores et déjà posés, il est nécessaire d’aller plus loin.

Cela ne sera possible qu’en prenant en compte les rythmes propres à chaque collectif syndical et en respectant l’autonomie du mouvement syndical ; mais cela suppose aussi que les militants et militantes syndicalistes révolutionnaires impulsent cette mise en œuvre.

L’organisation des précaires, aussi ardue soit-elle, reste un enjeu important (voir texte du congrès d’AL 2012). Dans les années à venir, on peut imaginer de nouvelles attaques contre l’assurance-chômage, le Code du travail, des réductions des aides sociales et l’extension de la précarité. Enfin, de profondes modifications du travail salarié, comme l’ubérisation ou la multiplication du recours aux temps partiels confrontent les nouvelles générations arrivant dans le monde du travail à des conditions de travail plus difficile. On qualifie souvent un peu facilement de « nouvelles formes de lutte » les modes d’organisations de ces travailleuses et travailleurs, alors qu’il s’agit bien souvent d’un retour à des pratiques collectives d’action directe, là où il n’existe souvent pas de tradition syndicale ni de « dialogue social » à même de domestiquer d’éventuels syndicats. Il y a donc un enjeu pour le syndicalisme de classe à investir ces nouveaux secteurs du prolétariat. A l’échelle d’AL, les commissions Entreprises et Précarité et solidarité directe ont vocation à analyser et intervenir sur ce champ.

Les périodes de crise économique vont souvent de pair avec un renforcement des « valeurs morales », et du coup, du patriarcat. L’offensive réactionnaire et patriarcale de la Manif pour tous est à comprendre dans ce sens. Les attaques antiféministes se banalisent. Les prochaines années risquent d’être riches en nouvelles offensives : contre ce que les réac appellent « la théorie du genre » dans les manuels scolaires, contre la fermeture de centres IVG, réduction des subventions aux plannings familiaux, voire remise en cause de certains droits des femmes tels que l’accès à diverses méthodes de contraception, le recours à l’IVG – comme en Pologne et en Espagne.

La France, comme le reste de l’Europe, connaît une vague raciste qui prend plusieurs formes :

  • Du point de vue des attaques de l’État : violences policières, lois racistes et islamophobes contre le port du voile et les signes religieux, les ridicules arrêtés anti-burkini, auxquelles il faut ajouter les discriminations dans le logement social, les politiques migratoires...
  • Le patronat y prend également part avec des discriminations à l’embauche ou l’exploitation des travailleuses et des travailleurs sans papiers.
  • Enfin, l’extrême droite est un très puissant vecteur d’idées et de pratiques racistes comme on a pu le voir avec les mobilisations contre l’accueil de migrants. L’intervention d’AL sur cette question doit mobiliser conjointement les commissions antifasciste et antiraciste.

Du côté des politiques sécuritaires, des fronts de lutte se sont ouverts. Pour ne citer que quelques exemples de collectifs contre la répression : Défense collective (Defcol) à Rennes et à Paris, Comité-caisse d’autodéfense juridique (CAJ) à Toulouse, l’AG contre l’état d’urgence et les violences d’État (Montpellier), ainsi que les nombreuses caisses de solidarité locale, syndicale ou politique (dont celle d’AL) créées durant la lutte contre la loi Travail. Malheureusement ces initiatives peinent à rencontrer un écho au delà des milieux militants.

Face à l’extrême droite, fasciste ou non, au pouvoir ou non, la question de former un mouvement antifasciste de masse et populaire reste posée. Un mouvement qui ne relève ni de l’antifascisme « humaniste », sans boussole politique et complaisant avec le PS, ni d’un antifascisme qui se complaît dans une contre-culture parfois folklorique et viriliste. A l’échelle nationale, des initiatives comme VISA ou la Campagne libertaire antifasciste (CLAF) cherchent à s’inscrire dans cette logique. Mais force est de constater que l’extrême droite s’est banalisée et qu’il est difficile de mener des mobilisation d’ampleur à son encontre (en témoigne l’échec de la manifestation contre le congrès du FN à Lyon en novembre 2014). Rappelons que la meilleure des recettes pour faire reculer l’extrême droite, c’est la lutte des classes et qu’un mouvement tel que celui contre la loi Travail, faisant primer la solidarité sur le repli nationaliste, fait énormément pour réduire l’espace médiatique de l’extrême droite.

Pratiques politiques, pratiques dans les luttes

Le prolétariat évolue, le mouvement social évolue, son activité évolue. Pour agir en son sein de façon cohérente, il est nécessaire qu’AL y défende certaines orientations et certaines pratiques.

