Syndicalisme : Reconstruire pour peser dans les luttes




Pour le syndicalisme de lutte l’heure est au bilan sur ce qui a manqué à la grève pour devenir générale et à ce même syndicalisme de lutte pour peser de façon décisive dans les combats à venir.

L’opposition au plan Fillon de destruction des retraites par répartition ne s’est pas concrétisée par une grève générale.

Il y a eu de nombreux secteurs en lutte, bien au-delà des fonctionnaires et des personnels de la RATP et de la SNCF qui seuls intéressaient les présentateurs des 20 heures à la télé.

Il y a eu de nombreuses expériences de luttes et évidemment en tout premier lieu, celle des personnels de l’Éducation nationale. Il y a eu des solidarités, des actions convergentes, des actions et des manifestations au niveau interprofessionnel, des idées, des innovations, plein de choses… mais pas de grève générale. Un climat d’actions, une multitude d’actions contre le plan Fillon ne font pas une grève générale. Il y a sans doute beaucoup de raisons qui font que la grève générale n’a pas eu lieu. Il faudra comparer les récentes grèves générales en Espagne, en Italie et l’échec en France.

Un échec relatif en ce que le sentiment d’échec est avant tout celui ressenti par les militants et militantes, et les grévistes qui se sont sentis lâchés, et pas par ceux et celles qui n’ont pas fait grève.

Temps forts et temps morts de la CGT

La direction de la CGT dans sa fuite en avant au nom du « syndicalisme rassemblé » a semblé étonnée de la position de la CFDT. Cette direction de la CGT incarnée par Thibault, pourtant lui-même l’icône médiatique des luttes de 1995, s’est refusée à construire une grève générale et même la généralisation des grèves et des luttes.
Sa politique des « temps forts » a pu un moment permettre de rassembler grévistes et non-grévistes dans des journées marquées par de puissantes manifestations. Mais très vite, ces temps forts sont devenus un moyen de casser le rythme de construction de la mobilisation et ont épuisé celles et ceux déjà en grève.

Critiquée par de nombreux adhérent(e)s de la CGT, confrontée à la position de FO et du G10 Solidaires favorable à la grève générale reconductible, la direction de la CGT a réussi à maintenir son encadrement sur le mouvement. Sa suprématie est telle qu’elle réussit notamment lors des manifestations (il y a quelques exceptions) à apparaître et de loin, la plus puissante. Et ce spectacle des manifestations pouvait donner l’impression à de nombreux(ses) participant(e)s d’une volonté de créer le rapport de force, alors qu’il n’a jamais été question pour la direction confédérale de la CGT de déclencher une épreuve de force majeure.

Les limites de FO

FO peut bien, par l’intermédiaire de sa direction confédérale, appeler à la grève générale, tout le monde sait que pour le coup, il s’agit d’une incantation qui ne risque pas d’être trop suivie par la majorité des salarié(e)s influencé(e)s par FO. Ce qui ne retire rien à la position de la direction de FO de se situer dans le cadre d’une grève générale à construire. Un appel FO/CGT/G10 Solidaires/FSU clairement pour la généralisation et la grève générale aurait eu un impact certain. Il aurait constitué une perspective permettant d’amplifier le mouvement.

Cependant, au fond, il y a un problème encore plus important.

La faiblesse syndicale

Le syndicalisme de lutte et de transformation sociale n’a pas pu ou su peser sur la situation. C’est là une question qui ne peut être éludée.

Sans doute certains, à raison, diront que les SUD vont devoir faire un profond examen interne et débattre des raisons pour lesquelles ils n’ont pas plus pesé. Le « bateau amiral », SUD-PTT, en tout premier lieu, n’a jamais réussi à convaincre majoritairement les personnels de La Poste et de France Télécom de s’engager dans la grève générale. Bien sûr, il y avait beaucoup d’hésitations parmi les personnels, bien sûr les autres organisations syndicales n’ont pas aidé, mais au final, SUD-PTT n’a pas gagné la bataille pour la grève générale. Et cette question vaut également pour beaucoup d’autres SUD.

