Ni Dieu ni maître d’école : Belém do Pará et l’école rationaliste




Nous y voilà. Le mouvement initié par Francisco Ferrer, et que sa mort injuste va renforcer, donne lieu à diverses créations d’écoles dans le monde.

L’Amazonie est à cette époque en plein boom économique. Ses capitales Belém et Manaus sont en pleine expansion grâce à l’exploitation de la sève de l’hévéa qui donne le caoutchouc et tous ses dérivés. Mais comment et grâce à qui a pu être lancée cette aventure d’éducation libertaire sur des terres où les anarchistes originaires d’Europe venaient semer les graines de la révolte, de la lutte des classes pour repousser l’exploitation sauvage des commerçants de latex  ?

En 1917, le Brésil connaît une grève générale sans précédent et sa capitale économique São Paulo et le port de Santos, point d’embarquement des marchandises envoyées dans les pays du Nord ainsi que port d’arrivée des nombreux migrants européens en quête de chances d’en finir avec la faim et les privations en tous genres, sont paralysés pendant des semaines. Parmi ces migrants qui remplissent les ponts et les cales des navires arrive un grand nombre de militants anarchistes. Ferrer est mort depuis huit ans et l’Europe agonise sous les bombes que ses dirigeants irresponsables font pleuvoir sur le prolétariat engagé sous les drapeaux des patries dévorant leurs enfants… À l’Est retenti la nouvelle d’une révolution de conseils d’usines et de soldats, mais ici c’est bel et bien la grève générale qui est l’instrument de défi aux dominants.
Dans ce contexte, on comprend pourquoi, dès le milieu de la décennie qui suit, un camp de concentration de prisonniers politiques anarchistes sera créé par le président Artur Bernardes près de la frontière guyanaise : Cleverlândia.

En attendant, à Belém, deux ans après cette grève et cinq ans avant l’ouverture de ce camp, les anarchistes du nord du Brésil montrent que leur œuvre a un but créateur fort, celui d’émanciper les classes laborieuses par l’éducation, en suivant les principes du pionnier catalan.

Comme nous l’avions anticipé lors de nos rendez-vous précédents, il y a bel et bien eu une école Francisco Ferrer à Belém. Elle fut ouverte au cours de la deuxième moitié du mois d’octobre 1919, soit dix ans après la mort de son inspirateur et fut le fruit de la lutte des militants syndicaux anarchistes de l’époque.
Elle reçut le soutien de certaines personnalités des Lettres amazoniennes de l’époque, tel que le poète Bruno de Menezes. Son lieu de fondation répondait aux besoins des classes populaires de la capitale du Pará et elle se trouvait dans l’un des barrios les plus prolétaires de la ville, le Jurunas, qui aujourd’hui encore accueille les migrants intérieurs d’un exode rural qui n’en finit pas de dépeupler les campagnes et la forêt, aux mains des fazendeiros, ces grands propriétaires de terres incultes interdites de fait aux familles de travailleurs ruraux. Située au bord du fleuve Guajará, c’est donc à des populations très précaires et fragiles, à la culture populaire
en revanche très forte, empreinte de tous les mythes d’origine tupi, les peuples autochtones de la région, que se dédiait cette école où la mixité n’était pas qu’entre garçons et filles, mais aussi entre urbains et ruraux, familles de la forêt, du fleuve ou de la métropole.

Ici l’éducation libertaire se trouvait de fait en prise avec la diversité originale d’une région de contrastes forts. Les syndicats de chauffeurs (les voituriers des familles aisées du centre-ville), de cordonniers ou autres venaient appuyer l’apprentissage émancipateur de populations nouvellement arrivées dans le chaos de la jungle urbaine.

Un autre monde, en somme.

Accattone

 
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