Sport : Du pain et des jeux




Le sport est paré de tous les mérites, dans nos sociétés modernes. Pourtant, les activités sportives sont indissociables des mécanismes du capitalisme, et relèguent à l’arrière-plan des pratiques physiques alternatives.

Le sport c’est bien. Le sport c’est la santé. Le sport est facteur de « socialisation ». Le sport permet l’amitié entre les peuples. Ou en tout cas, on voudrait nous le faire croire. Car si manifestement, il ne vient à l’idée de personne de contredire ces « évidences », y compris parmi les anticapitalistes les plus critiques, les preuves de ces assertions sont malheureusement bien maigres. Entendons-nous bien : le sport tel qu’il sera considéré ici se définit par quelques critères bien précis, empruntés à la sociologie du sport, et notamment à Pierre Parlebas et Jean-Marie Brohm. Ces critères sont l’enjeu moteur ou la mise en œuvre du corps, l’institutionnalisation (présence d’une fédération, de clubs organisés, de licences), la réglementation rationnelle et fixe, la même pour toutes ou pour tous (et non toutes et tous, hormis dans quelques rares sport mixtes) concernant l’espace, le temps, les interdits, et enfin la compétition. Ajoutons à ces paramètres trois notions inséparables du sport moderne : la performance, le record, le champion (et exceptionnellement la championne).

Les amateurs et amatrices de jogging, de jeux de ballon plus ou moins libres, ou autres base-jump (saut en parachute depuis des falaises, tours, etc.) ne seront donc pas directement concernés par notre propos. Ce dont il s’agit ici, c’est de démonter l’idée selon laquelle le sport serait « universellement bon », pour en montrer le vrai visage, et répondre à celles et ceux qui considèreraient que le sport est victime du capitalisme, de l’argent, ou d’un je-ne-sais-quoi qui le pervertirait.

Vous avez dit « dérives » ?

Pour commencer, penchons-nous sur l’image toujours positive du sport moderne. Impossible de s’opposer à cette idée, sans voir monter au créneau les grandes et grands défenseurs du sport, qui viennent nous rappeler que certes, il y a des « dérives », mais que dans le fond, le sport est seulement victime de manipulations. Le dopage ? Dérive. La violence dans les stades et le nationalisme exacerbé ? Dérives. Les expropriations d’habitants et la destruction de l’environnement pour la construction d’infrastructures sportives ? Dérives, encore et toujours. Nous y reviendrons, mais force est de constater que si l’attitude des années 1960, consistant à soutenir que le sport était bon en tout état de cause, a été dépassée, c’est seulement au profit d’une image « neutre » du sport, qui permet d’attribuer tous les aspects critiquables à des causes extérieures.

Pourtant, loin de constituer une pratique neutre, qui ne serait que « ce qu’on en fait » comme l’affirment ses défenseurs, le sport constitue bel et bien la pratique physique capitaliste et rien d’autre, et joue sur la confusion du sens commun entre sport et pratique corporelle. En faisant croire que toute pratique physique est sportive, les idéologues du sport peuvent utiliser à loisir les bénéfices avérés de certaines pratiques qui ne sont absolument pas sportives (diminution des risques cardio-vasculaires grâce au jogging, création artistiques par la danse...) comme arguments de promotion du sport !

Or, comme nous l’avons dit plus haut, sans compétition, institutions, performance, point de sport. Et c’est bien là le problème. Car finalement, en sport, à quoi assiste-t-on, sinon à une véritable sacralisation du procès de production capitaliste ? La logique de rendement est sur-valorisée (il suffit pour cela de voir par exemple à quel point la notion « d’efficience » est présente dans la formation des enseignant-e-s d’EPS), la performance se transforme en marchandise, le ou la championne devient machine. Bref, comme le dit Brohm, « le sport est essentiellement et primordialement la recherche du rendement corporel » [1].

Des pratiques corporelles alternatives

Pourtant, il existe de nombreuses autres pratiques corporelles, qui ne vont pas dans le sens de cette vision capitaliste du corps. La danse en est un des meilleurs exemples. Activité d’abord artistique, elle a notamment pour particularité intéressante de pouvoir ériger la transgression de la règle en valeur. Chose inimaginable en sport, où la règle est entièrement réifiée, stricte, et surtout définie par une bureaucratie (la fédération), et appliquée par une police spécialisée (les arbitres). En cherchant bien, les activités artistiques corporelles pourraient bien se révéler plus autogestionnaires qu’on ne le croit, ce qui explique peut-être leur quasi inexistence dans les programmes scolaires et la formation des enseignantes et des enseigants d’EPS. On citera également comme exemples de pratiques corporelles non sportives, les pratiques dites « libres » (activités de pleine nature, pratiques de rue...) du moins tant qu’elles ne sont pas touchées par la sportivisation qui frappe toute activité physique à succès, ou encore les jeux sans gagnant comme la balle assise, souvent mis en place par les équipes d’animation des associations d’éducation populaire.

En guise de conclusion, retenons simplement que notre propos n’est pas de cracher sur les sportif et les sportives, ni sur celles ou ceux qui vont au stade régulièrement. Nous vivons dans un monde capitaliste et c’est pourquoi il est logique que le sport séduise, les « résistants » comme les autres. Mais il convient de se poser des questions sur sa pratique, de s’observer un peu beugler à chaque erreur d’arbitrage, de se voir haïr son adversaire au moins le temps du match, pour saisir toutes les implications de la pratique sportive. Par ailleurs, le sport est loin de pouvoir être confondu avec toutes les autres activités corporelles délaissées par les institutions capitalistes, notamment scolaires. Le capitalisme n’est pas que financier, ni même intellectuel, il est aussi dans les corps.

François (AL Rennes)

Pour aller plus loin :

  • Revue Illusio, n°1 : « Jeux olympiques, jeux politiques », 2004 (sur les JO, et Coubertin).
  • Oblin, N., Sport et capitalisme de l’Esprit, Editions du croquant, 2009 (théorie critique plus actuelle).
  • Bordes, P., Collard, L., Dugas, E., Vers une science des activités physiques et sportives, la science de l’action motrice, Vuibert, 2007 (Sur une approche des activités non sportives, à lire néanmoins de manière critique vu la position des auteurs parfois ambigüe sur le sport).

[1Brohm, J.-M., Sociologie politique du sport, presses universitaires de Nancy, 1976 (analyse globale et poussée)

 
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