Révolte de masse en Slovénie et intervention anarchiste




En novembre-décembre 2012, la Slovénie a été secouée par sa toute première révolte de masse depuis vingt ans. En moins de trois semaines, pas moins de 35 manifestations ont eu lieu dans 18 villes, rassemblant quelques 70 000 participants. Les affrontements avec la police ont conduit à 284 arrestations et à de nombreux blessés. Dans certaines villes la protestation a pris un caractère franchement anticapitaliste.

Les événements qui ont marqué la fin de l’année 2012 en Slovénie – membre de l’Union européenne et, depuis 2007, de la zone euro – ont commencé mi-novembre avec des manifestations contre la corruption du maire la deuxième ville du pays, Maribor. Le maire a, depuis, démissionné. Le slogan scandé à cette occasion – « Il est fini » (Gotof je, en slovène) – a rapidement englobé plus ou moins tous les politiciens du pays. Une version locale du ¡Que se vayan todos ! Qu’ils s’en aillent tous ») argentin de 2001.

Les protestations ont ensuite gagné tout le pays en quelques jours, en prenant la forme d’un mouvement décentralisé, anti-autoritaire et non hiérarchique. Des gens qui n’avaient jamais mis les pieds dans la rue y ont participé, jusque dans les villages les plus calmes d’ordinaire. Les gens ont inventé de nouvelles solidarités, créant des relations de camaraderie dans la lutte. Nous ne savons pas combien de temps nous pourrons tenir dans la rue. Mais ce qui est sûr, c’est que cette expérience émancipatrice a libéré la parole populaire. Personne ne pourra la reprendre.


Un tract de la Fédération pour une organisation anarchiste (FAO, Slovénie) en date du 6 décembre.

<titre|titre=Aucune discrimination : ils sont tous finis !>

Ces derniers jours ont vu l’Histoire nous tomber dessus de toute sa masse. La révolte à Maribor a initié ce que bien peu croyaient possible : les gens s’organisant par eux-mêmes, acculant leur garde-chiourme dans les cordes, le forçant finalement à s’enfuir, en pleine disgrâce. C’est cette étincelle qui a allumé la révolte plus large contre l’élite politico-économique et l’ensemble du système capitaliste. Nous ne possédons pas la boule de cristal qui nous dira ce qui va se passer ensuite, mais nous sommes assurés déjà qu’il ne faut rien attendre ni du romantisme ni de la naïveté : il va nous falloir une bonne dose d’organisation et de courage.

Du bas vers le haut et de la périphérie vers le centre

À mesure que les protestations se propagent à tout le pays, elles se sont aussi élargies pour devenir une révolte contre l’élite au pouvoir et l’ordre existant. Dans chaque région, les gens rivalisent de créativité pour dire aux politiciens, chacun dans son style, « Vous êtes tous finis ! ». Le caractère décentralisé de la révolte est un élément clé. L’autre aspect important est que tout le processus se déroule du bas vers le haut. Pas de leaders en charge de l’organisation : il n’y a que les gens, sans représentation aucune. Pour défendre cette solidarité et empêcher la récupération de la révolte aux mains de la classe politique, c’est précisément cette décentralisation qu’il nous faut défendre, promouvoir et renforcer !

Police partout, justice nulle part !

Il ne faut pas s’étonner des brutalités policières. Ce qui est étonnant en revanche, c’est l’illusion selon laquelle des policiers pourraient nous rejoindre. Il est vrai que la police n’est pas la cible première de la révolte, et que son horizon n’est pas borné par les heurts avec les flics. Ce qui est ciblé c’est la classe capitaliste et le système dans son ensemble. Néanmoins, la police n’est pas notre alliée et ne le sera jamais, nulle part. Rappelons nous : elle est un rouage de l’appareil de répression de l’État. Sa fonction, structurellement, est de défendre l’ordre existant et les intérêts de la classe dirigeante. Peu importe à quel point les individus en uniforme sont exploités ! Tant qu’ils suivent les ordres de leurs supérieurs, ils demeurent des flics, hommes et femmes. Lorsqu’ils cesseront de le faire, ils pourront rejoindre la révolte.

Nourrir de telles illusions est donc d’une extrême naïveté. Leurs interventions dans les manifestations de ces derniers temps étaient-elles si peu problématiques, et conduites dans l’intérêt des gens, comme certains l’ont prétendu ?

