Sans papiers : Le mouvement fait tache d’huile




Plus de 5200 grévistes, 1800 sites touchés, des Sud-Américains, des Asiatiques, des Africains, des Européens de l’Est, la deuxième vague de grève de sans-papiers fait le plein. La fraction du prolétariat hexagonal la plus précarisée et la plus occultée ne peut plus être ignorée.

Au bout d’un mois d’une grève rassemblant 5000 travailleurs et travailleuses sans papiers, le ministère de l’Immigration fait parvenir aux organisations syndicales du groupe des onze signataires [1] de la lettre au premier ministre, un « document de synthèse », prémice de la future circulaire de régularisation. Les 6 pages reprennent le gros des textes déjà existants, de l’arrêté au télégramme en passant par la circulaire et la fiche technique. Peu d’avancées : le compte n’y est pas. C’est le sens du communiqué commun, des 11 syndicats et associations, qui a été envoyé après la réunion de l’ensemble des délégués des piquets de grève, le 18 novembre.

A l’heure où ces lignes sont rédigées, loin d’être terminée, la grève se développe et son issue dépendra du rapport de force qu’elle aura pu imposer au gouvernement.

Bouchers, jardiniers, vendeurs ...

En quatre semaines, le nombre de grévistes a quadruplé. Majoritairement employés dans les secteurs traditionnels du nettoyage, de la sécurité, du bâtiment, de la restauration, ils travaillent aussi dans l’intérim, et chaque jour voit arriver de nouveaux travailleurs sans papiers désirant rejoindre le mouvement, pour certains dans des métiers où on ne s’attend pas à les voir : bouchers, jardiniers, vendeurs de chaussures, etc. Aux côtés des africains, les travailleurs chinois entrent dans la lutte, et les femmes sont en nombre de plus en plus grand. Elles viennent de la confection, de la restauration, du nettoyage, ou de l’aide à la personne. Elles viennent d’Afrique noire et du Maghreb, mais aussi d’Asie, d’Amérique du Sud ou des pays européens de l’ancien bloc de l’Est. Il ne s’agit plus des seuls habitants des anciennes colonies françaises. La surexploitation des travailleurs sans-papiers est potentiellement le lot de tous les prolétaires étrangers à la communauté européenne, et parfois même à certains d’entre eux comme les ressortissants bulgares ou roumains.

A la mi-novembre, c’est 1800 entreprises qui sont touchées. Parmi elles, de petits entrepreneurs et de grands holdings, des enseignes prestigieuses et de petits bouibouis, sans oublier les entreprises de travail temporaire et autres sous-traitants d’établissements publics. L’alibi de la dénonciation des patrons-voyous ne suffit plus. Preuve est faite que c’est le système économique capitaliste, dans sa globalité, qui se nourrit d’une main-d’oeuvre corvéable à merci qui est en cause.

38 départements touchés

Des 1800 entreprises établies dans 38 départements différents, les travailleurs se déplacent en Ile de France pour rejoindre les piquets de grève de leur profession, d’une filiale de leur entreprise ou de la maison-mère et témoignent ainsi d’un réel potentiel de lutte en province et par la même occasion d’un retard pris, dans les régions, par les différentes organisations syndicales, dans la prise en compte de la problématique des travailleurs sans papiers. Pourtant, il ne manque pas grand-chose pour que s’organisent des luttes semblables dans les différents grands bassins d’emploi, et que le mouvement prenne une ampleur à la fois nationale et plus proche de tout un chacun, rompant avec le préjugé « parisianiste » qui plombe la popularisation de la lutte. Loin de la pression qui s’exerce sur les médias nationaux-parisiens, qui relaient peu l’information, l’écho donné à ces luttes dans la presse locale aura aussi une toute autre envergure.

Redistribution des cartes

La coordination de la lutte par des syndicats et des associations bouleverse nombre de certitudes à la limite du sectarisme syndical et associatif pour tisser de nouveaux liens entre ces deux mondes. Force est de constater que malgré le déséquilibre de poids entre la CGT et Solidaires (souvent alliée à des occupations avec la CNT Nettoyage, qui n’a pas droit de cité dans le groupe des onze), le travail intersyndical avance positivement, balayant quelques préjugés qui avaient la vie dure. Quant aux associations, souvent qualifiées d’humanistes voire de caritatives, leur rôle ne se résume pas à apporter couvertures et repas. Elles constituent la colonne vertébrale des comités de soutien qui organisent des manifestations et une certaine couverture médiatique, harcèlent élus en tous genres pour recueillir leur soutien et leur engagement aux côtés des grévistes... Qu’elles s’en revendiquent ou non, l’espace laissé à leurs initiatives leur permet de s’inscrire directement dans la lutte de classe.

Quelque soit l’issue de cette lutte, elle va, à n’en pas douter, redistribuer les cartes autour de la lutte des sans papiers, redessiner des alliances et des légitimités. En resituant le combat des sans-papiers dans le monde du travail, pour la deuxième fois et massivement, elle marquera un tournant pour les luttes à venir et ses acquis bénéficieront à l’ensemble des sans-papiers.

Chloée (AL 93)

[1Les 11 signataires : CGT, CFDT, union syndicale Solidaires, FSU, Unsa, Ligue des droits de l’Homme, Cimade, RESF, Femmes égalité, Autremonde, Droits devant !!

 
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