Sur la politique unitaire d’AL

Dans les débats de société, dans les luttes politiques et sociales, AL s’associe parfois à d’autres forces politiques dans des cadres unitaires.

Selon les sujets, la pertinence du périmètre politique peut varier. Celui-ci a pu être strictement libertaire (Campagne libertaire antifasciste, collectif Anarchistes solidaires du Rojava), ou autogestionnaire (foires à l’autogestion), ou anticapitaliste (Forum de l’écologie radicale, fronts anticapitalistes locaux), voire plus large (Stop état d’urgence, Reprenons l’initiative).

Dans chacun de ces cadres, AL défend ses positions aussi loin que le maintien du cadre unitaire le permet.

L’utilité d’un cadre unitaire est en effet moins dans la perfection des positions collectives qu’il peut dégager, que dans la dynamique d’action collective qu’il peut encourager. Mais il est important que l’expression d’AL ne soit pas tributaire du cadre unitaire, sache conserver son originalité et sa distance critique.

Sur le contenu des revendications

AL n’a jamais opposé « luttes réformistes » et « luttes révolutionnaires », considérant que l’important était la conflictualité sociale en elle-même, en tant que ferment de la conscience de classe, et qu’aliment indispensable à tout projet révolutionnaire.

Dans les mouvements de lutte, AL doit porter des revendications unifiantes à même de battre l’idée possible de compromis avec le patronat (par exemple « ni amendable, ni négociable : retrait de la loi El Khomri »). Mais il nous faut également porter au-delà de cela des mots d’ordre porteurs de remises en cause de l’ordre capitaliste et/ou de l’idéologie dominante.

Par exemple :

  • les revendications qui font prévaloir le droit au logement sur la propriété privée (« réquisition des logements vides », « réquisition/autogestion des entreprises rentables qui licencient ») ;
  • celles qui font prévaloir le pouvoir des travailleuses et des travailleurs sur l’arbitraire patronal (« droit de veto sur les licenciements collectifs », « blocage des dividendes des actionnaires des entreprises qui licencient ») ;
  • celles qui contredisent l’idée que le chômage est la faute des chômeuses et des chômeurs, que l’arlésienne « croissance » va créer des emplois, et qu’il faut travailler « plus pour gagner plus » (« réduction du temps de travail sans réduction de salaires, avec embauches correspondantes », « retraite à 60 ans, sans réduction des pensions, avec embauches correspondantes ») ;
  • celles qui répondent à une urgence sociale tout en récusant le mythe de l’invasion migratoire (« liberté de circulation et d’installation des travailleurs ») ;
  • celles qui posent l’égalité de traitement comme préalable à tout débat (« égalité salariale et femmes-hommes », « mariage pour tou.tes ou pour personne », « droit de vote des immigré.es »).

Peu importe que certaines revendications soient compatibles ou non avec le capitalisme à son stade actuel, dès lors qu’elles sont légitimes d’un point de vue révolutionnaire et qu’elle rencontrent un écho. Certaines sont des revendications « transitives » en ce sens qu’elles soulignent l’illégitimité du régime actuel et jettent un pont vers la société de demain.

Sur la construction, l’élargissement et l’auto-organisation des luttes

Lorsque survient un mouvement social de grande ampleur, comme en 1995, 2003, 2006, 2010 ou 2016, AL doit « marcher sur ses deux jambes », en mettant en synergie ses militantes et militants moteurs dans les luttes et les grèves, et la diffusion la plus large de sa propre expression révolutionnaire.

Il y a aujourd’hui un vrai recul des pratiques syndicales combatives dans les entreprises, et ce constat concerne plus largement tous les mouvements sociaux. Combien de militant.es entretiennent des liens directs avec les salarié.es, que ce soit à titre syndical ou politique, avec des tractages, discussions, tournées, heures d’information, pétitions etc. à même de contester au jour le jour les orientations politiques du patronat et des partis de gouvernement ? C’est cet ancrage de terrain qui fait cruellement défaut lorsqu’il s’agit d’impulser ou d’élargir des luttes, comme en 2010 contre la réforme Fillon ou en 2016 contre la loi Travail, et de sortir de l’entre-soi militant. Peut-être pouvait-on dans les années 1970 se contenter d’être un aiguillon à gauche d’organisations réformistes qui construisaient les mobilisations. Mais force est de constater qu’aujourd’hui la construction de mobilisation repose bien souvent sur les militant.es anticapitalistes… quand ils s’en donnent la peine.

