politique

Syndicalistes, écologistes et libertaires dans le mouvement des gilets jaunes : quatre enjeux




Alternative libertaire a tenu une audioconférence fédérale d’urgence le 6 décembre 2018, pour faire le point sur la situation politique et sociale. Il en ressort quatre enjeux principaux pour le mouvement des gilets jaunes : y faire prévaloir une orientation sociale voire révolutionnaire ; réconcilier la lutte contre la vie chère et l’impératif écologique ; faire front contre le gouvernement et le patronat ; que le mouvement se structure pour progresser.

La journée du 4 décembre a montré la panique du pouvoir : il cède du terrain, se contredit, se fissure. Quelles sont ses options ? Un remaniement ministériel ? Quelques semaines après le précédent, cela ne serait que comique. Une dissolution de l’Assemblée nationale ? C’est le grand espoir de l’opposition parlementaire. Ce serait une fausse solution car, comme en Mai 68, cela n’aboutirait qu’à enterrer le mouvement sous la légalité institutionnelle. L’obstination « droit dans ses bottes » ? On continuera alors à augmenter le rapport de forces, jusqu’à ce que le pouvoir cède.

La police réprime à tout-va, le nombre d’emprisonné.es, de blessé.es et de mutilé.es va croissant. Plus un pouvoir se sent illégitime, plus il frappe fort.

L’amnistie générale des manifestantes et manifestants arrêtés doit devenir une revendication qui fonde la solidarité du mouvement.

Le mouvement des gilets jaunes est, fondamentalement, une révolte contre la vie chère. Même si nous dénonçons des positions racistes qui s’expriment localement, les motivations de celles et ceux qui luttent sont avant tout sociales. Cela s’exprime par des revendications qui sont parfois confuses, mais c’est ce qui arrive dans tout mouvement populaire spontané. Il faut noter d’ailleurs que la question du prix du carburant n’est maintenant plus au centre : ce qui ressort, c’est la dénonciation de la précarité croissance, c’est la dénonciation du mépris. Dans cette lutte, c’est notre camp social qui se mobilise et l’enjeu, pour les révolutionnaires, est de populariser des propositions et des orientations qui remettent en cause la loi du fric et des patrons.

Paris, le 1er décembre 2018
Photo : Filou

Premier enjeu :
faire prévaloir une orientation
sociale voire révolutionnaire

Le mouvement des gilets jaunes exprime un rejet global du système actuel, de ses inégalités sociales et territoriales, du gouvernement Macron, identifié à la dictature des classes possédantes. Derrière ce rejet global qui est partagé par tout le mouvement, les revendications concrètes sont parfois très diverses, allant des fausses solutions nationalistes et antifiscalistes à des revendications de justice fiscale (rétablissement de l’impôt sur la fortune, taxation du kérosène des avions, etc.) et de rétablissement des services publics de proximité.

Logiquement, chaque force politique s’efforce de proposer une voie au mouvement : la droite et l’extrême droite veulent le cantonner dans un marécage poujadiste et xénophobe ; la gauche réformiste appuie les revendications progressistes et réclame des élections anticipées ; la gauche révolutionnaire, dont AL, cherche à connecter le « ras le bol du système » à une prise de conscience nettement anticapitaliste et écologiste.

Faut-il crier « Macron démission » ? Si le président de la République démissionnait, ce serait certes un événement historique : la rue aurait fait chuter le pouvoir. Cependant, ce ne peut être une fin en soi, puisque le système qui a produit Macron resterait en place. La question est bien de changer toute la société, et c’est cela qu’il faut marteler.

Marginaliser le patronat, la droite et l’extrême droite dans ce mouvement populaire, c’est le premier enjeu dans ce mouvement, et il concerne toutes les forces de gauche et d’extrême gauche.

Paris, le 1er décembre 2018
Photo : Filou

Second enjeu :
réconcilier la contestation sociale
et l’impératif écologique

Il faut être clair : la transition écologique est une nécessité. Le réchauffement climatique menace la civilisation humaine d’une catastrophe. La production pétrolière mondiale est condamnée au déclin. Le modèle de la centralité de la voiture individuelle et des longues distances domicile-travail est donc condamné à terme. Il faut donc accompagner ce déclin. Mais pas en faisant de l’« écologie punitive » qui étrangle les travailleuses et travailleurs contraints de consommer du carburant.

