entretien

Skalpel et E-one, et le Rap & Black Tour




Depuis près d’un an se déroule aux quatre coins de la France le « Rap Red and Black Tour ». Celui-ci se veut délibérément engagé et proche des idées libertaires. Nous avons rencontré deux de ses protagonistes, Skalpel et E-one.
Skalpel, membre de la K-bine et du collectif B-boy Konsian, ainsi que E-one, qui tourne avec la K-bine depuis 3 ans et est également actif au sein de la structure B-boy Konsian, nous en disent davantage.

Alternative libertaire : Alors, cette tournée ?

Skalpel : Cette tournée c’est le Rap Red and Black Tour. C’est Skalpel de la K-bine, E-one d’eskicit, et Akye qui est le stratège de la tournée, le principal animateur de B-boy Konsian.

Le rap français a évolué. Maintenant j’ai l’impression qu’il y a soit du rap bling-bling, ou du rap « militant » qui n’est pas forcément terrible, vous vous positionnez comment par rapport à tout ça ?

Skalpel  : Ça fait pas mal de temps qu’on rappe, j’ai sorti mon premier disque il y a 12 ans. C’est un peu schématique de dire qu’il y a du rap bling bling d’un côté et du rap « militant » de l’autre. Ceux qu’on considère comme nos ennemis, c’est pas forcément ceux qui ont une grande gueule. Les grands noms du rap militant c’est pas forcément nos alliés ou nos camarades, c’est plus complexe que ça. Nous, on ne se positionne pas par rapport aux autres mais par rapport à ce qu’on a envie de faire et à nos idées. On est des rappeurs qu’on peut étiqueter engagés, militants, subversifs, tout un tas d’adjectifs selon où on se place. On a un message, une conception d’existence qui transparait dans notre musique.

Qu’est ce que vous pensez de l’appellation « rap conscient » ?

Skalpel : Rap conscient, on en a fait une compil en 2010, on a senti qu’on avait besoin de préciser que c’est nos positions et pas juste du rap. Je considère que logiquement le rap se doit d’être conscient, doit porter un message, avoir une certaine éthique, nous après pas mal d’années d’expériences on a fait une compil, on s’est dit, que c’était une compil de rap conscient et pas seulement une compil de rap comme tant d’autres. Aujourd’hui d’autres mots comme « engagé » ou « militant » me vont très bien aussi.

Vous vous sentez proche de quel groupe de rap français ?

E-one : Je sais pas, nous on ne réfléchit pas trop comme ça, on est dans une recherche permanente d’accord entre ce qu’on pense, ce qu’on dit, ce qu’on est. Nos activités vont être sous tendues par de la lecture, de l’écriture, de la réflexion. Le rap français c’est le dernier de nos soucis. Nous ce qu’on veut c’est progresser dans ce qu’on pense, dans nos pratiques de vie et que notre musique soit en cohérence avec ça. On peut avoir un avis sur le business mais cet avis c’est juste une partie de notre prise de position politique.

Skalpel : Le truc c’est qu’on a pas une obsession maladive d’avoir la reconnaissance dans le milieu du rap français qu’il soit alterno-branché ou soit disant engagé. Signer en maison de disque nous on en a rien à foutre. Après on a beaucoup d’affinités avec d’autres groupes, on fait des compil ensemble, des connections. On est des humains qui avons les mêmes points de vue politiques c’est ça qui compte.

Quand on voit certains rappeurs comme Kery James qui arborent l’étoile rouge et noire alors qu’ils prônaient l’auto-entreprenariat quelques années auparavant, qu’est ce que vous en pensez ?

Skalpel : Je suis contre la propriété privée, contre les patrons qu’ils soient noirs blancs, jaunes ou latino-américains comme moi, contre les majors, donc je pense qu’on n’a rien à voir avec tout ça.

Vous vous positionnez comme révolutionnaires ?