Parmi les raisons (et elles sont nombreuses) il y a, sans doute, la difficulté à penser et à structurer une véritable politique d’actions revendicatives. « L’immédiatisme » et le « quotidianisme » ne permettent pas d’organiser et de préparer la grève. De plus, certains réflexes élémentaires se perdent ; un certain sectarisme doublé d’un patriotisme d’organisation semble parfois prendre le pas sur ce qui doit rester l’objectif, l’action majoritaire des travailleur(se)s.

La croyance qu’un communiqué de presse et une brochure d’ATTAC suffisent pour mobiliser a fait oublier toute la dimension du syndicalisme dans son travail d’organisation et de préparation de l’action.

Le recul de l’idée de l’auto-organisation, qui va de pair avec le refus de poser les débats en terme de changement de société, a pesé aussi. Pourtant, l’exemple de l’Éducation nationale, où les grévistes des établissements se sont pris en charge, montre que c’est là un moyen irremplaçable.

La faiblesse numérique du syndicalisme de lutte ne peut pas plus être occultée.
Cela se voit moins quand la vague porte le mouvement, là la vague il fallait la créer et cela s’est vu !

Les faiblesses des SUD et plus généralement du G10 Solidaires vont peut être permettre aux militants et militantes de voir la réalité actuelle pour trouver des solutions positives.

Les secteurs combatifs dans la CGT n’ont pas réussi eux aussi à infléchir la ligne calamiteuse de la direction confédérale. Le manque de coordination des secteurs critiques et des secteurs en lutte a fait défaut.

Le traumatisme dans la CFDT est encore plus fort qu’en 1995. C’est dire !
Des secteurs entiers de la CFDT, au-delà de l’écœurement individuel, vont sans doute se poser la question d’un ailleurs.

Les dirigeant(e)s des secteurs les plus critiques se réunissent et vont essayer de trouver des perspectives organisationnelles. On parle ici et là de la FSU, de la CGT, des SUD, voire de nouvelles structures autonomes. Ce sera peut être tout cela à la fois.

Mais ce qui paraît essentiel après l’échec de la grève générale, c’est la reconstruction d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale.
Il y a donc nécessité de peser pour une recomposition syndicale qui à terme fasse que le syndicalisme de lutte et de transformation sociale pèse plus. C’est là l’enjeu le plus important.

Cela suppose donc des bilans au sein des équipes syndicales sur ce qui a marché et ce qui a foiré. Mais aussi une volonté de débattre, ensemble, entre toutes les forces syndicales qui ont voulu construire la grève générale, qui ont appuyé l’auto-organisation des luttes, la dimension interprofessionnelle de la lutte, pour que la prochaine fois, on s’y prenne mieux.

Syndicalisme et altermondialisme

Il y a eu avec l’effet de mode d’un certain altermondialisme, pas trop enclin à parler de capitalisme et encore moins d’anticapitalisme, l’idée que la forme syndicat était révolue.

Ce que nous devons retenir notamment des semaines de luttes qui viennent de se passer, c’est qu’il y a une impérieuse nécessité à reconstruire un syndicalisme puissant, un syndicalisme de lutte et de transformation sociale.

Ce syndicalisme doit nécessairement prendre en compte les luttes contre la mondialisation capitaliste, les précaires et autres laissés pour compte de la domination capitaliste.

Mais ce syndicalisme a un besoin essentiel d’être renforcé, à la fois numériquement mais aussi dans sa capacité collective à débattre des questions politiques centrales et notamment sur les moyens de construire le meilleur rapport de force possible face à Chirac-Raffarin-Sarkozy.

Les erreurs et les échecs des mois de mai et juin 2003 (mais aussi toute l’expérience positive accumulée) peuvent être l’occasion, un peu paradoxalement, de renforcer le syndicalisme et de lui permettre d’emporter le morceau pour la défense de la sécu et de l’assurance maladie qui sont maintenant en ligne de mire pour la rentrée.

Thierry Renard

 
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