AL souhaite également favoriser l’apparition d’assemblées de convergence, dans la mesure où elles sont un levier pour démultiplier la participation, voire étendre la lutte à des secteurs jusqu’alors attentistes. Elles permettent aussi une organisation de la lutte à l’échelle de nos villes, ce qui permet de ne pas être tributaire d’intersyndicales parfois frileuses pour lancer des actions massives.

Il faut cependant avoir conscience que l’envergure de ce type d’assemblée dépend étroitement de la profondeur du mouvement social en cours. Au lancement d’une mobilisation ou quand une mobilisation peine à s’élargir réellement, ces assemblées peuvent regrouper individus, organisations syndicales et politiques pour permettre des prises de parole et des décisions collectives de soutien à des grévistes, mais aussi d’impulsion d’actions de blocage.

Dans le cas d’un mouvement social de grande ampleur, ces assemblées peuvent prendre l’allure de véritables AG interprofessionnelles avec des représentant.es mandaté.es de chaque secteur ou grande entreprise en lutte. C’est vers ce schéma que pousseront les militant.es d’AL.

Il est cependant rare qu’on parvienne jusque là. En 2010 et 2016, bon nombre d’assemblées locales rassemblaient pêle-mêle organisations et individus. Les assemblées « Nuit debout » de 2016, malgré toutes les limites qu’on a pu y voir dans certains cas (une certaine déconnexion avec la lutte sociale, la substitution à la grève...) ont été parfois des expériences de démocratie directe. Elles ont pu permettre le développement des idées autogestionnaires chez des personnes que l’on touche habituellement peu.

Sur les blocages économiques

L’action d’appui emblématique de 2010 et de 2016 aura été le blocage économique.

Il serait erroné d’en faire la nouvelle forme de lutte adaptée à l’époque. Le blocage, de l’extérieur, est surtout la conséquence de grèves trop faibles pour bloquer elles-mêmes la production, de l’intérieur. Et c’est bien là le nœud du problème.

Cependant, s’il est bien mené, en lien avec les syndicats et les salarié.es du site bloqué – et c’est dans ce sens qu’agiront les militant.es et militants d’AL –, le blocage peut être porteur de convergence, de dynamique, et même encourager le débrayage de salarié.es jusque là hésitant.es.

Sur la violence dans les mouvements sociaux

De l’intervention du GIGN contre les grévistes du centre de tri de Bègles en 2005 à la mort de Rémi Fraisse en 2015, la répression policière a, ces dernières années, contribué à élever le niveau de violence autour des mouvements sociaux. Le mouvement contre la loi Travail, en 2016, l’a encore illustré.

Quant à la violence assumée par une partie des manifestant.es, notamment autour de la pratique du grabuge organisé (bris de vitrine, caillassage de policiers), on peut regretter son caractère souvent ritualisé et parfois sans lien avec le niveau de radicalité de la masse des manifestant.es.

Nous refusons l’injonction du pouvoir et des médias à dissocier les « bon.nes manifestant.es pacifiques » et les « méchant.es casseurs ». Injonction qui ne vise qu’à domestiquer les mouvements sociaux et à aggraver la répression en y associant une partie du mouvement social lui-même.

Dans tous les cas, AL soutient et participe à l’autodéfense collective des mouvements sociaux, qu’il s’agisse d’autoprotection physique dans les démonstrations de rue, ou d’entraide juridique et financière face à la répression.

3. Alternative libertaire dans l’action

Ni angélisme, ni paranoïa : se préparer matériellement et moralement au durcissement sécuritaire

L’état d’urgence décrété en France depuis le 13 novembre 2015 est prolongé pour la cinquième fois et court pour l’instant jusqu’au 15 juillet 2017. Il sert de prétexte à toutes les dérives sécuritaires et permet d’accroître la répression, notamment des mouvements sociaux. Il a par exemple été invoqué pour interdire la manifestation contre la Cop 21 du 29 novembre 2015 ; il a encore été utilisé pour assigner à résidence des militantes et militants ; il permet des perquisitions administratives sans mandat du procureur, etc. Les politiques sécuritaires et la répression deviennent ainsi la seule réponse de l’État face aux révoltes et colères du prolétariat. Le développement des mouvements et des idées d’extrême droite auquel nous assistons depuis quelques années va aussi dans ce sens. Le sécuritaire, la surveillance, la répression sont devenus des réponses à tout, dans un contexte où les attaques terroristes servent d’épouvantail pour faire accepter à la population de nombreuses restrictions de liberté.