Skalpel : Comme des militants qui veulent changer le monde, pour une révolution sociale et libertaire.

On est dans une situation de crise où les gouvernements veulent nous la faire payer, est ce que vous avez quelque chose à dire par rapport à ça, qu’est ce que vous en pensez ?

Skalpel : Ca m’étonne pas plus que ça. Si t’attend d’un quelconque gouvernement qu’il ne te fasse pas payer quelque chose, c’est qu’il faut relire les principes de l’anarchisme. Moi j’attends rien des gouvernants, j’attends rien de l’Etat. Il a ses contradictions. Y’a un rapport de force, on est là, on n’est pas parfaits.

E-one : La crise c’est du spectacle, elle est en germe depuis l’après-guerre. Finalement c’est juste un événement parmi tant d’autres, de la façon dont le système tourne depuis qu’il existe. Y a rien d’étonnant à ça c’est normal. C’est parfaitement logique dans la façon dont les choses sont organisées.

Skalpel : Il faut briser l’idée de croire qu’il y a eu un moment de paix dans le monde, y a jamais eu de paix nulle part, on est dans un état de guerre latent depuis des siècles. Y a des accalmies, des tempêtes. Là, le système capitaliste se reforme, s’adapte. On est tout le temps dans un état de crise, c’est juste le degré de violence et d’oppression qui varient. Y a 10 ans on était dans un état de crise et dans 10 ans on y sera encore si les choses ne changent pas. Berner les gens en disant qu’on va solutionner les problèmes en résolvant une crise, et sans changer le système dans lequel on vit, c’est se foutre de la gueule des gens. Le système capitaliste est une crise en lui-même.

Depuis 2005-2006, on parle de révolution. D’un coté il y a le mouvement social, qui regroupe en grande partie les classes moyennes en voie de déclassement, d’un autre côté dans les quartiers, il y a un climat quasi insurrectionnel, de révolte. Est-ce que vous pensez qu’il est possible qu’il y ait une jonction entre ces deux secteurs en révolte de la société ?

Skalpel : si c’est pour faire une jonction où les militants deviennent les chefs des gens des quartiers, alors, j’espère que cette jonction ne se fera jamais. Après qu’il y ait un potentiel dans les quartiers qui puisse se prêter à une situation d’insurrection, c’est un fait. Ce qu’il faut, c’est faire des liens entre les gens sans penser à des potentiels de révolte. Il faut que ça se fasse de manière naturelle, que les gens s’autogèrent, gèrent leur lutte. Si les gens des quartiers se révoltent, il faut qu’ils fassent leur lutte, qu’ils trouvent les moyens de gérer leur vie. Il ne faut pas qu’il y ait trois connards de militants qui ont tout lu parce qu’ils ont eu de l’argent, qu’ils ont pu étudier, qui viennent dire aux gens des quartiers comment se révolter. Les gens survivent, tous les jours ils trouvent des moyens de résister au quotidien. Dans un quartier si tu ne pratiques pas l’entraide pour survivre, tu te tires une balle dans la tête, il faut l’avoir vécu pour comprendre un minimum. Que les militants se rassurent, ils n’ont pas à aller faire les profs dans les quartiers, ils ont juste à faire preuve d’humilité.

Est-ce que vous êtes organisés ?

Skalpel : Personnellement, je suis syndiqué à la CNT parce que je suis pion dans un collège et je trouve que c’est un bon instrument de lutte des classes. C’est pas une fin en soi.

E-one : Je n’ai pas ma carte à la CNT mais je suis un camarade fidèle. Notre démarche est en soi une action militante.

Skalpel : Si tu vois notre quotidien et ce qu’on fait, on pourrait nous affilier à plein de groupes. On fonctionne par affinités et en fonction du quotidien, on s’adapte. On n’est pas dans une orga en considérant que c’est une fin en soi et qu’au-delà rien n’existe.

Propos recueillis par Matthijs (AL Montpellier), JR, et Flo.

 
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