Entretien

Pierre Seysol (Sud-TMT) : « Une première expérience de grève à Coliposte »




Décembre 2006 a vu le premier gros conflit à Coliposte. Cette entreprise du groupe La Poste spécialisée dans la livraison de colis depuis 10 ans est un groupe très rentable : 6 300 salarié-e-s répartis sur 16 plates-formes colis et 64 agences de distribution en France, 260 millions de colis livrés pour un chiffre d’affaire de 1,155 milliards d’euros en 2005. Derrière cette “ réussite ” se cache la réalité de la libéralisation du service public : salaires de misère, harcèlement moral, turn-over important... Entretien avec Pierre Seysol, syndicaliste SUD-TMT à Pantin.

Alternative libertaire : En décembre, pour la première fois Coliposte a été confronté à une grève d’ampleur. Comment la mobilisation a-t-elle démarrée ?

Pierre Seysol : Fin octobre, trois agences parisiennes ont lancé un appel à la mobilisation. Sur mon agence, les collègues discutaient déjà depuis un bout de temps de grève reconductible, conscients que les grèves de 24 heures auxquelles nous avions participé par le passé étaient insuffisantes. Le ras-le-bol est général. Le nombre de colis a augmenté de près de 30 % en quelques années, sans embauche en contrepartie. La direction impose des objectifs irréalisables en terme de livraison de colis, les cadres jouent les petits chefs, le recours à l’intérim met la pression sur les collègues, les heures sup’ ne sont jamais payées, les salaires tournent autour de 1 100 euros pour des semaines à plus de 40 h. SUD, après un travail d’info et de mobilisation, a posé seul un préavis de grève reconductible fin novembre. Sur notre agence la grève a été votée en AG le 29 novembre. Sur le reste de la région, 12 agences sur les 30 (notamment Clamart, Pantin, Saint-Ouen, Montgeron, Aubervilliers et Alfortville) sont parties en grève majoritaire.

Vous avez axé la lutte autour de trois thèmes : salaires, conditions de travail, hiérarchie. Comment vous êtes-vous organisés concrètement ?

Pierre Seysol : Nos premières AG se sont déroulées devant l’agence car lors d’un conflit les grévistes n’ont pas accès aux locaux. Mais rapidement, le rapport de force aidant, nous avons imposé au directeur de nous réunir à l’intérieur. Puis des rassemblements régionaux quotidiens devant les directions de la Poste et de Coliposte, ont permis d’organiser avec les collègues des autres agences des AG regroupant de 120 à 150 personnes. Entre-temps, de nouvelles agences se sont mises en grève. Un tract en direction des usager-e-s a été réalisé, et des actions de blocages et de sensibilisations notamment à la Poste du Louvre.

Coté négociation, les patrons nous ont baladé, la direction nationale renvoyant la balle à la direction régionale et vice-versa. Les délégations étaient composées d’un gréviste par site plus un syndicaliste de SUD.

Pendant ce temps, des équipes de briseurs de grèves ont été déployées. Il s’agit principalement d’une brigade de 25 employé-e-s qui parcourent le pays toute l’année pour briser les grèves. À Pantin, nous avons également eu affaire à des cadres débarqué-e-s de Lille. Les grévistes ont tenté de débrayer les autres agences avec un très bon écho, malgré des menaces directes de licenciement, et malgré l’absence des autres syndicats, ce qui n’a pas facilité l’extension du mouvement. Mais la grève a tenu et l’intersyndicale CFDT-CGT-FO-CFTC a été obligée de se réveiller, en posant préavis de grève reconductible à partir du 11 décembre.

Et là coup de théâtre : dans le cadre des nouvelles lois sur le dialogue social, l’intersyndicale (qui donc n’avait nullement participé à la lute) a rencontré la direction régionale le 7 décembre… et a retiré son préavis pour signer un protocole d’accord à minima dans le dos des grévistes ! Des grévistes qui pendant ce temps ont rencontré la direction nationale qui a fait la sourde oreille. Le protocole a été dans un premier temps refusé en AG et la grève reconduite, notamment pour obtenir le paiement des jours de grève. Mais cela est devenu difficile financièrement. Une caisse de grève a été mise en place pour les plus “ fragiles ”. Finalement le travail a repris progressivement à partir de du 12 décembre.

Quels enseignements tirer de cette lutte ?

Pierre Seysol : L’accord signé par l’intersyndicale prévoit le paiement des heures supplémentaires, une prime de 200 euros sous forme de “ challenge ”, le pesage des tournées, l’embauche de personnel. En gros, le respect du code du travail. Mais ces 10 jours de grève ont instauré un rapport de force avec les directions locales, ce qui n’est pas négligeable. La plupart des grévistes sont des jeunes issus des quartiers populaires et pour beaucoup d’entre elles et eux il s’agissait de la première expérience de lutte. Même s’il existe parfois le sentiment de s’être fait roulé par les syndicats signataires, les pratiques de solidarité, de contrôle du mouvement par la base et d’action directe ont posé des jalons pour le futur.

Propos recueillis par Lucien Pivert (AL Montrouge)

 
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