Tout cela laisse craindre une dérive vers un État de plus en plus autoritaire, et ce d’autant plus lorsqu’on envisage l’accès au pouvoir de l’extrême droite. Il s’agit donc, pour toute organisation révolutionnaire de se préparer et d’anticiper les restrictions de plus en plus importantes de nos libertés publiques et de notre marge de manœuvre. Il s’agit également d’anticiper au mieux la répression qui a déjà commencé à nous frapper : comme d’autres, les militantes et militants d’AL ont eu à subir des amendes, voire des peines d’emprisonnement pour leurs activités politiques ou syndicales pendant le mouvement contre la loi travail.

Dans un contexte de durcissement sécuritaire, voire de dérive autoritaire du régime, avec les moyens de surveillance électronique du XXIe siècle, certaines franges du mouvement social ou révolutionnaires peuvent se laisser gagner par la tentation de la clandestinité. Ce serait un leurre.

Il faut insister sur ce point : la clandestinité n’est une option que lorsque la répression interdit toute organisation et toute expression. Le choix de la clandestinité, opéré prématurément par la Fédération communiste libertaire en juillet 1956, dans le contexte de la guerre d’Algérie, restera une erreur historique de notre courant. Passé à la clandestinité, un courant politique ne peut plus se faire entendre, il s’isole de la population et du mouvement social, ne peut plus se renouveler, épuise rapidement ses ressources financières et humaines et finit par disparaître dans l’indifférence générale. Tant qu’un espace d’expression et d’action subsiste, il faut l’occuper au maximum. Pour autant, Alternative libertaire n’est pas angélique : conscients que des militants et militantes peuvent se retrouver particulièrement exposés, nous prendrons les mesures utiles pour être prêts à les protéger si nécessaire.

Les communications à distance (téléphonie, Internet) sont interceptables par les services de renseignement ou par des pirates au service d’entreprises capitalistes ou de groupes fascistes. Face à cela, la meilleure parade reste de taire toute information potentiellement illégale sur ces canaux. Ce principe de protection élémentaire énoncé, il faut cependant encourager le chiffrement systématique des communications, pour plusieurs raisons :

  • ce qui est légal aujourd’hui ne le sera pas forcément demain ;
  • plus le chiffrement se démocratisera, plus la surveillance de masse sera compliquée ;
  • du point de vue de la défense des libertés publiques, il ne sert à rien que l’Etat ait un accès facile à nos communications, qu’elles soient légales ou non.

L’action extralégale – indispensable à tout mouvement politique ou social qui repose sur l’action directe des travailleuses et des travailleurs – doit emprunter d’autres canaux que la clandestinité. Et la philosophie qui la guide doit s’adapter au contexte répressif du moment. Sur ce point, les groupes locaux d’AL auront donc à cœur de :

  • ne pas s’isoler, rester inséré dans les syndicats et autres mouvement sociaux de masse ;
  • nouer un contrat de confiance avec un.e ou plusieurs avocat.es de gauche, prêt.es à coorganiser, le cas échéant, une « défense politique » devant un tribunal ;
  • renforcer la sécurité des actions extralégales en s’assurant qu’elles puissent être médiatisées, faire sens pour un public suffisamment large, être assumées par des fractions significatives du mouvement social, donc rencontrer un écho politique et bénéficier d’une solidarité.

L’intervention d’AL : un volontarisme sans aveuglement

L’expérience des fronts anticapitalistes

Le contexte de durcissement sécuritaire actuel doit conduire les révolutionnaires à se serrer les coudes. Pourtant, la stratégie des fronts anticapitalistes, portée par AL depuis 2007, s’est épuisée. Elle a été porteuse localement et ponctuellement – grâce à l’implication de groupes locaux notamment du NPA, de la FA ou de l’OCML-VP –, mais n’a pu s’inscrire dans la durée, ni susciter l’engagement d’individus non encartés, ni déboucher sur un cadre national.

Cette stratégie doit donc évoluer, tout en intégrant les acquis positifs de l’expérience, dont la confiance renforcée entre organisations. Si le front anticapitaliste ne peut être un cadre permanent, il peut prendre des formes plus souples (expressions communes, meetings communs), adaptées à chaque situation, au niveau local comme national.

Les leçons du mouvement contre la loi Travail

Le mouvement contre la loi Travail, qui a mis en branle des millions de salarié.es, notamment dans le secteur privé, y a révélé le manque d’implantation des organisations anticapitalistes, notamment dans les secteurs stratégiques. Combien de révolutionnaires parmi les routiers, dockers, nettoyeurs, raffineurs qui ont bloqué le pays ? Trop peu.

Ce constat doit nous conduire à trouver les formes appropriées pour nous adresser de manière différenciée à deux publics que nous rencontrons dans les luttes locales ou nationales.