Avons-nous déjà oublié la brutale répression de Maribor et les menaces du ministre de l’Intérieur, Groenak, menaçant de faire la chasse aux organisateurs de toute manifestation illégale ?

Nous ne sommes pas davantage surpris par les discours de « moralisation » des émeutiers et de la violence, qui s’est répandu par le biais des réseaux sociaux. Le gouvernement et les médias nous ont lancé un os et certains d’entre nous sont tombés dans le panneau immédiatement. Mais que sont dix vitres brisées, une porte défoncée à la mairie, et des pavés arrachés en comparaison de la violence d’État ?

Une jeunesse sans futur, le chômage, la précarité, la réduction des bourses scolaires, la réduction des repas dans les écoles, la réduction de personnel dans les jardins d’enfants, la diminution des droits à la santé, du financement de l’éducation et de la recherche, le recul de l’âge de départ en retraite, la baisse des salaires, la suppression de jours fériés, la pénurie de logements sociaux, une jeunesse forcée de vivre dans des meublés ou avec leurs parents vieillissants, le déni des droits aux homosexuels, migrants, femmes et tous ceux dont l’origine sociale ne correspond pas à l’une des religions ou ethnies dominantes. Et ainsi de suite.

Et nous n’avons pas encore commencé de parler de la corruption, du népotisme, du clientélisme et de la criminalité qui règnent dans la classe dominante. Ils nous forcent à travaille davantage mais les fruits de notre labeur sont constamment récupérés par la classe capitaliste. C’est cette exploitation qui est au cœur du système.

Dites-nous maintenant qui est violent avec qui ?

De quel droit condamnons-nous des gens dont le futur a été volé ? La jeunesse n’a rien à perdre. Cessez de les condamner, et ensemble concentrons-nous sur les vrais problèmes.

Plus dangereux encore : les divers appels à l’autorépression et à la coopération avec la police. N’avons-nous pas déjà atteint les sommets inacceptables de la surveillance et de l’utilisation du vidéoflicage ? Les gens qui proposent d’aider la police à retrouver les « émeutiers » ne veulent qu’exclure une large part de la jeunesse de cette révolte.

Coopérer avec la police reviendrait à nous tirer une balle dans le pied, de la même façon que condamner la jeunesse qui s’exprime de manière très directe reviendrait à annuler le potentiel de cette révolte.

Aujourd’hui, ce que les autorités définissent comme une violence, c’est le bris de vitrines. Il nous faut pourtant être clairs : cette définition va rapidement s’étendre à tout ce que le pouvoir définira comme illégal, en termes de protestations, manifestation qu’il est seul à pouvoir interdire ou autoriser. Soyons clairs, aux yeux de ce système qui nous humilie, nous spolie, et nous supprime bon an mal an, nous sommes tous des émeutiers.

Encore une fois, nous disons notre entière solidarité avec tous les interpellés, dont nous exigeons qu’ils soient immédiatement relâchés, et nous appelons à la fin des poursuites judiciaires et médiatiques, l’annulation des sanctions pour les manifestants.

Le pouvoir au peuple, pas aux partis politiques

Après le premier bouillonnement spontané de la révolte, lorsque la créativité des masses se fut pleinement manifestée, un nouvel espace de réflexions stratégiques s’est également ouvert. Si nous voulons que la révolte se transforme en un mouvement social, sur la base de demandes, objectifs et visions concrets, il nous faut les articuler à celles qui existent déjà dans le mouvement et parvenir à une forme d’organisation qui rende possible ce processus. Sans cela la révolte mourra rapidement et rien ne changera.

Pour ce qui concerne les exigences, il nous faut procéder pas à pas et commencer par inclure celles déjà exprimés au sein de la révolte. Assurément il nous faut : préserver le système de protection sociale, de santé et d’éducation publique. Il nous faut aussi préserver les droits des travailleurs existants. Cela dit, il faut que nous soyons clairs sur le fait qu’il ne s’agit pas pour nous de lutter pour préserver l’ancien système. Tandis qu’il n’est pas question qu’on nous retire les droits pour lesquels nous nous sommes battus pendant des années, il nous faut aussi affirmer une perspective stratégique centrale. Tant que le capital et l’État existeront, les schémas d’oppression et d’exploitation continueront de s’exercer sur les services publics – éducation, santé et protection sociale. C’est pourquoi il nous faut, ici aussi, autogérer les luttes dans ces structures et non nous contenter de négocier les miettes. Les droits ne sont jamais donnés, ils faut toujours les arracher par la lutte.