La reconquête des transports publics et des services publics de proximité, méthodiquement démantelés depuis des décennies, doit devenir un mot d’ordre central. Il faut rendre à la population l’accès aux ressources et aux services de base, sans qu’elle ait à les payer de perpétuels trajets fastidieux et ruineux.

Conjuguer révolte sociale et visée écologiste, c’est le second enjeu dans ce mouvement, et il concerne toutes celles et ceux qui ont conscience de l’urgence de l’enjeu climatique.

Paris, le 1er décembre 2018
Photo : Filou

Troisième enjeu :
faire front
contre le gouvernement et le patronat

Après l’échec des grèves de 2016 et 2017 contre les lois Travail, cette révolte populaire qui emploie des moyens d’action directe pour se faire entendre – notamment les blocages économiques – ouvre une opportunité formidable au syndicalisme de lutte (CGT, SUD-Solidaires, etc.).

L’opportunité de retrouver le chemin de l’action, d’apporter une logistique et un savoir-faire pour organiser les blocages, et de proposer une orientation sociale et solidaire. L’opportunité surtout d’ajouter des forces dans la bataille et de consolider sa base de classe, par l’appel à la grève, notamment pour la reconquête des services publics progressivement démolis depuis trente ans. L’opportunité, enfin, d’affirmer que la véritable opposition sociale n’est pas institutionnelle et parlementaire : elle se joue dans la rue, dans l’action directe, et sera l’œuvre du prolétariat dans toute sa diversité.

La grève et le blocage de l’économie sont le meilleur moyen à la fois de faire reculer le pouvoir et de démasquer l’extrême droite, qui rechignera à nuire aux intérêts du capitalisme hexagonal.

La grève générale, si on y parvient, sera le moyen d’emporter la victoire. c’est le moment ou jamais de populariser cette idée.

Autant dire que la frilosité qui a prévalu jusqu’ici du côté de la confédération CGT est catastrophique. Il faut espérer que l’action de l’Union syndicale Solidaires et des fédérations CGT les plus combatives feront bouger les lignes dès le 8 décembre, puis lors de la mobilisation interprofessionnelle du 14 décembre.

Opérer cette convergence entre une révolte populaire spontanée et le mouvement ouvrier organisé, c’est le troisième enjeu dans ce mouvement, et il concerne toutes et tous les syndicalistes de lutte.

Paris, le 1er décembre 2018
Photo : Filou

Quatrième enjeu :
que le mouvement
se structure pour progresser

C’est la rançon du manque de structuration : si les gilets jaunes ne se dotent pas d’une équipe de porte-parole mandatés et contrôlés par la base, d’autres le feront à leur place. Les médias sélectionneront quelques « grandes gueules » télégéniques et leur réserveront le micro. Le gouvernement, lui, essaiera de se choisir une poignée de « représentants » sur mesure pour des négociations dépourvues de légitimité.

Mais les gilets jaunes peuvent-ils et elles se doter, au niveau national, d’une équipe de porte-parole représentative ? À ce stade, difficile de le dire.

Des états généraux du mouvement ? Pourquoi pas. Mais surtout pas une grand-messe gouvernementale du genre « Grenelle » pour endormir tout le monde dans un « dialogue » balisé. Des états généraux oui, s’ils sont auto-organisés et indépendants, et servent à construire, face au pouvoir d’État, un pouvoir populaire.

Cela restera cependant impossible tant que le mouvement ne se sera pas structuré localement, avec des assemblées générales dans chaque localité. C’est ce que les militantes et militants d’AL encouragent là où ils agissent. La prise de parole, la réflexion collective, les échanges constructifs sont le plus sûr moyen d’élaborer ensemble des revendications cohérentes, voire de se doter d’une charte égalitaire (ni sexisme, ni racisme, ni homophobie…).

Cristalliser un courant anticapitaliste, basiste et autogestionnaire au sein des gilets jaunes, fondé sur l’auto-organisation, c’est le quatrième enjeu dans ce mouvement, et il concerne les communistes libertaires au premier chef.

Orientation issue de la conférence exceptionnelle
d’Alternative libertaire du 6 décembre 2018

Melun, le 17 novembre 2018.
Photo : Filou
 
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