  • D’une part le public militant, qu’il soit ou non acquis aux idées révolutionnaires. Ce public cherche des réponses, des décryptages sur les rapports de forces, les enjeux bureaucratiques, les objectifs politiques et nous devons lui fournir nos analyses. ;
  • D’autre part la masse populaire mobilisée à un moment donné, qui cherche des mots d’ordre clairs pour poursuivre, élargir et faire gagner le mouvement.

En prenant en compte le prolétariat d’aujourd’hui dans sa diversité, avec ses manques de repères idéologiques, des niveaux très variables d’instruction... il nous faut trouver les formes qui entrent en résonnance avec leur colère, proposer des objectifs concrets à la lutte, des modes démocratiques d’auto-organisation mais aussi fournir un éclairage communiste libertaire comme perspective en adaptant notre discours à chaque population.

Rechercher l’implantation sur les lieux de production

Ce n’est pas par romantisme ouvriériste que les anticapitaliste doivent chercher à se faire entendre sur les lieux de production et d’échange. Alternative libertaire ne croit pas à un changement de société par une mobilisation citoyenne, progressive, via des élections et/ou via des résistances locales. Nous ne croyons pas non plus à une prise de pouvoir par une minorité éclairée. Nous visons un renversement de l’ordre capitaliste par une mobilisation de masse, reposant sur l’action direct des travailleur-se-s, c’est-à-dire la grève générale expropriatrice. De notre point de vue, une stratégie politique révolutionnaire et libertaire nécessite une implantation sur les lieux de travail.

D’une part, c’est parce qu’ils concentrent une large part des salarié.es. De ces salarié.es dont la rancoeur montante peut se traduire par des luttes collectives, mais aussi par des réflexes réactionnaires si seule l’extrême droite leur parle.

D’autre part, c’est parce qu’ils sont les lieux principaux de l’affrontement de classe. Et que de la conscience de classe et de la confiance acquise dans les luttes collectives dépendra, demain, leur reprise en main et la construction d’un socialisme autogestionnaire.

L’implantation dans les entreprises de production, de transport ou de grande taille revêt une importance particulière puisque ces boîtes sont les plus à même de jouer un rôle majeur dans les conflits sociaux. Pour autant, la majorité des salarié.es ne travaille pas dans de telles entreprises, et nous ne renonçons pas pour autant à les organiser sur les lieux de travail.

Pour intervenir en direction des entreprises, pour nouer des contacts, il est toujours possible d’interviewer des grévistes, de tracter devant des boîtes, mais les CAL peuvent aussi s’appuyer sur les outils existants – les blogs professionnels Franchise postale, Rail déchaîné, Classe buissonnière tentent d’adapter la pratique du « bulletin de boîte » à l’ère numérique. Les liens, cependant, se créent d’autant plus facilement qu’ils reposent sur une entraide concrète. De ce point de vue, les unions locales de syndicats et les bourses du travail sont des espaces souvent sous-investis par les militantes et les militants révolutionnaires.

Penser différemment pour changer d’échelle

Mais s’implanter plus largement dans le prolétariat, cela signifie aussi réfléchir au fonctionnement collectif que l’on se donne. Vingt-cinq ans après sa naissance, AL repose toujours sur le modèle du groupe d’extrême gauche actif tous azimuts, avec des débats internes parfois sophistiqués. Ce fonctionnement peut être excluant pour les salarié.es n’ayant pas le temps, ou pas le capital culturel adéquat.

Certes, il n’y a pas de recette magique pour lutter contre ces tendances lourdes qui impactent l’ensemble des organisations de gauche et d’extrême gauche et tiennent, avant tout, à la tertiarisation du prolétariat depuis quarante ans. Mais là encore, on doit se questionner plutôt que de renoncer. Depuis plusieurs mois, certains CAL (Orléans, Nantes) expérimentent une façon de fonctionner qui se veut plus inclusive.

La fédération AL en recueillera volontiers les enseignements. Cela pourra l’aider à mettre son expression (journal, web) et son fonctionnement interne au diapason, dans la logique voulue par la réflexion sur le « changement d’échelle » entamée au congrès AL de 2015.

[1Statistiques Pôle Emploi d’avril 2017.

[2« La moitié des chômeurs touchent moins de 500 euros par mois », Observatoire des inégalités, 30 janvier 2015.

[3« Les revenus démesurés des grands patrons et des cadres dirigeants », Observatoire des inégalités, 30 mars 2016.

[4« Patrimoine : des inégalités démultipliées », Observatoire des inégalités, 15 novembre 2016.

 
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