Il se peut qu’une partie de l’élite politique corrompue réalise qu’ils sont tous finis et quitte l’arène politique. Mais ils seront bien assez tôt remplacés par d’autres, qui de nouveau, sans que nous leur donnions quelque légitimité que ce soit, prendront leurs décisions en notre nom. Leurs intérêts ne sont pas les nôtres, et chaque jour qui passe donne des exemples de népotisme et de corruption. Au moyen de lois anti-crise et autres réformes, ils nous repoussent toujours plus loin vers les marges de la société, et au-delà.

C’est pour cette raison qu’il faut qu’ils partent tous, du premier au denier. Ce serait pure naïveté de croire qu’ils sont purs, sans tache, avec nos seuls intérêts à cœur, et qu’il s vont nous sortir de cette crise. Qu’il nous suffirait de trouver les bons, et de voter pour eux.

C’est le système politique et économique, son autoritarisme et caractère de hiérarchie qui rend impossible de vivre dans un monde non aliéné et selon nos désirs et nos besoins. Tant qu’il y a capitalisme, une minorité qui domine une majorité et la relègue vers les franges sociales et économiques de la société, nos ventres seront vides. Si nous ne résistons pas, si nous ne nous battons pas pur une alternative, il y aura toujours quelqu’un pour régner sur nous : le patriarcat au foyer, les doyens et les représentants estudiantins dans nos facs, les patrons dans nos boulots et les politiciens au gouvernement. Cette fausse démocratie qui nous est offerte sous la forme d’élections n’est pas la seule façon d’organiser nos vies.

Organisons-nous là où nous vivons, travaillons, étudions

Si nous voulons que réussissent la révolte et ses exigences, et qu’elles produisent un réel pouvoir populaire, il nous faut organiser l’autogestion. Lorsque nous parlons de l’organisation de la révolte nous pensons naturellement aux formes en rupture avec les formes socio-politiques auxquelles nous sommes habitués. Nous devons nous organiser depuis le bas, sans hiérarchie ni leaders, partout, où nous sommes exploités et opprimés : dans nos quartiers, nos lieux de travail, nos établissements scolaires. Les agriculteurs doivent se lier aux coopératives, et les coopératives avec le milieu urbain.

L’autogestion doit être spontanée et créative, elle doit se développer sur la base de relations librement consenties et établir des structures permettant la complète émancipation des individus. Elle doit suivre le principe de la démocratie directe, de la mutuelle solidarité, anti-autoritaire et antifasciste.

Au démarrage, nous suggérons d’organiser les choses sur la base d’assemblées de démocratie directe (assemblées générales) qui ont toujours formé la pratique des mouvements insurrectionnels sur toute la surface du globe. Nous pouvons nous organiser localement et ensemble façonner l’avenir en identifiant nos besoins et ceux des villes et villages. Ensemble nous pouvons faire des propositions et découvrir notre potentiel, qui devraient nous aider à réaliser que nous sommes capables, pratiquement, de tout faire par nous mêmes.

C’est ainsi que nous construirons une nouvelle fraternité/sororité, une nouvelle unité, où il y a largement assez pour tous, mais rien pour ceux qui veulent nous dominer.

En guise de prochaine étape, nous suggérons une coordination des différents groupes, ainsi que l’établissement de nouvelles formes d’organisation d’une révolte en expansion, mais encore dispersée. Nous suggérons, sur la base de ces principes communs, d’unifier un front de groupes, d’organisations et d’individus. Ce front doit être idéologiquement ouvert, inclusif, et fondé sur des demandes communes, concertées. Il doit s’organiser horizontalement, sans organes centraux officiels, et être fondé sur l’autonomie des individus, un processus de prise de décision par démocratie directe.

Nous appelons tous les groupes, organisations et individus à qui cette approche convient, à s’organiser dans leurs lieux de vie en assemblées ouvertes, qui pourront dans un deuxième temps se rejoindre. Reprenons nos vies en main, ensemble !

Depuis les rues et places, 6 décembre 2012

Fédération pour une organisation anarchiste (FAO), Slovénie.

 
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