Entretien

Nunu (GERPLA) : « Lieux d’accueil pour personnes en difficulté : des résultats plus probants, une meilleure socialisation »




La loi du 2 janvier 2002 « rénovant l’action sociale et médico-sociale » a entériné la reconnaissance de centaines de petites structures d’accueil pour les personnes en difficulté. Nunu est est permanent du lieu d’accueil du Roucous (Aveyron) et secrétaire national du Groupe d’échange et de recherche pour la pratique en lieu d’accueil (Gerpla) [1]. Il revient sur l’origine de ces lieux et les évolutions auxquelles ils sont confrontés dans le cadre de leur « légalisation ».

Alternative libertaire : Peux-tu nous parler de l’origine des lieux d’accueil ?

Nunu : On peut situer les premières expériences en Suisse à la fin du XIXe siècle, où des militants et des militantes libertaires ont voulu ouvrir les orphelinats. Le secteur social a toujours connu des acteurs issus des institutions cherchant à s’en affranchir.
Dans les années 1960, Fernand Deligny [2] s’est installé avec des enfants psychotiques pour expérimenter de nouvelles prises en charge. Ces premières expériences ont bénéficié de la période post-68 et de la mouvance antipsychiatrie et anti-institutions qui s’est saisie de ces exemples.
La notion de « vivre avec » était le point commun entre ces différents lieux, des lieux d’accueil communautaires où les éducateurs vivent et se nomment « permanent-e-s ».

De ton point de vue, les lieux d’accueil se sont créés en concurrence avec les institutions ou comme une prise en charge complémentaire ?

Nunu : Les prises en charge individualisées ont donné des résultats beaucoup plus probants. Les enfants « allaient mieux » : moins d’automutilation, moins de difficultés à se nourrir, et donc une meilleure socialisation. Ces structures se sont imposées comme utiles mais sans existence légale.
Le Gerpla s’est créé en 1985, revendiquant alors le « vivre avec » mais aussi « travailler ». Il s’agissait de formaliser un réseau de lieux avec deux objectifs : obtenir une reconnaissance des lieux et réfléchir au sens de nos pratiques. Dans sa forme, cette association est dépourvue de président-e, c’est un comité de coordination qui prend les décisions, après avoir contacté tous les lieux adhérents. Le consensus est privilégié, plutôt que le vote à la majorité.
Ces dernières années ont été majoritairement consacrées au travail sur la reconnaissance des lieux d’accueil à travers la loi de 2002 [3].

Tu considères que cette loi a intégré vos revendications ?

Nunu : Nous avons réussi à faire intégrer dans la loi : l’autonomie des lieux au niveau éducatif et économique, la notion de permanence (au moins un des responsables doit avoir son domicile fixe sur le lieu), des petits effectifs (pas plus de sept enfants par lieu)... Mais aussi la supervision : nous maintenons un lien avec un psychiatre ou psychanalyste pour parler et donner du sens à ce que nous vivons au quotidien.
Nous sommes relativement satisfait-e-s de ce qui a été intégré, mais ce n’est pas seulement le fait du Gerpla. C’est aussi grâce à un collectif rassemblant toutes les associations de lieux d’accueil en France qui s’est créé en maintenant un fonctionnement collectif.

Et dans la pratique ?

Nunu : En 2004, il y a eu les décrets d’application et le collectif national a explosé puisqu’une fédération nationale des lieux de vie a été créée, se voulant l’interlocuteur unique.
Cette fédération n’a pas défendu la diversité des lieux d’accueil, prônant un modèle de « petit entrepreneur ». Ils ont également laissé passer la concentration des pouvoirs aux conseils généraux qui très souvent placent les enfants mais délivrent également les agréments. Toute évolution est en permanence digérée par les pouvoirs en place et passée au crible de la loi, vidée de l’esprit de l’acte fondateur. En même temps, face à cette loi, de nouvelles pratiques se développent qui se feront elles aussi digérer. Mais les possibilités d’aide aux personnes en difficulté s’élargissent. Il faut rester vigilant, et se battre pour faire évoluer la société, pour plus d’écoute et de solidarité, et pour trouver de nouvelles alternatives.

Propos recueillis par
Mathieu (AL Saint-Denis)

[1Gerpla, Groupe d’échange et de recherche pour la pratique en lieu d’accueil : http://www.gerpla.org

[2Un recueil des œuvres de Fernand Deligny vient de paraître aux éditions L’Arachnéen ; 1848 pages ; 58 euros

[3Consultable à l’adresse du GERPLA

 
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