Mouvement des chômeurs : Bloquer la machine de contrôle social




Où en est actuellement le mouvement des chômeurs et précaires  ? Face à la montée du chômage et au durcissement des conditions d’indemnisation, des mouvements contestataires aux accents libertaires se mobilisent, agissent, et luttent.

Le mouvement des chômeurs est aujourd’hui très affaibli et la trop petite manifestation contre le chômage et la précarité du 4 décembre 2010 en est la preuve. En effet, les chômeurs et les chômeuses sont de plus en plus isolés, ils n’ont plus d’occasions de se rencontrer et de s’organiser.

Les Pôles emploi  [1] ne reçoivent plus que sur rendez-vous et la fameuse plate-forme téléphonique du 39 49, qui gère les demandes, déshumanise la relation au chômeur et l’enfonce encore plus dans sa solitude. Les durées d’indemnisation ont été réduites drastiquement par la dernière convention Unedic, maintenant soumise à l’autorité du Medef et son alliée la CFDT.

Cette convention, régie par une logique actuariale qui indemnise pour une durée équivalente à la période travaillée, en vient à nier tout à fait le fondement mutualiste et solidaire de l’assurance-chômage tel qu’il était posé lors de la création de l’Unedic. Quant aux chômeurs, ils ne disposent d’aucune voix au chapitre, ne sont même pas représentés dans la gestion paritaire de l’Unedic.

Plus il y a de chômeurs, plus ils sont sanctionnés

Faute d’organisation et de défense collective, les chômeurs sont abandonnés à leur sort  : trop rarement en contact avec les associations ou syndicats de chômeurs, en prise avec l’isolement et le désarroi le plus profond, ayant des difficultés considérables pour survivre, en proie à la culpabilisation individuelle… Beaucoup se suicident dans le plus complet anonymat, sauf quand récemment un chômeur est passé à l’acte sur le parking d’un Pôle emploi.

La situation des chômeurs et précaires n’a cessé de se dégrader au fil du temps, avec l’explosion des CDD et de l’intérim, la montée du chômage et la dégradation des droits des chômeurs. Plus il y a de chômeurs, moins ils sont indemnisés et plus ils se voient sanctionnés à tout propos. Moins d’un chômeur sur deux est actuellement indemnisé et fin 2010, on comptait un million de «  fins de droit  ». A cette urgence sociale, le gouvernement n’a que très tardivement et très chichement répondu par une prime exceptionnelle de six mois équivalente au RSA. Les intermittents, depuis la réforme de 2003, sont de plus en plus souvent basculés vers le régime général, augmentant la difficulté d’être indemnisé [2]. Quant aux jeunes non scolarisés, dont le taux de chômage atteint 20 % et jusqu’à 42 % dans les «  zones urbaines sensibles  », ils et elles sont dans leur écrasante majorité toujours exclus du misérable «  RSA-jeunes  » qui ne concernait fin novembre, que 3400 jeunes…

Or, c’est ce régime d’indemnisation, déjà très inadapté à la montée du chômage et de la précarité, que la prochaine convention Unedic – en cours de négociation d’ici mars – risque encore d’aggraver. En effet, le Medef plaide pour un système à trois étages  : un étage d’indemnisation par l’assurance-chômage basé toujours sur une logique actuariale, un étage de minima sociaux – de misère – payés par l’Etat et extrêmement restrictifs, et un étage d’assurance individuelle privée  ! Or, rien ne filtre de ces négociations…

Exiger le retrait des radiations

Face à ces attaques, quel est le potentiel de résistance du mouvement des chômeurs  ? En fait, il est loin d’être nul, mais est de plus en plus porté par un jeune mouvement des précaires, organisé autour du mot d’ordre lancé en mai 2010 de «  grève des chômeurs  ».

Ce mouvement, parti de Bretagne et ayant gagné plusieurs villes de France, revendique ses droits en occupant des Pôles emploi et en réclamant le retrait des radiations ou des indus. Faute de pouvoir bloquer la production, il entend bloquer la machine de contrôle social de l’Unedic, qui vise à soumettre les chômeurs et précaires à une logique d’«  employabilité  » à tout prix et d’acceptation de n’importe quel emploi (l’«  offre raisonnable d’emploi  », créée par la loi «  Droits de devoirs des demandeurs d’emploi  » votée en août 2008). Or, il n’y a plus d’emplois pour une grande partie de la jeunesse, condamnée à une précarité sans fin et sans avenir – et ceci compte tenu de la logique néo-libérale de suppression accélérée des emplois publics, de la privatisation des services publics et des délocalisations des emplois du secteur privé.

Le mouvement des chômeurs et précaires porte des revendications fortes, qui se sont exprimées dès 2006 avec une plate-forme unitaire pour un «  statut de vie sociale et professionnelle  » offrant un revenu garanti décent pour toutes et tous, avec ou sans emploi, et la continuité des droits sociaux. Ce statut, inspiré de la sécurité sociale professionnelle revendiquée par la CGT, la CFTC et Solidaires pour les salariés en cas de licenciement mais élargi à tous, est porté par le collectif Droits nouveaux avec  : Agir contre le chômage (AC  !), l’APEIS, le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), la Coordination des intermittents et précaires (CIP) d’Ile de France, l’Union syndicale Solidaires, le SNU Pôle emploi, le Collectif national droits des femmes (CNDF), l’Appel et la pioche (jeunes précaires du NPA), Droit au logement (DAL), le Mouvement des quartiers pour la justice sociale (MQJS), Stop précarité, ainsi que par ATTAC.

Des formes d’actions nouvelles et imaginatives

En mai 2009 ont été organisés des «  Etats généraux du chômage et de la précarité  » regroupant 200 personnes et 30 organisations. Outre une plate-forme revendicative, elles lancent l’idée de «  Marches locales chômeurs-précaires-salariés en lutte  » qui vont se dérouler entre le 20 novembre et le 5 décembre 2009 dans une trentaine de villes, se terminant par la manifestation annuelle du mouvement.

Grâce à ces marches, des collectifs de chômeurs se réactivent et de nouveaux se créent. Le mouvement des chômeurs se recompose et se rajeunit et devient de fait un mouvement des précaires. Il s’enrichit de la subjectivité rebelle et libertaire propre aux jeunes générations de précaires, et de formes d’action nouvelles, plus imaginatives et concrètes. Des actions de «  décontamination contre le virus de la grippe précaire  » sont menées ainsi par le collectif l’Appel et la pioche dans des Pôles emploi, des agences de recrutement de Mc Do, des Caisses d’allocations familiales.

Alors que va s’ouvrir la négociation de la future convention Unedic, et pour poser publiquement la question d’une véritable indemnisation de tous les chômeurs et précaires par des mécanismes de solidarité mutualiste pérennes, le collectif Droits nouveaux, avec ATTAC et la Fondation Copernic, organise «  Quatre heures pour l’indemnisation du chômage et de la précarité  » fin janvier à la Bourse du travail de Paris, espérant ainsi lancer non seulement la mobilisation des syndicats et des partis politiques, mais surtout celle des chômeurs et des précaires.

Evelyne Perrin (AC  !, Stop Précarité)

[1Les Pôles emploi sont les structures issues de la fusion en 2008 des anciennes ANPE et Assedic

[2Cf. Mathieu Grégoire, Cahiers du CEE, n° 14, 2010

 
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